Affaire Minembwe (suite et fin?): Ruberwa dit « sa part de vérité »

Après son interview accordée, à chaud, jeudi 8 octobre, au média « ReliefWeb », le ministre de la Décentralisation et réformes institutionnelles, Azarias Ruberwa, 56 ans, s’est entretenu, mardi 13, avec des journalistes kinois. En langage judiciaire, on dira que « l’accusé » a plaidé non-coupable sur l’ensemble du processus d’élévation de Minembwe en « commune rurale ». Il en est de même de l’événement qui a servi de détonateur en l’occurrence l’installation du « bourgmestre » le 28 septembre dernier. C’est par « pure coïncidence » que lui et les autres officiels se sont trouvés sur le lieu. Dans sa « contre-attaque » censé le rendre plus blanc que blanc, « Azarias » a omis un détail essentiel. Il s’agit de l’arrêté interministériel qu’il avait signé, en date du 30 mai 2018, avec son collègue d’alors en charge de l’Intérieur, Henri Mova. Calme, pondéré, élevant rarement la voix, l’interviewé est apparu néanmoins meurtri. Ce qui ne l’a pas empêché de faire passer plusieurs messages. C’est sa part de vérité. Sera-t-il entendu? C’est à voir.

Pas de démission à l’ordre du jour. Dès le lendemain de l’annonce de la cérémonie d’installation du bourgmestre de la « commune rurale » de Minembwe, le 28 septembre dernier, des voix se sont élevées à l’intérieur comme à l’extérieur du Congo-Kinshasa pour exiger la démission du ministre de la Décentralisation et réformes institutionnelles. Les mots « tricherie », « forfaiture », « balkanisation », « infiltration », « occupation » n’ont cessé de fuser sur les réseaux sociaux.

Au cours du point de presse qu’il a animé, mardi 13 octobre, Azarias Ruberwa a indiqué qu’il a été reçu, la veille, par le président Felix Tshisekedi. De quoi ont-ils parlé? Il s’est gardé de répondre à cette question tout en glissant que sa démission n’est pas à l’ordre du jour. « Ma démission n’est pas à l’ordre du jour. J’aurai démissionné si j’avais commis une faute. Je ne peux pas démissionner pour faire plaisir aux gens qui expriment une haine viscérale juste parce qu’il s’agit de Ruberwa ».

Le Palais du peuple, siège du Parlement congolais

A en croire Ruberwa, il n’y est pour rien dans tout ce qui se raconte autour de l’érection de Minembwe en « commune rurale ». Et ce depuis les décrets successifs des Premiers ministres Adolphe Muzito, Augustin Matata et Bruno Tshibala jusqu’à la lettre du gouverneur de la province du Kivu notifiant à Gady Mukiza sa nomination au poste de bourgmestre et le procès-verbal de son installation établi par le ministre de l’Intérieur Lwabanji Lwasi Ngabo. « J’étais en mission de sécurité à l’Est avec le ministre de la Défense. J’avais un ordre de mission signé par le Premier ministre. Au fil des conversations, des voix se sont élevées pour demander pourquoi on ne procédait pas à l’installation du bourgmestre de Minembwe qui est en fonction depuis trois ans. C’est par pure coïncidence que nous sommes retrouvés à Minembwe », dit-il.

Pas de convocation formelle à l’Assemblée nationale. Début octobre, le député national Muhindo Nzangi, élu de Butembo, au Nord-Kivu, avait initié une interpellation du ministre Ruberwa. La question fut évoquée lors de la plénière du 8 octobre à la satisfaction générale. Il revient au Bureau de la chambre basse d’adresser une « invitation formelle » au ministre de la Décentralisation. « Je n’ai pas encore reçu une invitation formelle de l’Assemblée nationale dans le cadre de l’interpellation initiée par ce député national », a-t-il fait observer.

