Basile Diatezua: « L’organisation des élections doit revenir au ministère de l’Intérieur! »

Economiste de formation, ancien président de la Fédération de l’UDPS-Benelux dans les années 80, Basile Diatezua est une « vieille figure » de la diaspora congolaise de Belgique. Il vient de passer plusieurs mois au Congo-Kinshasa après quarante années passées en exil. Il dit avoir été impressionné par « l’ambiance de liberté » qui règne à Kinshasa depuis que Felix Tshisekedi est au sommet de l’Etat. Il a été impressionné également par le « potentiel artisanal » (ferrailleur, menuisier, ébéniste, soudeur, cordonnier, tailleur, couturière etc.) dont dispose notre pays. Selon lui, ce « potentiel » n’attend qu’un « coup de pouce » financier pour faire émerger des petites entreprises. Au lendemain du discours du président Mobutu, du 24 avril 1990, annonçant la restauration du pluralisme politique, on a vu « Basile » aux côtés de l’ancien Premier commissaire d’Etat (Premier ministre) Jules Sambwa Pida Nbangui. Ils animaient un groupe de réflexion dénommé « Club Zaïre-2000 ». Au cours du second moitié de l’année 2000, il a présidé, à partir de Bruxelles, « l’Institut Al Kadhafi ». Après quarante années passées en exil, le Bruxellois est rentré au pays en décembre 2020. A Kinshasa, il a été reçu par le chef de l’Etat. Pour lui, il faut rétablir le ministère de l’Intérieur dans son rôle d’autorité chargée d’organiser les élections. INTERVIEW.

Depuis plusieurs mois, on ne vous voit plus en Belgique. Qu’êtes-vous devenu?

Depuis le mois de décembre 2020, j’ai séjourné au pays précisément dans la province du Kongo Central. Je suis en train de monter une activité agro-pastorale. De là, j’observe l’évolution la situation générale du pays.

Vous avez dirigé, dans les années 80, la fédération de l’UDPS-Benelux. Regrettez-vous d’avoir quitté cette formation politique qui est aujourd’hui au pouvoir?

Je ne regrette pas que l’UDPS soit au pouvoir. Je tiens à préciser que je n’ai pas quitté l’UDPS. En fait, j’avais remis mon mandat à ma Fédération. C’était au lendemain de la signature de l’accord de Gbadolite entre le président Mobutu et le collège des fondateurs du parti. Vous vous souviendrez qu’aux termes dudit accord, des hauts cadres de l’UDPS devaient réintégrer le parti-Etat moyennant un « droit de tendance ». Des membres du collège des fondateurs furent nommés dans les structures du Mouvement Populaire de la Révolution à l’exception de feu Etienne Tshisekedi wa Mulumba. Cette situation a généré une certaine confusion au niveau de la dialectique politique du parti. Voilà pourquoi, j’avais préféré remettre mon mandat de président élu aux membres de ma Fédération. Je n’étais plus capable de transmettre à ces derniers un message fidèle et cohérent.

Vous êtes donc « en réserve de la République », selon la formule consacrée?

Bien-sûr!

Dans les années 1990, on vous retrouve aux côtés de l’ancien Premier commissaire d’Etat Jules Sambwa dans le think tank « Club Zaïre-2000″…

C’était un institut pour la promotion de la démocratie au Zaïre. Après l’expérience acquise au sein de l’UDPS, j’avais estimé qu’il fallait vulgariser le débat sur des thématiques politiques. L’objectif était d’éclairer l’opinion sur la situation de notre pays. J’en ai fait la proposition à Jules Sambwa qui l’a accepté. Ensemble, nous avons organisé des conférences et des colloques. Sans oublier des séminaires.

Le « Club Zaïre 2000 » n’a pas survécu à la disparition de Jules Sambwa. L’association ne tenait-t-elle qu’à sa personne et non aux idées?

Vous n’êtes pas sans savoir la mentalité politique au Congo-Kinshasa: celui qui est à la tête d’une association politique en est également le bailleur de fonds. Forcément, la disparition d’une telle personne engendre des conséquences fâcheuses pour la structure…

Dans la seconde moitié de l’année 2000, une certaine opinion congolaise ne cachait pas son étonnement de vous voir côtoyer des cadres du CNDP de Laurent Nkunda qui défendait la cause dite des « Banyamulenge ». Quelle est votre version des faits?

