Affaire Tshibangu: Vous avez dit justice?

La Tanzanie du président « démocratiquement élu » John Magufuli a livré, lundi 5 février, le colonel John Tshibangu à son pire ennemi en l’occurrence le dictateur « Joseph Kabila ». Réputé rancunier et incapable de s’élever à la hauteur de la fonction exceptionnelle de chef de l’Etat, le successeur de Mzee a (enfin) l’occasion d’assouvir une vengeance qu’il rumine depuis bientôt six ans. Les autorités tanzaniennes ont pris l’irresponsable décision d’envoyer cet officier congolais à une mort certaine. Elles s’appuient, à tort, sur l’Accord-cadre de paix signé le 24 février 2013 à Addis-Abeba. Cette convention astreint les onze Etats signataires (Afrique du Sud, Angola, Burundi, Congo-Brazzaville, Congo-Kinshasa, Ouganda, RCA, Rwanda, Soudan du Sud, Tanzanie, Zambie) à l’obligation d’ « empêcher les groupes armés de déstabiliser les pays voisins ».

« Joseph Kabila » a dû sabler le champagne lundi 5 février. L’homme ne pouvait rêver d’un si « beau cadeau de nouvel an » en apprenant l’extradition de John Tshibangu par les autorités tanzaniennes. Cet officier congolais a été arrêté le 29 janvier en Tanzanie. Les flagorneurs qui pullulent au sein de la mouvance kabiliste n’ont pas manqué de flatter l’égo du « raïs ». Sur les réseaux sociaux, une vidéo montre des inconditionnels s’écrier à partir de Nairobi: « On ne joue pas avec le commandant suprême des FARDC… »

Les Congolais semblent oublier que l’homme qui « trône » à la tête de leur pays depuis 17 ans a plus d’attaches psychologiques avec la Tanzanie – pays qui l’a vu naître et grandir – qu’avec le Congo-Zaïre qu’il n’a découvert qu’en 1997, à l’âge adulte. Les Congolais semblent oublier également que le même individu a fait son service militaire dans l’armée tanzanienne. Question: quelle nationalité portait-il? Zaïroise? Tanzanienne?

Au cours d’un point de presse qu’il a animé lundi 5 février, le ministre congolais de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba, a confirmé l’arrivée à Kinshasa du colonel John Tshibangu dans la matinée. Selon lui, l’officier dissident était sous mandat d’arrêt international lancé par la justice congolaise. Il a été arrêté en application de l’Accord de paix d’Addis-Abeba.

Dans une dépêche datée du 5 février, la très officielle Agence congolaise de presse (ACP) annonce les couleurs: « Le fugitif qui avait déclenché une rébellion dans le grand-Nord dans la province du Nord Kivu, avait dans sa fuite en RCA proféré des injures et menaces à l’endroit de (…) Joseph Kabila ».

A en croire Thambwe Mwamba, Tshibangu « sera déféré devant son juge naturel pour un procès juste et équitable ». Et qu’il « sera assisté par des avocats de son choix ». A défaut, un avocat commis d’office pourrait être désigné. Tshibangu se trouve, selon le ministre, sous mandat d’arrêt provisoire en attendant la fin de l’instruction pré-juridictionnelle. Sa famille biologique peut « en ce moment lui rendre librement la visite ».

QUI EST JOHN TSHIBANGU?

Agé de 47 ans, natif du territoire de Dimbelenge à la frontière entre les anciennes provinces du Kasaï Oriental et Kasaï Occidental, « John » a commencé a servi sous le drapeau dans les Forces armées zaïroises. Il a été enrôlé en 1988.

Après un passage à l’école de formation des officiers à Kananga (EFO), il a reçu un entrainement de commando en Israël avant de rejoindre le Service d’action et des renseignements militaires (SARM).

Lorsque les troupes de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre) font leur joyeuse entrée à Kin, Tshibangu est en poste à Uvira, au Sud Kivu.

En 1998, « John » est embastillé au pénitencier de Munzenze. Au motif qu’il a rechigné de rejoindre la toute nouvelle « rébellion congolaise » née à Kigali dénommée « Rassemblement des Congolais pour la démocratie » (RCD). Il finit par s’évader avant de rejoindre l’aile dissidente (RCD K-ML) d’Antipas Mbusa Nyamwisi.

Après l’installation du régime de transition dit « 1+4 », Tshibangu bénéficie de plusieurs affectations dans la partie orientale du pays avant d’être promu commandant en second de la 4ème Région militaire à Kananga (les deux anciennes provinces du Kasaï).

