Accord-cadre d’Addis Abeba: Quid du bilan?

En prévision de la tenue prochaine à Kinshasa du 10ème Sommet du Mécanisme régional de l’accord-cadre pour la paix, la sécurité et le développement dans la Région des Grands lacs, la ministre congolaise des Affaires étrangères l’UDPS Marie Tumba Nzenza a reçu, vendredi 21 février, l’Envoyé spécial du secrétaire général des Nations Unies pour les Grands lacs, le Chinois Juang Xia.

Quel bilan peut-on dresser de l’Accord-cadre pour la paix – une sorte de pacte de non-agression – signé le 24 février 2013 à Addis Abeba, en Ethiopie, par le Congo-Kinshasa et les neuf pays voisins qui l’entourent auxquels s’était joint l’Afrique du Sud? On imagine que cette question était au centre des entretiens entre le chef de la diplomatie congolaise et son interlocuteur.

Dans une déclaration faite à la presse, le diplomate onusien a indiqué qu’ils ont noté avec la ministre Tumba que le prochain Sommet qui se tiendra à Kinshasa, sera un « moment important » tant pour la RDC que pour les autres pays de la Région.

Selon Juang Xia, les participants auront l’occasion d’évoquer des « dossiers concrets et substantiels » en vue de… promouvoir « la paix, la sécurité et surtout le développement ». Comme pour dire que les « biceps » déployés depuis une dizaine d’années par les forces armées congolaises sont loin de suffire pour ramener une paix durable dans la partie orientale du pays. L’heure est venue de combiner la « force militaire » à la dimension humaine de la problématique.

Les onze chefs d’Etat à l’issue de la signature de l’Accord-cadre d’Addis Abeba

Pour l’Envoyé spécial Juang Xia, l’année 2020 est cruciale. « (…), nous espérons travailler la main dans la main avec la RDC ainsi qu’avec les autres pays de la Région pour que ça soit une année plus riche, plus réussie ». Le diplomate onusien use de la « langue de bois diplomatique » pour dissimuler l’aveu selon lequel  l’Accord-cadre signé le 24 février 2013 par les onze pays (Afrique du Sud, Angola, Burundi, RCA, Congo-Brazzaville, Congo-Kin, Ouganda, Rwanda, Soudan du Sud, Tanzanie, Zambie) n’a pas produit les résultats espérés. Les bandes armées nationales et étrangères continuent à fleurir au Nord-Kivu, au Sud-Kivu et en Ituri. Les insaisissables rebelles ougandais des « ADF » (Allied Democratic Forces) continuent à massacrer impunément des paisibles populations dans le Territoire de Beni. Depuis octobre 2014, on dénombre près de quatre mille morts.

CRISE DE LÉGITIMITÉ

Le diplomate onusien a fait part à la patronne de la diplomatie congolaise de sa satisfaction de constater le « climat apaisé » qui règne actuellement entre le Congo-Kinshasa et ses neuf voisins. Et ce depuis l’investiture de Felix Tshisekedi au sommet de l’Etat. Pour lui, cette nouvelle donne est de nature à « faire avancer tous les dossiers en ce qui concerne la paix et la sécurité et surtout la coopération » dans la Région des Grands lacs.

Contexte. Le 28 novembre 2011, les Congolais sont allés aux urnes afin d’élire leur nouveau Président de la République et les parlementaires tant nationaux que provinciaux. Comme en juillet 2006, des irrégularités et des fraudes ont émaillé ces consultations politiques.

Pour les observateurs impartiaux, l’élection présidentielle aurait été remportée par Etienne Tshisekedi wa Mulumba. Le 20 décembre 2011, « Joseph Kabila » se fait investir comme « Président réélu » replongeant le pays dans une nouvelle crise de légitimité.

Au centre, le « colonel » Sultani Makenga, ex-chef militaire du M23

En guise de diversion, en juin 2012, une nouvelle « rébellion » pro-rwandaise voit le jour au Nord. Celle-ci est composée des anciens combattants du « Congrès national pour la défense du peuple » (CNDP) de Laurent Nkunda. Des éléments intégrés dans l’armée congolaise suite à un accord signé le 23 mars 2009 d’où la dénomination « M23 ».