Il importe de noter que j’ai été le Président de « l’Institut Al Kadhafi ». Cette association avait pour but l’animation de la « pensée panafricaniste » en vue de l’unité politique du continent à travers l’Union africaine, selon le modèle européen. Il était intéressant de diriger ce think tank à partir de Bruxelles. Nous animions une idée: la constitution de l’unité africaine. Les affaires libyennes ne nous intéressaient pas. En tant qu’homme politique congolais, je me suis intéressé à plusieurs problématiques de notre pays. C’est le cas notamment de la crise à l’Est.

C’est ici qu’a commencé votre intérêt pour le CNDP…

Je m’explique. Il y a eu l’accord de Sun City en 2002 ayant donné naissance au régime de « Transition 1+4 » ou un Président et quatre vice-Présidents dont un était issu du RCD-Goma. Il s’agit d’Azarias Ruberwa. Quelques années après, on apprenait que le CNDP de Laurent Nkunda a repris les hostilités dans les provinces du Kivu. En tant qu’intellectuel et président de l’Institut « Al Kadhafi », j’ai cherché à comprendre ce qui s’est passé. Le colonel Kadhafi m’a interpellé sur la question. « Je vais aller sur place à l’Est pour m’enquérir de la situation », lui ai-je répondu. Mon objectif était de comprendre le sens de cette nouvelle lutte armée – menée par Nkunda qui fut le chef d’état-major du RCD – alors que le gouvernement mis en place à Kinshasa comptait en son sein un vice-Président issu du RCD-Goma. J’ai été reçu par Laurent Nkunda dans le Masisi. Il m’a tout expliqué.

Les lecteurs de « Congo Indépendant » apprécieraient particulièrement de savoir le facteur ayant poussé le citoyen congolais Basile Diatezua à « embrasser » ce que d’aucuns appellent la « cause Banyamulenge »!

Selon Nkunda, la question « Banyamulenge » n’a pas été résolue à Sun City. Louis Michel, alors ministre belge des Affaires étrangères, avait conseillé à Ruberwa de reporter l’examen de ce dossier à Kinshasa. Après avoir entendu les griefs du CNDP, j’ai estimé que la cause défendue était juste tant sur le plan humain que politique. La communauté internationale a abondé dans le même sens. Je n’ai jamais été fondateur du CNDP. Encore moins un haut cadre.

Vous revenez de Kinshasa. Comment se porte le pays, trois années après l’accession de Felix Tshisekedi à la tête de l’Etat?

« Felix » a trouvé un pays ruiné et totalement détruit. Il n’est pas un magicien, comme disait Mobutu, pour faire des miracles. La coalition Fcc-Cach ne lui a pas rendu la tâche facile. La crise est profonde. Cette crise n’est pas seulement matérielle mais aussi morale. Il y a une crise au niveau des valeurs.

Trois années après, qu’est ce qui a changé, selon vous?

Je me suis promené en toute sécurité dans la ville de Kinshasa.

Voulez-vous dire qu’avant c’était inimaginable?

Absolument! J’ai passé presque quarante ans en exil. Quand je me promène aujourd’hui dans la capitale, je me sens libre et en sécurité. Je n’ai pas été tracassé par l’Agence nationale de renseignements ou la police pour mes idées politiques. J’ai vu des gens qui manifestent. Je n’ai pas vu le président Fatshi menacer ses opposants. Il y a déjà cette décrispation au niveau de la violence politique. Je parle bien de la violence politique à Kinshasa. Je ne parle pas de ce qui se passe à l’Est entre les ethnies. Je constate qu’un nouvel état d’esprit émerge dans notre pays. Le pouvoir commence à être tolérant vis-à-vis de ceux qui ne partagent pas ses idées. Et ce en dépit de l’existence d’une certaine « pagaille ». Une chose paraît sûre: il n’y a plus de « violence aveugle ». C’est un bon début!

Qu’en est-il de l’économie?

Il faut, bien entendu, améliorer le climat des affaires pour inciter les investisseurs à retrouver le chemin du Congo. Je suis stupéfaits d’entendre des leaders de l’opposition déclarer publiquement qu’ils vont agir pour décourager les investisseurs étrangers à venir au Congo. Il y a de quoi à se poser des questions sur le mental de l’homme politique congolais.

