Constater les crimes c’est bien. Poursuivre les criminels c’est mieux!

Comme chaque mois, dans l’indifférence générale, le BCNUDH (Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme) livre le bilan macabre des violations de droits de l’homme du mois qui précède. 620 pour le mois d’août dont les deux tiers sont imputables aux services du gouvernement, y compris 24 exécutions extra judiciaires. Pas le moindre mot de compassion de ce même gouvernement pour les victimes. Qui ne dit mot consent. Normal, les commanditaires et complices de crimes font peu de cas de leurs victimes. En réponse à une interpellation à ce sujet par un membre de l’opposition, la ministre des Droits humains répond par des injures vulgaires. Celui chargé de la propagande, notre Goebbels national, crie au complot occidental et se retranche derrière un souverainisme ombrageux.

A ces bilans morbides s’ajoutent ceux établis par une série d’organisations sans but lucratif, nationales et internationales (FIDH, HRW,Congo Research Group, Carter Center, Enough, Sentry, etc..), concernant des crimes économiques et des atteintes aux droits de l’homme commis par les services du gouvernement. Un travail remarquable est fait et les rapports s’accumulent. Malheureusement, sur le terrain, la situation s’aggrave de jour en jour. Le nombre de d’arrestations arbitraires, de victimes de meurtres, viols et autres violences augmente et se répand dans plusieurs régions du pays. Les vieilles rivalités ethniques sont ravivées, les bandes armées se multiplient et sont souvent instrumentalisées par les services gouvernementaux. Des millions de compatriotes ont été tués, des millions sont déplacés, leurs enfants déscolarisés. D’un état de non droit on est devenu un état failli et on se dirige vers une disparition de l’état au profit d’un conglomérat de mafias, sous la haute direction d’une bande de criminels en cols blancs, dont les « affaires » prospèrent dans le chaos. Le pays est désormais bien ancré dans le petit groupe des petits les plus pauvres du monde.

Dans une note publiée la semaine dernière, Bill Gates s’alarme devant la progression de la pauvreté en RDC et estime que, si la tendance se maintient, vers 2050 la RDC fera partie des quelques pays au monde comportant le plus grand pourcentage de personnes vivant dans un état d’extrême pauvreté. Devant cette situation, décrite, documentée et analysée par des centaines d’études, rapports et films, nos criminels en cols blancs deviennent de plus en plus arrogants et menaçants. Les « inquiétudes » et « préoccupations » des politiciens et hauts fonctionnaires internationaux n’ont aucun effet.

Le citoyen lambda – première victime de ce régime criminel – acculé chaque jour un peu plus par la misère et par la violence de ses dirigeants se demande à quoi servent tous ces bilans, études et rapports. Il sait que le constat de l’assassinat de deux blancs, envoyés par le conseil de sécurité, pour enquêter sur les massacres du Kasaï n’a été suivi d’aucune action sérieuse. Dans ces conditions il n’attend pas grand-chose des bilans et constats concernant des compatriotes.

Ce citoyen se demande parfois si le drame quotidien vécu par des millions de congolais n’est pas finalement un fonds de commerce pour la plupart de ces organisations qui ont l’air de travailler chacune dans son coin sans pendre trop de risques en nommant des individus responsables. Il sait que pour arrêter les crimes il ne suffit pas de décrire les crimes mais qu’il faut s’attaquer aux criminels et aux commanditaires, les premiers responsables. Or, les responsables ne sont que rarement nommés dans les rapports qui décrivent les crimes et jusqu’à présent on reste dans le narratif.

Il ne faut cependant pas sous-estimer le potentiel d’action que représente le travail fastidieux et méthodique réalisé par ces organisations. En dépassant le stade narratif, ces travaux, pourraient permettre de diligenter des actions concrètes de grande envergure contre les criminels et leurs réseaux. Toute action directe contre ces responsables étant impossible en RDC, l’action doit se mener à partir de l’extérieur. Un début d’action contre les criminels a été entamé par les sanctions contre quelques individus, décrétées par les Etats Unis et par l’UE. Mais ces sanctions ne semblent que peu gêner les concernés. N’a-t-on pas vu, le Goebbels congolais, pourtant sanctionné, se promener paisiblement à Bruxelles? Et ironie macabre, pour des « raisons humanitaires »!!!