CNDP, M23, « REBELLIONS » PRO-RWANDAISES

Les observateurs n’ont pas tardé à pointer un doigt accusateur en direction du Rwanda de Paul Kagame. En 2013, Patrick Karegeya, ancien chef des « services » rwandais, n’est pas allé par quatre chemins en confiant au quotidien bruxellois « Le Soir » daté du 6 novembre 2013 que « (…)le CNDP de Laurent Nkunda, comme le M23 c’est lui[Paul Kagame]qui les soutient. Il tient les commandes ». Propos d’un aigri? Assurément pas!

Sous l’égide des Nations Unies, le Congo-Kinshasa et les dix pays précités signaient le 23 février 2013 le fameux Accord de paix d’Addis Abeba. Les pays des Grands lacs prenaient l’engagement notamment de renforcer la coopération régionale, de respecter la souveraineté et l’intégrité du territoire voisin et de ne pas apporter de l’assistance aux groupes armés.

Sur le plan congolo-congolais, le régime kabiliste était « astreint » à accomplir des actions ci-après: continuer et approfondir la réforme des forces de sécurité particulièrement l’armée et la police; consolider l’autorité de l’Etat à l’Est; promouvoir les services sociaux de base; effectuer des progrès en matière de décentralisation et promouvoir la réconciliation nationale, la tolérance et la démocratisation.

Dès le lendemain de la formation du gouvernement de Transition « 1+4 » en juin 2003, « Kabila » s’est battu, toutes griffes dehors, afin que le Parlement de transition lui accorde une « garde prétorienne » dite « Garde Républicaine » estimée à 15.000 hommes. « Joseph Kabila n’a jamais voulu doter le pays d’une armée républicaine. Il n’a jamais voulu réformer l’armée de peur qu’il perde toute emprise sur elle. Il n’y a jamais eu de volonté politique déterminante pour réformer l’armée et la police », commente un ancien député.

En novembre 2006, « Kabila » annonçait bruyamment son projet politique dit les « Cinq chantiers ». D’aucuns avaient cru à tort que l’homme et son gouvernement allaient doter les 26 provinces du pays des services sociaux de base. A savoir: les routes, les infrastructures sanitaires et scolaires. Sans oublier l’eau et l’électricité.

BILAN GLOBALEMENT MITIGÉ

S’agissant de la consolidation de l’autorité de l’Etat à l’Est, celle-ci continue à poser problème. Est-ce parce que l’armée et la police sont noyautées par des « éléments étrangers » issus du CNDP et du M23?

Des urnes de la CENI

« Kabila » et ses partisans aiment gloser sur les trois cycles électoraux (2006, 2011 et 2018) au point de réduire le phénomène démocratique à la seule élection. Alors que la démocratie est une notion plus complexe qui englobe, outre le vote, un état d’esprit, un mode de vie fait de liberté et de tolérance. La  séparation des pouvoirs et la primauté du droit bouclent la boucle. De même, le prédécesseur de Felix Tshisekedi a confondu le découpage territorial avec la décentralisation. Celle-ci implique un transfert effectif des compétences mais aussi des moyens aux collectivités locales.

Sept années après, l’Accord-cadre de paix signé dans la capitale éthiopienne n’a pas généré la paix et la sécurité à l’Est. Bien au contraire. C’est le chaos. Une situation qui, au-delà des hypocrisies, arrange bien les intérêts de l’Ouganda de Yoweri Kaguta Museveni et du Rwanda de Paul Kagame, les grands bénéficiaires du désordre ambiant. Le trafic des minerais continue. A Minembwe, au Sud-Kivu, les milices Gomino, Red Tabara, Turuanireo et Forebu rwando-burundaises sont venues à la rescousse des Banyarwanda, autoproclamés « banyamulenge ».

Aux dernières nouvelles, le vice-Premier ministre en charge du Budget, l’UNC Jean Baudouin Mayo prépare l’enveloppe nécessaire pour financer la tenue du 10ème Sommet du Mécanisme régional de suivi de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba dont le bilan parait globalement mitigé.

 

Baudouin Amba Wetshi

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