« Comment parler des faits qui ne se sont pas produits? »

C’est le titre d’un ouvrage publié l’année dernière, aux Editions de Minuit, par le professeur Pierre Bayard. Au moment où les réseaux sociaux pullulent des faits imaginaires ou des informations erronées, ce psychanalyste a engagé le pari de défendre ce qu’il appelle « le droit de s’exprimer et de donner son avis sur des faits  qui ne se sont pas produits ».

Le prof’ Bayard prend, de manière assumée, le contrepied de ceux qui dénoncent les « fake news » ou « infox ». Selon lui, les « informations fausses » constituent « une source de bien-être psychologique en stimulant la curiosité et l’imagination ouvrant ainsi la voie à la création littéraire comme aux découvertes scientifiques ».

Le « massacre des étudiants du campus de Lubumbashi » ne devrait-il pas être inséré dans le « hit-parade » de ces « faits » dont tout le monde parle alors qu’ils ne se sont jamais produits?

Le 22 mai 1990, le quotidien bruxellois « Le Soir » rapporte, sous la plume de la journaliste Colette Braeckman, qu’une cinquantaine d’étudiants ont été égorgés par la garde présidentielle de Mobutu Sese Seko au Campus de l’université de Lubumbashi. En dehors d’un communiqué d’Amnesty International, toutes les sources citées par Braeckman sont « anonymes ».

Sans vérifier les faits ni dépêcher des reporters sur le terrain pour interroger les « survivants » et les parents « d’étudiants égorgés », la presse zaïroise de l’époque choisit, comme à son habitude, la facilité. Une facilité qui consiste à relayer, sans le moindre doute ni esprit critique, les articles publiés à 8.000 kilomètres du « théâtre du crime ». On va assister à une sorte de surenchère au niveau des médias internationaux. Chacun y va avec son bilan: 50, 100 voire 150 morts.

Dans son ouvrage « Le dinosaure, le Zaïre de Mobutu », publié en 1992, chez Fayard, Colette Braeckman monte les « offres ». « Les premiers lettres parvenues en Belgique, écrit-elle, faisaient état d’une cinquantaine de morts (…). D’autres estimations étaient beaucoup plus élevées encore: des représentants belges concluent en privé à plus de 300 morts; l’un des membres de la garde civile qui se trouvaient sur le campus avoue avoir dénombré 347 corps ». Vous avez bien entendu!

Tuyautée manifestement par des « bantous », la journaliste du « Soir » a réponse à tout. Qui a commandité le « massacre »? Poser la question, c’est y répondre. Quid du mobile? Ici, c’est un pseudo-témoin oculaire qui répond. Son nom: « révérend » Victor Digekisa Piluka.  Président d’un syndicat étudiant dit « solidarité », Digekisa prétend que son organisation avait exigé la « démission de Mobutu et son clan de barons ». Qui sont les tueurs? Aux pages 25, 15 et 16 de l’ouvrage de Braeckman, on peut lire notamment: « (…), les commandos masqués de Lubumbashi (…) sont en majeure partie des hommes originaires de la tribu même du Président, les Ngbandi ». Où sont les cadavres? « (…). Durant la nuit, les assaillants ont visité les chambres, fouillé sous les lits avec leurs baïonnettes dans le vagin ». « (…), les morts et les blessés sont systématiquement ramassés et entassés dans des véhicules ». A en croire cette journaliste belge – perçue comme un « modèle » -, « les cadavres ont été dissous dans l’acide sulfurique » dans les installations de la Gécamines. Qu’en est-il des parents des victimes? « Les assassins ont payé les parents des victimes pour qu’ils n’organisent pas de deuil et ne réclament pas d’enquête ». Ouf! On a du mal à croire que c’est une journaliste occidentale qui débite de telles affabulations.

Le 24 avril 1990, le président Mobutu annonce la fin du parti-Etat et le retour au pluralisme politique. Cette annonce intervient dans un contexte. D’une part, la crise belgo-zaïroise. D’autre part, la fin de la Guerre froide.

Accusé faussement d’avoir commis des « massacres » à Timisoara, le dictateur roumain Nicolae Ceaucescu est renversé et exécuté avec sa femme Elena. C’était en décembre 1989. Les médias occidentaux se sont contentés de relayer les dépêches émanant de l’Agence de presse bulgare. Scandale, tout était faux. Et ce y compris les cadavres présentés en guise de preuve de massacre. Ces derniers provenaient de la morgue de Timisoara. Les médias occidentaux ont fait leur mea culpa. N’empêche, le faux massacre de Timisoara a fait des émules. « Lubumbashi » est un cas symptomatique.

Trois décennies après le fameux « massacre » de Lubumbashi, le Congo-Zaïre peine à se relever de cette vaste opération de déstabilisation. Les troupes d’élite de l’armée ont été faussement accusées d’avoir tué des étudiants. Trois décennies après, la population congolaise reste traumatisée par une tuerie massive imaginaire qui est restée dans l’inconscient collectif.

Les spectateurs de l’émission « Canal presse » de « Canal Kin Télévision » n’ont pas manqué de tressaillir, lundi 22 mars, en entendant le politicien Bazin Pembe, qui serait avocat de profession, clamer que le « massacre » de Lubumbashi a bel et bien eu lieu. Et que c’est Honoré Ngbanda Nzambo ko Atumba qui avait organisé cette attaque. Etrangement, le juriste a affirmé sans se soucier de démonstration. Si un « intellectuel » pense qu’il y a eu « massacre » que dire du citoyen lambda?

N’en déplaise au professeur Pierre Bayard dont le « combat » consiste à faire reconnaitre à tout affabulateur (c’est nous qui le soulignons) « le droit de s’exprimer et de donner son avis sur des faits qui ne se sont pas produits », cette « divagation intellectuelle » est de nature à mettre le monde en danger. C’est une histoire de fous…

 

Baudouin Amba Wetshi

Happy
Happy
0 %
Sad
Sad
0 %
Excited
Excited
0 %
Sleepy
Sleepy
0 %
Angry
Angry
0 %
Surprise
Surprise
0 %