LES GRIEFS À L’ORIGINE DE LA DISSIDENCE

Colonel John Tshibangu

En juin 2012, la rébellion pro-rwandaise du M23 vient de lancer ses attaques dans la province du Nord Kivu. Au cours du même mois, Tshibangu et 126 autres officiers supérieurs se trouvent dans la capitale. But: participer à la deuxième session du séminaire sur la réforme de l’armée.

Après cette réunion, « John » demande à être reçu par « Joseph Kabila ». Au cours de l’audience, l’officier fait part au « commandant suprême des FARDC » d’une étrange proposition qui lui a été faite par un supérieur hiérarchique non autrement identifié. Celle-ci consistait à aller livrer des armes et des munitions aux combattants du M23.

Selon des sources, le colonel est sorti « stupéfait et dégoûté » par l’indifférence affichée par « Joseph Kabila » lorsqu’il dénonçait cette situation.

Il importe d’ouvrir la parenthèse pour relever trois faits. Primo: le chef de l’Etat congolais a attendu le mois d’octobre pour sortir de son silence face à la rébellion du M23 déclenchée quatre mois auparavant. Il a fait venir à cette occasion quelques journalistes kinois triés sur le volet. Secundo: ancien chef des services rwandais, le colonel Patrick Karegeya avait déclaré, quelques mois avant son assassinat à Johannesburg, que le CNDP de Laurent Nkunda était une création de l’actuel maître de Kigali. Il en de même du M23. Enfin: les militaires envoyés en opération contre les mutins du M23 se sont plaints à maintes reprises des ordres contradictoires qu’ils recevaient chaque fois qu’ils avaient l’avantage sur l’ennemi. Fermons la parenthèse.

En août 2012, Tshibangu entre en dissidence. Il créé l’APCCD (Armée du peuple congolais pour le changement et la démocratie). Il est aussitôt traqué durant plusieurs semaines par 300 éléments des « forces spéciales » des FARDC. Sur le plan judiciaire, les accusations ne tardent pas à tomber: « atteinte à la sûreté de l’Etat »; « intelligence avec les agresseurs rwandais » du M23.

« LA VÉRITÉ DES URNES » ET M23

Dans une interview accordée à l’auteur de ces lignes le 18 août 2012, l’officier rebelle dit dans un premier temps exiger la « vérité des urnes ». « La population congolaise demande le changement, explique-t-il. Le 28 novembre 2011, Etienne Tshisekedi wa Mulumba a été élu président de la République. Notre objectif est de l’installer à la tête de l’Etat ».

Quel est le fait qui a joué le rôle de « détonateur » à sa défection? « John » dit garder encore quelques « détails secrets » qu’il divulguera « prochainement ». C’est ici qu’il évoque le phénomène M23: « Au commencement, les mutins étaient à peine une trentaine d’hommes, curieusement les autorités de Kinshasa ont ordonné un cessez-le-feu alors que les FARDC pouvaient étouffer cette action. Comment ne pas suspecter le gouvernement d’avoir ordonné un cessez-le-feu pour permettre aux insurgés de gagner du temps pour se renforcer en hommes et en matériel? »

Au cours de cet entretien, Tshibangu de reprocher à « Joseph Kabila » de n’avoir pas déclaré la guerre au Rwanda dès que la communauté internationale a confirmé l’implication de ce pays dans l’agression contre le Congo. En clair, « John » a toujours suspecté « Kabila » non seulement d’avoir « volé » la victoire de Tshisekedi mais aussi d’être de connivence avec les « forces ennemies ».

Fin octobre 2017, une source sécuritaire confiait à l’auteur de ces lignes que « Kabila » a dépêché un « escadron de la mort » à Nairobi, au Kenya. Mission: éliminer John Tshibangu. Les tentatives pour entrer en contact avec l’intéressé se sont révélées vaines. Le 29 janvier dernier, on apprenait l’arrestation du colonel dissident.

En dépit de ses frasques, Tshibangu est considéré par les Congolais plus comme un patriote qu’un traître. Dans une récente vidéo, il menaçait de chasser « Kabila » du pouvoir après la répression sanglante de la marche pacifique organisée le 31 décembre 2017 par le Comité Laïc de Coordination.

Nombreux sont les Congolais qui considèrent que « Joseph Kabila » exerce un pouvoir illégitime. Au motif que son dernier mandat constitutionnel a expiré depuis le 19 décembre 2016. Et qu’il ne tient plus que grâce à la force. « Kabila serait très mal inspiré d’instrumentaliser la justice pour avoir la peau du colonel John Tshibangu… », menace une source kinoise.

 

Baudouin Amba Wetshi
© Congoindépendant 2003-2018

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