Pour avoir des résultats, les sanctions devraient être étendues non seulement aux membres du cercle restreint du président, à tous les membres du gouvernement et de la présidence qui sont politiquement responsables des actes de leurs services et juridiquement de leurs propres malversations économiques et financières mais également aux membres de leurs réseaux.

Cette nécessité de s’attaquer aux réseaux est bien décrite dans un article de John Prendergast et de George Clooney (fondateurs de « Enough »et de « Sentry ») paru dans la revue « Foreign Affairs » le 14 mars 2018 et intitulé « The Key to Making Peace in Africa » (www.foreignaffairs.com/articles/central-african-republic/2018-03-14/key-making-peace-africa).

Ils expliquent comment la lutte financière et plus particulièrement les sanctions peuvent aider à faire cesser les conflits.

Malheureusement, en Afrique, les sanctions ne sont utilisées que rarement, ne visent que quelques individus et ne sont que faiblement renforcées. De plus, elles ne s’étendent que rarement aux collaborateurs/prédateurs – à l’intérieur ou hors du pays – qui facilitent les crimes. Les sanctions devraient donc viser des réseaux plutôt que des individus. Les réseaux comportent des individus et des entités liés aux criminels visés. Les sanctions devraient viser non seulement les responsables de crimes économiques comme cela a été le cas avec Dan Gertler mais à tous les dirigeants solidairement responsables des atteintes aux droits de l’homme.

Les rapports et constats, qu’ils concernent des crimes économiques, des crimes contre l’humanité ou encore des atteintes aux droits de l’homme devraient permettre la constitution de dossiers en vue d’obtenir des sanctions ainsi que des poursuites devant des tribunaux à l’étranger. Les premiers visés devraient être les premiers ministres et les ministres activistes ainsi que les responsables du gouvernement parallèle. En effet, la solidarité gouvernementale est un comportement collectif qui fait que chacun des membres du gouvernement est solidaire des décisions prises par le gouvernement, les assume et en porte la responsabilité.

Le procès de Nuremberg intenté par les puissances alliées contre 24 des principaux responsables du Troisième Reich, accusés de complot, crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité est un exemple de responsabilité solidaire, ne faisant pas de différence entre hauts responsables civils comme Goebbels (propagande) ou von Ribbentrop (diplomate) et militaires comme Goering. À côté de la mise en accusation de personnes physiques, une particularité du procès de Nuremberg est la mise en cause de groupes complets d’individus, coupables de leur affiliation à l’une ou l’autre des organisations mises en accusation.

On ne peut qu’espérer que les rapports précités sur les crimes économiques et les atteintes aux droits de l’homme en RDC ne connaissent le même sort que le « rapport mapping ». Pour cela une coordination entre organisations et une mise en commun de pièces à conviction semble indispensable. A partir de tels dossiers, d’autres organisations pourraient prendre le relais pour obtenir des sanctions plus musclées et étendues aux réseaux de responsables bien connus, au niveau du gouvernement, de la magistrature, du parlement et des partis.

Les manifestations et pressions verbales des uns et des autres ayant montré leurs limites, des sanctions et des dizaines de procès dans plusieurs pays pourront affaiblir le régime et faire en sorte que la peur change de camp. Les exemples de poursuites judiciaires menées contre des responsables de crimes Chiliens et Argentins – dont Pinochet- dans plusieurs pays étrangers constituent d’intéressants et encourageants précédents. Outre la mise en commun de pièces à conviction en vue de lancer de nouvelles sanctions et de mener des poursuites judiciaires, toutes les organisations de défense des droits humains et de lutte contre les crimes économiques devraient mener une vaste campagne pour la création d’un tribunal pénal international pour la RDC.

 

Par Jean-Marie Lelo Diakese

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