Culte de la personnalité

Le PPRD, le parti qui « domine » l’échiquier politique congolais depuis le mois de décembre 2006, organise ce samedi 4 juin une « grande marche populaire » en commémoration du 45ème anniversaire de « Joseph Kabila ».

Dans sa lettre n°PPRD/SG/HMS/ETK-JL/281/2016 datée du 31 mai 2016, le secrétaire général de cette formation politique, le « professeur » Henri Mova Sakanyi, « informe » le gouverneur de la ville de Kinshasa de l’itinéraire arrêté. Les marcheurs partiront du Rond point Moulaert pour rejoindre le Stade vélodrome de Kintambo via l’avenue Kasa Vubu, le pont Lunda Bululu et l’avenue Lukengu.

Dans ce Congo démocratique où « l’inégalité devant la loi » est quasiment institutionnalisée selon qu’on est membre de la majorité présidentielle ou de l’opposition, on peut gager que le gouverneur de Kinshasa, le PPRD André Kimbuta Yango, s’est contenté de prendre acte. Les loups ne se mangent pas entre eux.

Dans une dépêche datée du 31 mai, la très officielle Agence congolaise de presse rapporte que l’association « Kabila Désir » organise, le même samedi, à Kinshasa, une conférence-débat. Le thème est tout simplement surréaliste: « Joseph Kabila, 45 ans d’âge, un atout pour le Congo ». Un intitulé qui rappelle vaguement les propos tenus en 2008 par un certain Louis Michel à la télévision commerciale belge RTL-Tvi. « Joseph Kabila représente l’espoir pour le Congo ». L’homme est devenu le « meilleur » pourfendeur du « raïs » au Parlement européen.

Des « personnalités politiques et scientifiques » devraient conduire le débat de « Kabila désir » dont la finalité serait de « réfléchir sur la capitalisation des atouts de la riche expérience du président Joseph Kabila ».

Le communiqué publié par cette association, souligne que l’actuel locataire du Palais de la nation « représente une force non seulement pour le Congo mais également pour toute la sous-région ». Et que l’homme « dispose également d’une expérience et d’une énergie pour la consolidation de la paix et le développement durable en cette période où la nation congolaise fait face, comme le monde, à des défis majeurs nécessitant une intelligence et une vision ».

Un seul pays au monde a l’habitude de célébrer la date de naissance de ses « chers dirigeants » ou « grands leaders ». Il s’agit de la Corée du Nord où le culte de la personnalité est devenu un mode de vie. Inutile de dire que le culte de la personnalité est une « marque de fabrique » propre aux régimes autoritaires.

Près de trois décennies après la restauration du pluralisme politique, quelques flagorneurs qui entourent « Joseph Kabila » ont engagé le redoutable pari de replonger le Congo-Zaïre dans l’archaïsme. Un archaïsme que le peuple zaïro-congolais avait vomi lors des consultations populaires organisées, de janvier à mars 1990, par le président Mobutu Sese Seko. Les Zaïro-Congolais avaient rejeté l’ordre ancien se présentant sous les traits hideux d’un pouvoir autocratique dans lequel un seul homme concentrait tous les pouvoirs entre ses mains.

Lors des travaux de la conférence nationale souveraine (1991-1992), le « peuple en conférence » a levé l’option en faveur de l’avènement d’un nouvel ordre politique fondé sur la démocratie et le respect entre gouvernants et gouvernés.

Par paresse intellectuelle, les « libérateurs » du 17 mai 1997 – dont certains ont foulé le sol zaïrois seulement en octobre 1996 – n’ont jamais pris la peine de lire l’Histoire immédiate du Congo-Zaïre. Une telle démarche leur aurait évité pas mal d’erreurs d’appréciation tant sur le pays que sur les hommes et les femmes qui y habitent.

« Joseph Kabila » serait-il un « atout » pour le Congo-Kinshasa? C’est quoi donc un atout? En parcourant le premier dictionnaire venu, le mot « atout » est défini comme une « chance ». Avantage, mérite, plus. Ce sont là les synonymes de ce vocable.

Au regard de la situation socio-économique, politique et culturelle du Congo-Zaïre, il faut être parfaitement malhonnête pour soutenir que l’homme qui trône depuis bientôt seize ans à la tête de l’Etat congolais a apporté le progrès.

Un Chef est l’âme du Changement. Il doit rassembler et mobiliser les énergies créatrices. Visionnaire et arbitre suprême, il doit montrer le chemin qui conduit vers la modernité et l’apaisement.

Depuis son accession à la tête de l’Etat congolais un certain 26 janvier 2001, « Joseph Kabila » dirige le Congo-Kinshasa à coup de slogans creux. Lors de la présidentielle de 2006, il a publié une centaine de propositions intitulée « Ma vision pour le Congo » suivie fin novembre de la même année par les « Cinq chantiers du chef de l’Etat ».

Dix années après, hormis quelques routes réhabilitées, les Congolais attendent toujours de voir les infrastructures promises (routes, rail, pont), l’emploi, l’éducation, la santé, l’habitat. Sans oublier, l’eau et l’électricité.

Depuis le 20 décembre 2011, d’autres slogans ont supplanté les deux précédents. Il s’agit de la « révolution de la modernité » et de l’« émergence ».

Les zélateurs du « Joséphisme » semblent oublier que le successeur de Mzee a accédé au sommet de l’Etat quatre mois après le lancement, par les Nations Unies, des Objectifs du Millénaire pour le Développement. Ces objectifs sont au nombre de huit: réduire l’extrême pauvreté et la faim; assurer l’éducation primaire à tous; promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes; réduire la mortalité infantile; améliorer la santé maternelle; combattre le VIH/SIDA, le paludisme et autres maladies; assurer un environnement humain durable et construire un partenariat mondial pour le développement.

Deux paramètres montrent que l’échec est patent. C’est le cas de la lutte contre la pauvreté et l’éducation.

Dans un rapport publié en octobre 2015, le Fonds monétaire international a invité « Joseph Kabila » et son gouvernement à « lutter davantage contre la pauvreté généralisée ». Au motif que la population congolaise vit sous le seuil de « pauvreté absolue » avec 1,25 USD par jour et par personne.

En janvier 2016, le coordonnateur de la Coalition nationale de l’éducation pour tous (CONEPT) a publié un rapport alarmant sur les progrès réalisés dans le domaine de l’Education pour tous de 2000 à 2015. Le document indique que 18 millions d’adultes habitant le Congo-Kinshasa ne savent ni lire ni écrire.

Peut-on franchement parler de la modernité dans un pays où la population n’est pas instruite? Peut-on parler de la modernité et de l’émergence dans un Etat où moins de 30% de la population à accès à l’eau courante et à l’électricité? De quelle expérience parle-t-on de la part d’un chef d’Etat incapable d’assurer à ses administrés le bien le plus précieux à l’homme à savoir, la sécurité pour sa personne?

Les deux manifestations prévues ce samedi 4 juin à l’occasion du 45ème anniversaire de « Joseph Kabila » constituent une injure au peuple congolais. Un peuple qui ne fait plus mystère de sa « fatigue » face à l’incurie de l’oligarchie au pouvoir.

Les initiateurs de ce culte de la personnalité – qui fait reculer le Congo-Kinshasa de trois décennies – risquent, dans les semaines et mois à venir, de méditer à leurs dépens, cette citation de Chateaubriand: « La critique n’a jamais tué ce qui doit vivre, l’éloge surtout n’a jamais fait vivre ce qui doit mourir… »

 

Baudouin Amba Wetshi

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