Arrestation du major Ngoy: Va-t-on (enfin) connaitre la vérité sur l’assassinat de Chebeya?

Le major Christian Ngoy Kenga Kenga et le colonel Daniel Mukalay wa Mateso faisaient partie de la « garde rapprochée » de général John Numbi Banza Tambo, alors Inspecteur général de la police nationale. Le premier était en cavale jusqu’à son arrestation jeudi 3 septembre 2020 à Lubumbashi. Le second est embastillé depuis juin 2011 à la Prison de Makala. Ces deux policiers ont joué un rôle digne du « grand banditisme » dans l’assassinat du défenseur des droits de l’Homme, Floribert Chebeya Bahizire et la « disparition » de son chauffeur Fidèle Bazana Edadi. Selon certaines informations, dans le cadre du commencement d’exécution de cet « homicide d’Etat », le « major Christian » et un capitaine de la DRGS (Direction générale des renseignements et des services généraux) avait loué une maisons à un jet de pierres de la résidence de Chebeya sur l’avenue Démocratie à Binza/Ma Campagne.

Enterrement de Floribert Chebeya

L’annonce de l’interpellation du major Christian Ngoy a retenti, mercredi 3 septembre, comme un coup de tonnerre. L’homme a été transféré à Kinshasa. Il s’agit d’un des acteur-clés dans la « mise à mort » de Floribert Chebeya et de la « disparition » de son collaborateur Fidèle Bazana. Praticien d’arts martiaux, Ngoy aurait personnellement torturé le défenseur des droits humains.

Dans une intervention faite sur les ondes de Radio Okapi, jeudi 4 septembre, Rostin Manketa, secrétaire exécutif de la « VSV » (La Voix des Sans Voix pour les droits de l’homme) a émis le vœu de voir les autorités judiciaires se saisir « rapidement » de ce dossier afin de faire éclater la vérité sur les circonstances exactes de l’assassinat de ces deux défenseurs des droits humains.

Dans un tweet posté sur son compte @jeanclaudekat2, Jean-Claude Katende, président de l’Asadho (Association africaine de défense des droits de l’homme) a écrit ces mots: « Les lignes commencent à bouger. L’arrestation de Christian Ngoy est un pas positif pour la reprise du procès Chebeya. Le régime de Kabila était un régime protecteur de criminels ».

La « résurrection » de ce dossier judiciaire ne manquera pas de faire monter la tension d’un cran au sein de la « coalition » Fcc/Cach. Et pour cause, John Numbi Banza est considéré tant par la famille que les proches de Chebeya et Bazana comme étant le « suspect numéro un ».

En réfléchissant par l’absurde, personne ne croit sérieusement que Numbi avait un motif pour ôter la vie à « Floribert ». L’ordre d’éliminer ce dernier venait sans aucun doute de la sacro-sainte « haute hiérarchie ».

Dès le lendemain de l’accession de « Joseph Kabila » à la tête de l’Etat congolais, la « VSV » et son directeur exécutif  Floribert Chebeya sont devenus une sorte de « poil à gratter » pour le successeur de Mzee. Dans plusieurs sorties médiatiques, le directeur de VSV a dénoncé la « dérive dictatoriale » autant que ce qu’il appelait « la culture de la gâchette facile ».

En 2005, Chebeya a commencé à sentir la menace planer sur sa tête telle une épée de Damoclès. Il dut sortir du pays afin de se mettre à l’abri d’un régime despotique en gestation. A Bruxelles, il a tenu une conférence de presse au centre culturel flamand près de la Place Liedts.

Au lendemain de sa « victoire » à l’élection présidentielle de 2006, « Kabila » jette le masque. Dans une interview accordée au « Soir » de Bruxelles daté du 16 novembre 2006, il lance: « Beaucoup de gens ne connaissent pas le président Kabila. Ils se trompent s’ils pensent qu’après les élections, ce sera la même chose que pendant la transition. Ce sera la rigueur, et surtout la discipline, car sans la discipline, on ne peut  pas construire une nation. (…)« .