Le constat est là: la présidente de l’Assemblée nationale n’a pas encore jugé utile d’écrire au gouvernement à ce sujet. Il faut dire que Ruberwa n’est pas n’importe qui. Il ferait partie des « conseilleurs officieux » de l’ex-Président congolais.

Cadre de la mouvance kabiliste, Jeanine Mabunda a, sans doute, compris que le débat sera houleux sur ce dossier. Elle a, sans doute, compris également que les discussions risqueraient de se muer en un procès en règle contre le régime AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre) et les dix-huit années de la présidence de « Joseph Kabila ». Celui-ci et Ruberwa sont de « purs produits » de l’AFDL. Compte tenu de toutes ces considérations, Mabunda attend, sans doute, le « feu vert » en provenance de la Ferme de Kingakati où réside l’ex-raïs.

Affaire Minembwe, un montage? « Azarias », lui, n’a pas pu s’empêcher de relever une sorte d’union sacrée inattendue qui est apparue entre les différentes tendances politiques congolaises autour de l’affaire Minembwe. Et ce de Cach à la mouvance kabiliste dite Fcc en passant par Lamuka, Il s’est étonné de voir « des gens qui ne se parlaient plus du tout faire cause commune ».

Le consul romain Ponce Pilate qui lave ses mains

C’est ici que Ruberwa a adopté la posture d’un évangéliste. Un évangéliste quelque peu présomptueux au point de comparer sa situation avec celle ayant précédé la crucifixion de Jésus. Selon « Pasteur Azarias », l’unanimisme ambiant qui règne au sein du monde politique congolais lui rappelle « le roi Erode et Pilate qui sont devenus amis après avoir été des ennemis ». Il assimile les réseaux sociaux à la « foule » qui exigeaient la mise à mort du Christ. « Pilate a lavé ses mains pour faire plaisir à la foule alors qu’il savait que Jésus était innocent », assena-t-il. Et de s’interroger: « Et si Ruberwa disait la vérité? Et si cette affaire n’était qu’un montage des gens qui en veulent à sa personne? »

On a compris. Le ministre de la Décentralisation est assidu des réseaux sociaux. Il est meurtri par les attaques contre sa personne mais aussi les soupçons selon lesquels sa présence à la tête de ce département procédait d’un « agenda caché ». Et de rappeler le rôle qu’il « a joué » pour la « réunification » du pays en sa qualité de vice-président de la République chargé de la Politique, défense et sécurité.

Promouvoir la réconciliation et la tolérance. Tout au long de cette interview, le ministre Ruberwa a affiché la mine d’une « victime innocente ». L’homme feint d’oublier les récents affrontements sur les hauts plateaux d’Intombwe entre les autochtones fuliro, bembe, nyindu contre des milices « banyamulenge » commandées notamment par un certain Michel Rukunda, alias colonel Makanika, un déserteur des FARDC.

Ruberwa feint également d’oublier que les Congolais n’appartenant pas à la « communauté banyamulenge » ont encore des plaies psychologiques non-cicatrisées. Des plaies découlant des agressions commises sur leur sol par des troupes venues notamment du Rwanda. Sans omettre ces Banyarwanda dits « banyamulenge » qui avaient pris les armes en 1996-1997 sous prétexte de reconquérir leur « citoyenneté zaïroise ». Il y a des griefs de part et d’autre.

Passant tous ces contentieux par pertes et profits, « Azarias » s’est cru qualifié pour lancer un appel. Il s’agit, selon lui, de « combattre l’idéologie de l’intolérance ». Pour lui, « la réconciliation constitue un besoin réel et fondamental ».

Dans son plaidoyer, le ministre Ruberwa a éludé – sciemment? – cet arrêté interministériel daté du 30 mai 2018 qu’il aurait signé avec le ministre de l’Intérieur d’alors, Henri Mova Sakanyi. C’était en exécution du décret du Premier ministre Bruno Tshibala daté… du 30 mai 2018 autorisant la poursuite du processus d’installation de la « commune rurale » de Minembwe.

 

Baudouin Amba Wetshi

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