Que répondez-vous à ceux qui soutiennent que, trois années après (dont deux années de cohabitation Fcc-Cach), Felix Tshisekedi n’a pas honoré ses promesses. Les griefs tournent notamment autour de l’eau courante, l’électricité, les soins de santé, l’emploi…

Il y a une chose qui a gangrené le pays: la corruption. La cupidité. Pour avoir de l’électricité pendant trois ou quatre jours, des habitants d’un quartier kinois vont cotiser pour corrompre le directeur de réseau de la SNEL. Pour mettre fin à cette situation, il faut démanteler toute la « chaine de corruption » jusqu’à la tête de la SNEL ou de la REGIDESO. Le travail que fait l’Inspection générale des finances [de démanteler les détourneurs] constitue un grand pas dans la bonne direction. C’est une opération sans précédent! Les conditions sont réunies pour amorcer une gouvernance qui va dans le sens des attentes de la population.

La population, elle, ne se satisfait que des résultats ayant un impact sur le vécu quotidien…

A Kinshasa, il n’y a pas de pénurie alimentaire. Bien au contraire.

Devrait-on parler de la modicité du pouvoir d’achat?

Même pas! Le problème se situe au niveau des revenus. Il n’y a pas assez d’entreprises pour créer des richesses. Il faut un minimum institutionnel. Il faut également un minimum de bonne gouvernance pour que les détenteurs des capitaux trouvent une ambiance propice pour les affaires. Le Congolais est un peuple travailleur. Il n’y a pas encore un environnement socio-économique pour améliorer leurs revenus. Les denrées alimentaires sont là! Mais il n’y a pas de revenu. Pourquoi? Parce qu’il n’y a pas d’emplois. On devrait encourager l’entreprenariat. Dans la capitale, j’ai noté l’existence d’un « potentiel artisanal » phénoménal: ferrailleur, menuisier, ébéniste, soudeur, cordonnier, tailleur, couturière etc. Ces métiers n’attendent que l’accès à un financement pour promouvoir une petite entreprise. On devrait créer un « quartier artisanal », à l’image des zones industrielles. Une bonne gouvernance pourrait faire de notre pays un futur « dragon »

Avez-vous été reçu par le président Felix Tshisekedi?

Oui! Nous avons évoqué le climat général du pays. J’ai constaté qu’il est resté tel que je l’ai connu ici en Belgique à l’époque où il était un jeune militant dans la Fédération de l’UDPS que j’animais. J’ai vu une personnalité affable qui a l’écoute. Une personnalité motivée, qui a de bonnes intentions pour faire avancer notre pays.

Que répondez-vous à ceux qui clament que « Fatshi a de bonnes intentions pour le pays mais il est mal entouré »?

Je ne peux pas me permettre d’émettre un avis. Je ne suis pas là pour juger les uns et les autres. Ce n’est pas mon rôle. Il appartient au chef de l’Etat de voir s’il y a des failles dans son entourage pour apporter des correctifs.

La désignation de Denis Kadima à la tête du Bureau de la Ceni a provoqué une « crise » entre l’Etat et les églises catholique et protestante. Quel est votre avis? Y a-t-il eu violation de procédure comme ces deux confessions religieuses l’ont clamé?

C’est une situation qui démontre que nous avons encore beaucoup à faire sur le plan politique dans notre pays.

Faudrait-il laisser aux confessions religieuses l’apanage de « sélectionner » les postulants à la Présidence du bureau de la Ceni?

Je vais répondre à votre question en faisant un détour historique. A l’époque du président Joseph Kasa Vubu, le ministère de l’Intérieur du Congo a organisé les dernières élections générales de la Première République. C’était en 1965. Le vote s’est déroulé dans une transparence totale. J’estime que le ministère de l’Intérieur peut reprendre son rôle d’antan. Nous savons les conditions ayant prévalu à la création de la Commission électorale nationale indépendante.

Quelles étaient ces « conditions »?

Nous savons ce qu’il y a eu comme tripatouillage de la part de ceux qui avaient piloté la Transition dirigée par Joseph Kabila. On nous a dotés d’un « monstre » soi-disant pour « appuyer » la démocratie. On voit bien que cette institution n’a pas peu contribué à la déstabilisation du climat politique. La Ceni est devenue, à la longue, un instrument entre les mains des « puissants du moment ». On a encore frais en mémoire les tripatouillages opérés lors des élections de 2006.

« Voyage à Canossa », disent des commentateurs au sujet de la visite que trois animateurs des institutions nationales ont effectuée, mardi 23 novembre, chez le cardinal Ambongo (Cenco) et le Pasteur André Bokundoa (ECC). Est-ce votre avis?

J’ai beaucoup apprécié ces rencontres. Je suis d’avis que les linges sales se lavent en famille. Il n’ y a eu ni vainqueur ni vaincu. C’est entre nous les Congolais. Les Congolais peuvent s’entendre à aplanir leurs différends.

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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