Congo-Kin: Que se passe-t-il à la Présidence de la République?

Une ambiance d’ « usure du pouvoir » semble régner à la Présidence de la République. Et ce au bout de sept mois d’exercice. Après un démarrage qui a suscité un réel espoir de renouveau, le président Felix Tshisekedi Tshilombo a engagé le pari très risqué en posant des actes de « gestion » en lieu et place du gouvernement. Depuis le mois de mars dernier, la Présidence de la République ne cesse de défrayer la chronique. Des contrats de gré à gré y sont signés, en toute opacité, en méconnaissance de la législation nationale sur les marchés publics. La dernière affaire en date est intervenue le samedi 31 août. Il s’agit de l’interpellation de deux inspecteurs de finances et de l’audition de l’inspecteur général des finances par… le conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de sécurité. On est où là!

« C’est une situation sans précédent qui vient de se produire à l’Inspection générale des finances. C’est la toute première fois que des policiers se présentent au siège de ce service administratif de l’Etat pour interpeller des inspecteurs de finances dont la ‘faute’ est d’avoir accompli leur mission ». L’homme qui parle est un ancien inspecteur de finances.

Justin Inzun Kakiak, ancien n°2 de Kalev Mutond

Au commencement, il y avait la fameuse « réquisition d’information » adressée, en date du 17 août 2019, à l’inspecteur général des finances par l’administrateur général de l’ANR (Agence nationale de renseignements). Celui-ci demande à ce haut fonctionnaire d’ « auditer tous les décaissements de fonds du trésor public au profit des ministères » du 24 janvier dernier – date de l’investiture de Felix Tshisekedi à la tête de l’Etat – « jusqu’à ce jour ».

Invoquant des « raisons impérieuses de sécurité d’Etat », le patron de l’ANR  demande la saisie « de tous les bons de retrait de fonds » ainsi que « tous les dossiers » initiés pour « sortir ces fonds ».

Dès la divulgation de cette démarche de l’ANR sur les réseaux sociaux, des voix se sont élevées pour crier au scandale en déniant aux « services » la compétence en matière de gestion des finances publiques.

Le 21 août, la radio onusienne « Okapi » a organisé un débat dans le cadre de son émission « Dialogue entre Congolais ». Thème: « RDC: les services secrets réclament un audit du gouvernement Tshibala depuis l’avènement de Felix Tshisekedi ». Les avocats Peter Kazadi et Hervé Diakese faisaient partis des invités. L’analyste politique Christian Moleka était le troisième intervenant.

« LA SÉCURITÉ PRIME TOUT »

Les auditeurs de ce média n’ont pas manqué de tressaillir en suivant la « plaidoirie » du député provincial Kazadi en faveur de cette Agence. Pour lui, « la démarche de l’ANR est tout fait normale ». A l’appui de sa thèse, le juriste d’invoquer l’inertie des structures habilitées à accomplir le travail de contrôle. La fin justifie donc le moyen. « La sécurité prime sur tout, clame-t-il. L’ANR doit surveiller tout le monde ». Des propos pour le moins surprenants dans la bouche d’un « tshisekediste » dont le parti compte de nombreuses victimes de l’arbitraire des « services ».

A en croire cet ancien opposant, l’ANR est en droit de mener des investigations « dans n’importe quel secteur de la vie nationale ».

Ce discours a fait hurler d’indignation Hervé Diakese qui fera remarquer qu’il faut choisir entre l’Etat policier qui exerce un pouvoir totalitaire et l’Etat de droit qui se soumet à l’autorité de la loi. « Il ne faut pas substituer une illégalité pour corriger une autre illégalité », a-t-il fait remarquer. Question: Peter Kazadi parlait-il au nom de la Présidence de la République ou en son nom personnel?

A tort ou à raison, l’intervention de ce cadre de l’UDPS a mis la puce à l’oreille de plus d’un observateur. Il n’y a pas l’ombre d’un doute: l’ANR est « instrumentalisée » par la Présidence de la République. Qui donc à la Présidence? Le chef de l’Etat en personne? Son directeur de cabinet? Le conseiller spécial en matière de sécurité? A quel dessein?

En cautionnant implicitement la « réquisition d’information » adressée à IGF par l’ANR, la Présidence de la République a ouvert la boîte de Pandore.

Une nouvelle affaire a, aussitôt, affolé les réseaux sociaux. Il s’agit de la « disparition » d’une somme de 15 millions USD destinée à donner une « compensation » aux sociétés pétrolières. L’argent dont question a été versé dans un compte privé à la Rawbank. La somme totale a été retirée en trois vagues par un conseiller à la Présidence.

« Joseph Kabila », ancien chef de l’Etat

L’OMBRE DE « JOSEPH KABILA »

Le pot aux roses a été découvert par des inspecteurs de finances. Ceux-ci ont manifestement été « tuyautés » par des sources très bien informées. On n’est pas loin de la réponse du berger à la bergère.

« On ne prête qu’aux riches », dit l’adage populaire. Certains analystes voient l’ombre du Premier ministre sortant Bruno Tshibala et, à travers lui, celle de l’ancien président « Joseph Kabila » derrière cette enquête des inspecteurs de finances. « Kabila a trouvé là l’opportunité de démystifier Felix Tshisekedi qui prétend être le tenant de la vertu, de l’Etat de droit et de la lutte contre la corruption », commente un expert financier.

Contre toute attente, on découvre, sur les réseaux sociaux, une missive au ton comminatoire, datée du 24 août. L’expéditeur n’est autre que le « dircab » Vital Kamerhe. Le ministre des Finances en est le destinataire. Une copie est destinée à l’inspecteur général des finances.

« FAKE NEWS »

On peut y lire notamment: « Monsieur le Président de la République (…) et moi-même n’avons aucunement autorisé une quelconque mission de contrôle. L’Inspection générale des finances étant placée sous l’autorité de la Présidence de la République, il est ainsi clair que cette fameuse mission est nulle et de nul effet. L’Inspection générale des finances, qui me lit en copie, est enjoint d’arrêter, dès réception de la présente, cette mission ». On sent une certaine panique. Et ce en dépit du fait que ladite correspondance est qualifiée de « fake news » à la Présidence.

C’est sans doute cette peur qui a incité le conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de sécurité, François Beya Kasonga, à auditionner l’inspecteur général des finances Victor Batubenga. Celui-ci assure avoir reçu des menaces de la part d’un proche de l’ancien patron de la DGM (Migrations). S’agit-il de Roger Kibelisa Ngambasui, l’ancien numéro deux à l’ANR?

D’après un économiste, la coalition CACH-FCC risque d’imploser lors de la prochaine session budgétaire du Parlement censée débuter le 15 septembre. Pour cet expert, le vote du budget pour l’exercice 2020 sera précédé, comme d’habitude, par la reddition des comptes. « Joseph Kabila n’étant plus aux affaires, les députés FCC vont sortir l’artillerie lourde pour démolir l’image réformatrice de Felix Tshisekedi et l’UDPS. Les députés FCC vont en profiter pour dénoncer la gabegie financière imputable à la Présidence de la République au cours de la période comprise entre le 24 janvier dernier et le mois d’août », conclut-il.

Des voix s’élèvent sur les réseaux sociaux pour dénoncer le « rôle préoccupant » que joueraient certains membres de la Présidence de la République. Vital Kamerhe et François Beya sont pointés du doigt.

 

Baudouin Amba Wetshi

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