Congo-Kin: La dignité perdue des professeurs d’universités

Depuis sa désignation en qualité de « dauphin » du Président hors mandat, Emmanuel Ramazani Shadary croule sous le poids d’ « actes d’allégeance ». Le dernier du genre remonte à samedi 8 septembre. Il est l’œuvre d’un groupe de professeurs d’universités étiquetés « kabilistes ». Les intéressés auraient été « encouragés » tant par le cabinet du « raïs » que le ministre de l’Enseignement supérieur. Cette démarche que d’aucuns qualifient d’infamante pour le « corps enseignant » a suscité un tollé d’indignation dans les milieux universitaires. Contre toute attente, le destinataire du message s’est empressé de « moraliser », poliment mais fermement, les flagorneurs. Jeudi 6, le ministre de l’Enseignement supérieur, l’ex-opposant Steve Mbikayi rappelait à des représentants d’étudiants « l’apolitisme du monde universitaire ». Incohérence?

Le journaliste américain Chris Hedges

Dans son ouvrage « L’empire de l’illusion », le journaliste américain Chris Hedges écrit notamment que « les universitaires sont responsables de nos maux historiques ». Selon lui, la cause de cette situation est à rechercher dans leur refus de l’autocritique. Procès d’intention?

Au Congo-Kinshasa, les professeurs d’universités ont mauvaise presse. Toute généralisation serait naturellement hasardeuse. Il est reproché à ceux des « universitaires » qui combinent le métier d’enseignant à l’exercice des fonctions politiques – ou « murmurent » à l’oreille du « Prince » – de ne pas « faire » ce qu’ils « disent » aux étudiants dans les amphithéâtres.

Depuis la Deuxième République de Mobutu Sese Seko aux régimes successifs de Mzee Kabila et de « Joseph Kabila », les épithètes « opportuniste » et « obséquieux » sont accolées au titulaire du titre de « professeur d’université ». A tort ou à raison, celui-ci est « accusé » d’être plus au service d’une carrière personnelle que de la justice et la vérité.

Samedi 8 septembre, un groupe de professeurs d’obédience « kabiliste » a créé un pitoyable événement en écornant l’ « apolitisme » censé caractériser le monde universitaire. La faute commise se présente sous la forme d’un message de « soutien » adressé à Emmanuel Ramazani Shadary, candidat à l’élection présidentielle de la coalition politique « FCC » (Front commun pour le Congo). L’homme le plus « adulé » du moment.

A la surprise générale, le destinataire de cette « expression de fidélité » a « salué » la démarche. Il ne s’est pas arrêté là. Bien au contraire. Il a « moralisé » ses interlocuteurs en leur rappelant les fondamentaux qui doivent leur servir de balises: « Les universitaires doivent éclairer les concitoyens et les ramener vers la raison et non vers les sentiments. Je suis convaincu qu’une université porteuse d’espoir doit demeurer une université sans couleur politique, une université totalement dépolitisée au profit de la science ». Détonnant!

DES « GUIGNOLS SCIENTIFIQUES »

Cette initiative des « profs' » a charrié un torrent d’indignation dans le monde universitaire. Le constitutionnaliste André Mbata Mangu n’a pas trouvé des mots assez durs pour clamer tout le mal qu’il y pense. « (…), notre objectif à nous, écrit-t-il dans un communiqué, a toujours été de magnifier les valeurs qui seules élèvent une nation. Il n’a jamais été et ne sera jamais celui d’aduler ou d’exprimer un ‘désir’ ou une ‘passion éternelle pour un homme’ comme on l’a vu samedi 8 septembre 2018 à Kinshasa ». Pour lui, les auteurs de cette action sont ni plus ni moins que des « guignols scientifiques » déguisés en « universitaires ».

Prof André Mbata

Depuis qu’il a accédé au « dauphinat », le secrétaire permanent du PPRD croule sous le poids « d’actes d’allégeances ». Les uns aussi hypocrites que les autres. Après les ressortissants du « Grand Kasaï », du « Grand Equateur » et ceux des quatre provinces issues du « Grand Katanga », il ne se passe pas un jour sans qu’on assiste à une « marche de soutien » en faveur du « nominé ». Des soutiens pour le moins « timides » comme pour dire que le choix du « raïs » est loin de faire l’unanimité au sein de l’oligarchie.

Selon une source proche du monde universitaire, il y aurait un « vent de panique » au sein de la « Kabilie ». Depuis la désignation surprise de Shadary en qualité de « dauphin », la cohésion interne ne tiendrait plus qu’au niveau de la façade. « Face aux intellectuels catholiques tels que Isidore Ndaywel, ‘Kabila’ avait cru trouver un répondant en la personne de l’historien Elikia Mbokolo. Le problème: la mayonnaise peine à prendre », commente notre interlocutrice. Et d’ajouter: « Tous ceux qui ont participé à l’élaboration de ce message sont certes des professeurs mais surtout des membres du comité de gestion qui agissaient sur injonction tant du ministre de l’Enseignement supérieur Steve Mbikayi que du cabinet présidentiel. Les professeurs ont perdu toute dignité du fait de la vénalité de quelques-uns ».

Pour cette source, cet « incident » vient à point nommer pour instaurer l’élection comme mode d’accession aux fonctions de recteur, de secrétaire général et de doyen. Pour lui, la suppression de la cooptation mettrait les comités de gestion des universités à l’abri de l’influence du ministre de la tutelle.

Jeudi 6 septembre, le ministre Mbikayi recevait des représentants des étudiants des différents établissements d’enseignements supérieurs de la ville de Kinshasa. Le discours du chef du département de l’Enseignement supérieur dissimulait mal une certaine duplicité: « La politique n’est pas interdite à un étudiant ou au personnel de l’université mais elle se fait en dehors du site universitaire qui a un caractère purement scientifique ».

 

B.A.W.

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