A Luc Nkulula sur la Croix à 33 ans comme le Christ

Luc Nkulula

A trente trois ans
Comme le Christ
Luc est condamné à mort
Par le Pilate de notre temps
Lors d’une réunion
Dont il ne saura jamais
Qui était son Judas
Ni qui lui a soufflé à l’oreille
D’accomplir sa mission.

A trente trois ans
Comme son Sauveur
Luc a porté sa croix
Aussi douloureuse que la sienne
Parce que douleur suffocante
Du baiser d’un incendie
Produit d’une grenade
En caoutchouc réel
Produit d’une technologie toujours renouvelée
Pour amener la mort
A la porte de nos cases de pauvres.

A trente trois ans
Comme pour le Fils de Dieu
Le bourreau de Luc
Un frère ou une sœur
L’a surpris dans son sommeil
De combattant
Comme pour renier
Notre fraternité de fils et de fille de Dieu
Et notre pacte de ne jamais verser le sang
De l’autre, mon frère, ma sœur.

A trente trois ans
Comme pour le Fils de l’Homme
Son cocktail Molotov
Telle une épée irresponsable
A craché la mort
Me crucifiant dans mon lit
Sur ce bucher de Jeanne d’Arc en mousse
Parce que poussière
Je ne devais que retourner à la terre.

A trente trois ans
Comme le fils de Joseph
Moi qui, pour une fois
Avais fait confiance aux Forces de l’Ordre
Me suis retrouvé avec la mort
Comme voisine inopportune
D’une promesse « zéro mort »
Non tenue par une Police sans tenue
Et un régime sans retenue.

A trente trois ans
Comme le Nazaréen
L’enfant de Goma
A accompli sa mission
Au bas du volcan
Non pas sur un âne
Mais plutôt sur un Tshukudeur
Apportant à travers le Kivu
La bonne nouvelle
D’un Congo plus beau qu’avant
Sillonnant vallées et montagnes
Interpellant jeunes et vieux
Du Nord et Sud Kivu
A la participation citoyenne
Et surtout au courage politique.

A trente trois ans
Malheureusement
Pas comme le fils de Marie
Dans son sommeil profond
Complice d’une mort
Qui lui a refusé réveil
Luc n’a pas eu le temps
De laisser sa mère
Entre les mains de Jean.

Femme pour l’éternité inconsolable
Parce qu’abandonnée sans corps
Avec pour seules reliques
Des cendres de Luc
Pétries par des larmes d’une mère
Aphone
Mère sans mots
Qui, en vain, implore le pardon
Pour un fils
Emporté sans confession
Auprès du Père
Qui l’a envoyé accomplir sa mission
Sur cette terre
Où son pasteur s’est tu
Son église a pris peur
Et son gouvernement provincial
Est devenu son bourreau.

Ils ont tous cru
Que Luc mort
Ne ferait plus entendre
Cette voix qui perturbe
Ce souffle
Qui traverse les cœurs des sans cœurs
Ce silence
Qui porte la voix des sans voix
Au-delà du lac
Sur les rives du Nord et Sud Kivu
Comme pour nous inviter
Au refus commun
De la partition de cette terre
Belle parce que bénie.

Luc
Fait partie de cette jeunesse
Dont nous tous célébrons
La mort et non la vie
Cette jeunesse
Qui n’a rien d’autre à offrir
Que la mort de ses nombreux jeunes
Morts pour mériter d’une nation
Qui a peur de sa jeunesse
Proclamée souvent espoir de demain
Mais que des aînés cannibales
S’empressent de mettre sous terre
Sans linceul ni deuil
Dans des tombes
Sans croix, sans sépulture
Dans des cimetières labyrinthes
Où les herbes sauvages
Emportent tout souvenir
Pour nous plonger
Dans l’oubli
Tabula rasa
Qui nous fait répéter un passé
A chaque fois plus douloureux
Même si chanté valeureux.

Luc
Il est vrai que le Congo est grand
Qu’il a besoin de notre grandeur
Pour grandir
Toi à qui cette terre a ravi ta grandeur
Dis lui et à tous ceux qui t’ont précédé
Dans le sacrifice de leur grandeur
Dis leurs
Que les jeunes de cette grande terre
Veulent désormais
Ne plus offrir leur grandeur
Pour à leur tour
Grandir vivant
Avec le grand Congo !

Luc
Ma plume n’a plus d’encre
Et ma main tremble
Elle est fatiguée
De jouer au poète croque mort
Qui rédige sans cesse
Des vers de bravoure
Sur des tombes sans marbre
Qui célèbrent l’oubli
De tous ceux
D’hier comme d’aujourd’hui
Et de demain
Tous appelés au rendez-vous
Du baiser macabre d’un rendez-vous
Qu’organise de manière quotidienne
Une tyrannie sans nom
Avec la complicité étrange
D’un univers des affaires
Qui depuis Léopold II
Refuse de faire l’inventaire
Des morts génocides d’un pays Congo
Aux richesses plus importantes
Que les humains qui y habitent !
Debout Luc et marches
Car désormais tu as la grandeur
De la grandeur du Congo
Ton pays

A Lucha Continua!

 

Thierry Nlandu Mayamba
Professeur à la Faculté des Lettres
Université de Kinshasa
Membre du Comité Laïc de Coordination

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