Photomontage, John Numbi et Floribert Chebeya

C’est au nom de cette « discipline » que « Kabila » envoie une expédition punitive au Bas-Congo (Kongo Central). Des éléments du « Bataillon Simba », une unité paramilitaire, sont déployés, début 2007 et 2008, pour réprimer des adeptes du mouvement politico-religieux Bundu dia Kongo, rebaptisé Bundu di Mayala. Ces derniers protestaient bruyamment contre la « corruption » ayant émaillé l’élection du gouverneur et de son adjoint. Bilan: 134 morts et plusieurs dizaines de blessés. Le bataillon Simba était commandé par John Numbi Banza Tambo et Raüs Chalwe Ngwashi, alors colonels.

Selon des sources, le patron de la Mission onusienne au Congo d’alors, l’Américain William L. Swing avait enfermé dans un tiroir le rapport accablant établi par des experts onusiens.

Dans un communiqué daté du 5 février 2007, la « VSV » dénonça « les violences aveugles ayant occasionné la tragédie » dans cette province. L’association d’exiger une « enquête indépendante internationale » pour faire la lumière sur ces « incidents sanglants ». En vain.

Début mars 2010, « Floribert » se rend à Genève où devait être désigné un « Rapporteur spécial » des droits de l’homme au Congo. A cause du groupe des « 77 » composé des Etats d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, la thèse soutenue par le régime de « Kabila » a triomphé. Pas de Rapporteur spécial.

Avant de reprendre son avion à Bruxelles pour regagner Kinshasa, il confia à l’auteur de ces lignes ses états d’âmes. Il a commencé par se plaindre de la communauté internationale. « Les partenaires que j’ai visité m’ont répété que les droits de l’homme ne sont plus à l’ordre du jour. Maintenant, ils mettent l’accent sur la stabilisation. Je me suis époumoné, sans succès, à leur faire comprendre que les violations des droits humains continuent de plus belle ».

Sur un ton prémonitoire « Floribert » a commencé par évoquer les cas des défenseurs des droits humains arrêtés ou tués. Il cite, pêle-mêle, Golden Misabiko, Pascal Kabungulu Kibembi abattu le 31 juillet 2005 à Bukavu « par des hommes en uniformes ». Il poursuit: « le syndicaliste Enoch Bavela de la Fonction publique est mort misérable ». Il égrène aussitôt les journalistes victimes d’assassinats camouflés en crimes crapuleux: Louis Bapuwa Mwamba, Franck Kangundu dit Ngycke, Serge Maheshe et Didace Namujimbo. Selon lui, toutes ces situations poussent les activistes des droits humains à envisager l’expatriation. « J’exhorte mes camarades à rester persévérants dans ce noble combat qui ne vise qu’un seul objectif: le bien commun par l’avènement d’un pays où il fait bon vivre », fait-il remarquer.

Le lendemain, nous tenons une rencontre à trois avec l’avocat bruxellois Jean-Claude Ndjakanyi. Son message est simple: « La VSV voudrait engager des poursuites judiciaires contre l’ancien ministre de l’Intérieur Denis Kalume Numbi, le général John Numbi Banza et le colonel Raüs Chalwe devant les juridictions belges dans le cadre de la loi à compétence universelle. Pourriez-vous me trouver des parents des victimes des événements de Bundu dia Kongo afin qu’ils se constituent parties civiles? » Le juriste Ndjakanyi est chargé de rédiger la plainte.

Durant deux mois, Me Ndjakanyi et l’auteur de ces lignes passent le message au sein de la diaspora congolaise de Belgique. Hélas, aucun « parent » des victimes ne s’est pointé. Fatigué d’attendre, Floribert Chebeya envoya à Ndjakanyi cet email daté du 31 mai 2010, soit un jour avant le rendez-vous fatal avec John Numbi.

