Abbé Mbelu: « Kabila a engagé des mercenaires pour tuer des Congolais »

Membre très actif du « Groupe Epiphanie » – qui réunit les prêtres diocésains ou missionnaires congolais de Belgique -, abbé Jean-Pierre Mbelu est curé de la Paroisse Sainte Thérèse à Nivelles, dans le Brabant wallon. Il explique la signification de la célébration eucharistique organisée dimanche 7 janvier et répond à quelques questions d’actualité dont la polémique qui oppose le « clan kabiliste » au cardinal Laurent Monsengwo Pasinya. En cause, la répression de la marche du 31 décembre 2017.

La messe organisée ce dimanche 7 janvier a manifestement plusieurs significations…

Effectivement! Elle marque le début du dixième anniversaire du Groupe Epiphanie qui a vu le jour en 2008. Des circonstances extérieures nous ont obligés de combiner la célébration de l’Epiphanie et la prière pour les martyrs de la marche du 31 décembre 2017.

La manifestation réprimée le 31 décembre occupe tous les esprits. Le Groupe Epiphanie apporte manifestement un soutien clair au Comité des laïcs catholiques…

Nous devons faire la part des choses. Il y a d’abord la prière dite à la mémoire de nos frères et sœurs qui sont tombés sous les balles de la milice de la « Kabilie ». Cet acte est beaucoup plus important que le soutien que nous pouvons apporter au Comité des laïcs catholiques (CLC). Il va sans dire que nous nous inscrivons dans cette dynamique d’un peuple qui se laisse coordonner par ses filles et fils pour se mettre debout. Même si, à titre individuel, je ne vois pas très bien comment l’accord signé avec un groupe d’aventuriers opérant – comme le cardinal l’a dit sur fond de mensonge systémique -, je ne vois pas comment cet accord pourra encore être appliqué comme le demande le CLC. Néanmoins, j’estime qu’il est important de remettre le peuple congolais debout. Et ce, en ce moment où le pays s’enfonce dans l’illégitimité et l’illégalité.

Intervenant dans une émission télévisée, l’ex-opposant José Makila Sumanda a déclaré que le rôle de l’église se limite à prêcher l’évangile. Que lui répondez-vous?

Notre frère José Makila aurait dû commencer par nous dire ce qu’il entend par « prêcher l’évangile ». Comme abbé Faustin l’a dit dans son homélie, l’évangile veut dire que les chrétiens que nous sommes nous avons pour mission de promouvoir la paix. Comme nous l’avons entendu dans le livre des Psaumes, Dieu donne au roi le pouvoir afin qu’il gouverne son peuple avec justice tout en faisant droit aux pauvres. Bref, aux malheureux. L’évangile dont parle José Makila a une dimension prophétique d’attachement aux « petits ». Je l’invite d’ailleurs à lire Mathieu 25: 35-36. Jésus s’identifie aux « tous petits ». Je cite: « Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli; j’étais nu, et vous m’avez vêtu; j’étais malade, et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi ». Quand on pose au Seigneur la question de savoir à quel moment on a pu le voir dans toutes ces circonstances, Il répond: « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez fait ». A contrario, chaque fois que l’on n’a pas fait cela, c’est à lui qu’on n’a pas fait. On ne peut pas comprendre que la prédication de la Bonne nouvelle passe à côté de cette identification de Jésus aux laissés pour compte dans un pays où il y a à boire et à manger pour tout le monde. Le Congo est pris en otage par un groupe d’aventuriers. Et le cardinal a bien fait de qualifier de « médiocres ».

Vous appuyez donc les déclarations du Cardinal?

Absolument! J’ai d’ailleurs rédigé deux textes sur la vie du cardinal Laurent Monsengwo. Je suis en train de l’enrichir. Le Cardinal fait bien de décrire les faits qui montrent que nous avons effectivement affaire à des médiocres. A titre d’exemple, comment voulez-vous que des gens qui n’avaient pas l’intention de tuer aient coupé l’Internet et les réseaux sociaux. Le lendemain, ils sont les premiers à dire qu’ils n’ont tué personne. Pour prouver leur bonne foi, ils n’avaient qu’à opérer au vu et au su de tout le monde. C’est un groupe de malfaiteurs. Un groupe de criminels qui a engagé le redoutable pari de prendre en otage tout un peuple pour des intérêts égoïstes. Il importe de souligner que ce groupe d’aventuriers voudrait détruire notre identité en tant que Congolais. Il veut bafouer notre dignité et notre fierté.

