Ces faits qui apportent de l’eau au moulin de Tshiani…

Depuis samedi 3 et dimanche 4 juillet, les combats font rage sur les hauts plateaux de Minembwe dans le Territoire de Fizi (Sud-Kivu), en pays Filuro et Bembe. Les forces armées congolaises (FARDC) affrontent des miliciens appartenant aux groupes armés Makanika, Twiganeho et Ngumino. Ceux-ci se réclament de la « communauté Banyamulenge », la seule tribu non-répertoriée au Congo-Kinshasa. Bilan provisoire: cinq militaires et quinze miliciens tués.

Contrairement à certains pays de Grands lacs où les habitants sont localisés à partir de telle ou telle autre colline, au Congo-Kinshasa, chaque tribu ou ethnie est rattachée à un espace territorial (village) bien déterminé. Les habitants de chaque province sont globalement connus. Il en est de même de ceux des territoires, secteurs et chefferies.

Le mot « Banyamulenge » – qui veut dire « ceux de Mulenge » en Kinyarwanda – est le « surnom » adopté par des anciens réfugiés Banyarwanda qui vivent, depuis 1961, notamment à Lemera, Mulenge et Katobo. Cette émigration eut lieu au lendemain de la « révolution sociale » des Hutu de 1959 à 1961 ayant abouti au renversement du régime monarchique.

Que veulent les assaillants? Ils revendiquent, les armes à la main, la qualité de « Congolais d’origine ». Leur lutte ressemble à une « guerre de conquête territoriale ». Et pourtant, depuis la nuit des temps, le territoire convoité est habité par les Fuliro et les Bembe. En tant que sujets étrangers, les auto-proclamés « Banyamulenge » ont le loisir de se conformer à la loi en sollicitant, individuellement, l’obtention de la nationalité congolaise par la naturalisation.

Des documents historiques attestent que la population congolaise est composée de quatre groupes: les Pygmées, les Bantous, les Soudanais (Azande et Mangbetu) et les Nilotiques (Alur, Kakwa, Bari, Lugware, Logo). A titre d’exemple, l’annuaire de la RDC publié en 1965 (Editions Havas) note qu’il faut ajouter, aux quatre groupes précités, les Hamitiques. Ces derniers proviennent en majeure partie des « réfugiés » en provenance du Rwanda. « Ce sont les Batutsi de la Région de Kabare et Kalehe au Kivu », peut-on lire dans un « Nota Bene ».

Des sources concordantes assurent qu’un officier déserteur des Fardc serait le « coordonnateur » de ces groupes armés. Il s’agit du colonel Michel Rukunda, alias « Makanika ». L’homme est né aux environs d’Uvira. Cette naissance n’a pas fait naître en lui des attaches psychologiques avec le pays qui l’a vu naître. Encore moins, les fonctions de commandant d’un régiment des Fardc à Bunia.

Rukunda rejoindra l’Armée patriotique rwandaise au lendemain de la prise du pouvoir à Kigali par le Front patriotique en 1994. On va le retrouver dans les troupes rwandaises de l’AFDL avant d’intégrer les Fardc à travers le jeu de « brassages » et « mixages ». C’est depuis janvier 2020 que cet officier supérieur « congolais » a déserté l’armée en rejoignant les Hauts plateaux pour « défendre les membres de sa communauté ».

Cinq jours après le dépôt, au Bureau de l’Assemblée nationale, de la « proposition de loi » dite Tshiani par le député national Nsingi Pululu, l’opinion nationale paraît divisée. Il y a, d’un côté, ceux qui suspectent le président Felix Tshisekedi Tshilombo « d’être à la manœuvre » dans l’objectif, disent-ils, d’écarter quelques « adversaires potentiels » de la course à la présidentielle de 2023. De l’autre, il y a ceux qui n’approuvent pas la démarche tout en exprimant de la « compréhension ». Ici, il est question des souvenirs traumatiques laissés non seulement par l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) mais aussi par ses avatars que sont le RCD-Goma d’Azarias Ruberwa, le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) de Laurent Nkunda et le M23 de Jean-Marie Runiga et Sultani Makenga. Les « brassages » et les « mixages » entre les anciens combattants et les Fardc ont permis à des individus à la « loyauté chancelante » de s’infiltrer dans les grands corps de l’Etat. « Plus jamais ça! », répète-t-on.

Au risque de choquer, on ne pourrait s’empêcher de déplorer une certaine paresse intellectuelle perceptible dans le traitement de cette problématique. Par facilité, certains confrères ont préféré gloser sur la thèse de « complot » ourdi par des « tshisekedistes ». L’auteur de ces lignes ne pourrait ni confirmer ni infirmer cette allégation. Reste que les tenants de cette affirmation peinent à la démontrer.

Dans les écoles modernes de journalisme, le futur journaliste est formé à dépasser l’apparence des choses en gardant une attitude de « doute permanent » dans la quête de la vérité. Dans cette quête, il ne doit pas se limiter à répondre, de manière superficielle, aux six questions classiques: Qui (a fait) Quoi, Où, Quand, Comment, Pourquoi? Le journaliste doit s’attarder sur le « Pourquoi? » en perçant la motivation. Bref, les raisons du fait relaté.

A en croire Noël Tshiani, sa démarche vise à faire « verrouiller » l’accès aux fonctions d’Etat touchant à la souveraineté et la sécurité nationale. Et partant, empêcher des individus tels que Azarias Ruberwa, Bizima Karaha, Bosco Ntaganda, Michel Rukunda, Jean-Marie Runiga ou Sultani Makenga (c’est nous qui le soulignons) d’exercer de hautes fonctions tant au plan politique, militaire que dans le portefeuille de l’Etat.

Des Congolais nés de père et de mère congolais ont contribué à la destruction de leur pays? Certains sujets étrangers n’ont pas peu œuvré à l’essor économique et social du Congo-Kinshasa? Sans doute. Quel est le problème?

Les combats qui opposent actuellement les Fardc aux groupes armés précités sur les Hauts plateaux du Sud-Kivu interpellent et les souvenirs douloureux laissés par les troupes rwandaises au Congo-Zaïre sont des faits de nature à apporter de l’eau au moulin de Noël Tshani.

Le constat est là: les provinces du Kivu et de l’Ituri peinent à sortir de l’instabilité. Qui oubliera le transfert de 40.000 militaires des Forces armées zaïroises dans un « camp de concentration » à la Base militaire de Kitona, au Kongo Central? Qui oubliera également qu’à l’époque, le colonel rwandais James Kabarebe (à gauche sur la photo) exerçait les fonctions de chef d’état-major général des Fardc? Faudrait-il, enfin, rappeler que plusieurs centaines de ces soldats sont morts de malnutrition ou de maladie?

Les Congolais de Kinshasa sont et restent un peuple hospitalier. Tolérant. Qui oubliera qu’un citoyen rwandais, ancien étudiant à l’Université Lovanium, a occupé, durant une dizaine d’années, les fonctions stratégiques de directeur de cabinet (Bureau) du président Mobutu Sese Seko?

Que s’est-il passé depuis lors, pour qu’on en arrive là avec la « proposition de loi Tshiani »? Cette question a été, hélas, éludée par les médias kinois. Et pourtant, c’est une question fondamentale qui mérite bien d’être posée…

 

Baudouin Amba Wetshi

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