« 31.05.2010 Cher Me Jean Claude,

Merci pour toutes les actions en faveur des victimes de la répression des adeptes du Mouvement politico-religieux BDK.

La VSV vous avait déjà fait part de sa volonté de se constituer partie civile dans cette affaire.

Quant aux victimes, certaines d’entre elles ont été retrouvées. Mais la question qui reste est « de savoir un peu plus sur leur représentation. faudra-t-il une procuration spéciale pouvant « vous permettre de les représenter et de plaider à distance en leur faveur ou elles devront « assister elles-mêmes ou leurs proches au procès?

Merci de nous préciser pour finaliser les contacts avec les victimes et/ou leurs proches.

Meilleures salutations.

Floribert CHEBEYA Fullstop ».

Des membres de la police d’intervention rapide

Le mardi 1er juin 2010, une nouvelle se répand comme une traînée de poudre: Floribert Chebeya a disparu. Il avait rendez-vous ce jour à 17h30 avec l’Inspecteur général de la police nationale, John Numbi. Le lendemain, on apprendra avec stupeur que le corps sans vie du défenseur des droits humains a été découvert sur la banquette arrière de sa voiture au Quartier Mitendi, sur la route de Matadi. Le chauffeur Bazana est porté disparu.

On assiste à une vive agitation à la Présidence de la République. John Numbi est suspendu de ses fonctions. Huit officiers et sous-officiers de police sont suspectés d’avoir participé à cette « opération »: Daniel Mukalay wa Mateso, inspecteur principal et directeur adjoint de la DRGS; Georges Kitungwa Amisi, inspecteur adjoint DRGS; François Ngoy Mulongoy, inspecteur adjoint, DRGS;  Michel Mwila wa Kubambo, commissaire, DRGS; Blaise Mandiangu Buleri, sous-commissaire adjoint (Police d’intervention rapide).

Lors du procès ouvert à la Cour militaire de la garnison de Kinshasa en novembre 2010, trois policiers manquent à l’appel. Il s’agit de: major Christian Ngoy Kenga Kenga, commandant du Bataillon Simba; l’Inspecteur Paul Mwilambwe, chef de service de sécurité à l’Inspection générale de la police nationale et de Jacques Mugabo, sous-commissaire adjoint, Police d’intervention rapide.

Le 17 juin 2010, la rédaction de Congo Indépendant est contactée par un certain Amisi Mugangu. L’homme se présente comme sous-commissaire adjoint de la police. « J’ai participé à l’assassinat de Chebeya et de son chauffeur. Je suis prêt à dire tout ce que je sais », dit-il de Kampala, en Ouganda. Selon lui, Chebeya a été tué par « étouffement ». Il raconte: « C’est le lundi 31 mai 2010 vers 10 heures que l’Inspecteur général lui-même a instruit le colonel Daniel dans son bureau. Au retour, le colonel nous a réunis pour répercuter l’ordre du général Numbi et de la hiérarchie que nous devons en finir avec Floribert Chebeya. Sans laisser des traces ». Qui a commandité ce double crime? « L’ordre venait de la haute hiérarchie ». Quel en est mobile? « Floribert faisait des rapports contre le régime à la communauté internationale ». Où est le corps de Fidèle Bazana? « Le corps a été jeté dans le fleuve vers Kinsuka ». Et si l’homme qui porte le sobriquet d’Amisi Mugangu et le sous-commissaire adjoint Jacques Mugabo était la même personne?

Après des années d’exil à Dakar en son corps défendant, l’inspecteur Paul Mwilambwe se trouve actuellement en Belgique. L’homme en savait trop sur les circonstances de l’exécution de Floribert Chebeya et son compagnon d’infortune Fidèle Bazana. Il est prêt à témoigner. L’heure de vérité a sonné. Après le major Christian Ngoy, à qui le tour?

 

B.A.W.

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