Au cours d’un de ses « one man show », Lambert Mende a déclaré qu’en qualifiant les gouvernants actuels de « médiocres », le « Cardinal est descendu dans le caniveau ». Votre réaction?

Entre nous, je ne prête plus attention aux propos de Lambert Mende. Et ce pour la simple raison qu’il est capable d’affirmer une chose aujourd’hui et son contraire le lendemain. En 2016, Lambert Mende a déclaré ce qui suit: « Les grandes puissances ont coalisé avec des criminels dans la sous-région des Grands lacs pour tuer des paisibles citoyens au Congo ». Que voit-on? Ces mêmes criminels sont accueillis par le conglomérat d’aventuriers auquel Mende appartient. On ne peut pas soutenir que le Cardinal est descendu dans le caniveau. C’est lui qui, opérant dans le mensonge systémique, a fini par entraîner notre peuple au fond du gouffre. Le Cardinal a trouvé des mots justes pour le dire. La médiocrité c’est le fait de fonder tout ce système sur la mystification. Avez-vous vu les dégâts matériels et humains causés par les pluies diluviennes qui se sont abattues sur la capitale dans la nuit du 3 au 4 janvier?

Dans son mot introductif, l’abbé Joseph Muaka a déclaré que « le Congo se trouve à un tournant ». Qu’a-t-il voulu dire?

Personnellement, j’ai toujours considéré le Congo comme un éléphant qui est couché. Le fait que les filles et les fils du Congo commencent à se mettre debout constitue effectivement un « tournant ». Quand l’éléphant sera sur ses quatre pattes, il va avancer. Le monde sera pris à témoin pour constater que les dignes filles et les fils du pays se sont mis debout pour récupérer leur patrimoine de leurs aïeux. C’est ce tournant-là qui a commencé. Je tiens à ajouter un point important que je tire de l’homélie de l’abbé Faustin. Nous devons nous départir de l’émotion. Nous avons beau dire que c’est un tournant, mais s’il n’y a pas une organisation bien pensée, il y a des craintes que l’on retombe dans la situation que nous déplorons.

Le gouvernement de Bruno Tshibala a mis en garde le Comité des laïcs catholiques en cas de récidive. Qu’en pensez-vous?

Vous m’excuserez de ne pas donner à ce conglomérat d’aventuriers le titre de « gouvernement ». Je suis en train d’analyser un ouvrage intitulé: « Se défendre, une philosophie de la violence ». Je me rends compte que ce conglomérat d’aventuriers applique à sa manière le « code noir ». Ce conglomérat est occupé à asservir tout un peuple. Chaque fois que la population congolaise essaie de se défendre, c’est elle qui est culpabilisée. Il y a une application des méthodes esclavagistes du code noir. Pendant que le Congo était coupé du monde, des manifestants disent avoir entendu des « policiers » parler en anglais. Cela veut dire que ce conglomérat d’aventuriers a recruté des mercenaires pour exterminer nos populations en recourant au mode opératoire des esclavagistes. Nous sommes à une époque où notre peuple est en train de tomber dans l’esclavagisme.

Certaines sources parlent de dissension au sein du haut clergé. Ces sources allèguent que la marche du 31 décembre était une initiative de l’archevêque de Kinshasa. Avez-vous eu de tels échos?

Vous avez certainement appris, tout comme moi, que le Comité des laïcs catholiques est reconnu comme une organisation de droit canonique. Rome ne peut pas reconnaitre une organisation qui ne dépendrait que du cardinal Monsengwo. Le fait que le CLC ait recouru à l’aval de ce dernier en sa qualité de responsable de l’église locale de Kinshasa pour mener des actions, cela est pastoralement légal. Il n’y a pas de dissension. D’ailleurs le nonce apostolique est revenu là-dessus pour dire qu’il y a une concordance de vues sur l’organisation du CLC.

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi
© Congoindépendant 2003-2018

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