Dan Gertler et le pétrole du lac Albert

Gaston Mutamba

Le 21 juin dernier, le gouvernement congolais a refusé de renouveler les permis d’exploration des zones pétrolières 1 et 2 du lac Albert, accordés en 2010 à deux entreprises Caprikat et Foxwhelp. Leurs permis avaient expiré le 16 juin. Elles appartiennent à l’homme d’affaires israélien Dan Gertler placé, en 2017, sous sanctions du Trésor américain pour suspicion de corruption. Ces deux sociétés sont enregistrées dans les îles Vierges britanniques, paradis fiscal offshore opaque.

La recherche du pétrole dans le bassin du Lac Albert, autrement appelé Graben Albertine a débuté concrètement en 2002 avec la signature d’un accord entre le gouvernement congolais et Heritage Oil, une firme pétrolière britannique basée à Londres. Elle couvrait au départ 30.000 Km² et constituait ce que l’Etat congolais a subdivisé aujourd’hui en 5 blocs pétroliers. En septembre 2006, Heritage Oil et Tullow Oil ont signé un accord de partage de production avec le gouvernement du Congo/Kinshasa sur la zone riveraine du lac Albert pour prendre les blocs 1 et 2. Le permis octroyé à Tullow Oil sur le bloc 1 fut retiré en 2007 au motif d’irrégularités. Le bloc 1 fut alors attribué à un consortium des compagnies sud-africaines. Le nouveau contrat de partage de production relatif au bloc 1 fut signé avec la compagnie sud-africaine Divine Inspiration Group et des compagnies partenaires. Le gouvernement attribua alors, en 2008, à Tullow Oil le bloc 2. En 2010, coup de théâtre, Caprikat et Foxwhelp se sont vu octroyer les blocs 1 et 2 de la zone du Graben Albertine. Plus tard, ces compagnies se révèleront être des partenaires de Oil of DR Congo, une société appartenant à Dan Gertler. Elles n’avaient aucune expertise ni expérience dans le domaine du pétrole. Par ces décisions, le pays s’est illustré par une instabilité réglementaire et par une faible prévisibilité des décisions des autorités. Le bloc 3 fut attribué à SAC Oil, une compagnie Sud-africaine. Le groupe Total entre aussi en 2011 dans le projet. Mais le 30 mai 2019, cette multinationale française se retire des opérations d’exploration pétrolière du Bloc 3. Le bloc 5 situé au Sud du lac Edouard est accordé en 2008 à la société Dominion Petroleum. Une année après, Dominion Petroleum entre en Joint Operating Agreement avec SOCO tandis que le bloc 4 restait libre.

TOTAL INVESTIT SUR LA RIVE OUGANDAISE

La société Tullow Oil disposait déjà d’un permis d’exploitation en Ouganda et souhaitait avoir aussi un permis au Congo afin d’exploiter la même nappe pétrolière qui est sous le Lac Albert. En novembre 2020, Tullow Oil vendra son projet sur la rive ougandaise à la société française TOTAL. Le pétrolier français qui détient une participation majoritaire dans le projet et son partenaire chinois CNOOC (China National Offshore Oil Corporation) vont investir plus de 5 milliards de dollars pour produire 230.000 barils de brut par jour à partir de 2025, soit dix fois le niveau actuel de la production du Congo/Kinshasa. Le pétrole produit sera acheminé par oléoduc jusqu’aux rives de l’océan Indien, en traversant la Tanzanie. La mise en exploitation du champ pétrolier et la construction d’un pipeline d’une longueur d’environ 1.450 kilomètres entre l’Ouganda et la Tanzanie nécessiteront quelque 10 milliards de dollars d’investissements. Les réserves trouvées sous le lac Albert sont estimées à 6,5 milliards de barils de pétrole. Ainsi, l’Ouganda va pomper, à partir de 2025, le pétrole au détriment du Congo/Kinshasa puisque c’est la même nappe de pétrole qui s’étend sous les deux pays voisins. C’est autant de millions de dollars que le pays aura perdus à cause de M. Dan Gertler. L’exploitation du pétrole a pris du retard par suite des tergiversations du gouvernement. La propriété des blocs pétroliers est passée entre les mains de trois candidats à l’exploitation en quatre ans. Par ailleurs, l’octroi des permis à Dan Gertler n’a pas arrangé les choses. Celui-ci est un pur spéculateur. Sa tactique a toujours été d’acquérir les propriétés à des prix ridiculement bas, pour ensuite les revendre à des prix largement supérieurs quand les conditions le permettent.

COMMENT RATTRAPER LE RETARD?

Pour rattraper le retard, l’idéal serait de céder les blocs 1 et 2 à TOTAL qui disposera déjà d’une une infrastructure et d’un pipeline pour évacuer les produits. Mais il risque d’arriver que TOTAL déclare la production dans le pays qui offre des avantages tarifaires et qui jouit d’une stabilité politique. A ce jeu, l’Ouganda peut prendre l’avantage. Outre les milices armées en Ituri, on a reproché au Congo, sous le régime des Kabila, de disposer d’un cadre de gouvernance et institutionnel peu incitatif pour l’investissement privé. A ceci, il faut ajouter une application insuffisante des textes réglementaires et des lois, la bureaucratie, la corruption, un système judiciaire inefficace et une faible administration publique. Le gouvernement doit donc créer un environnement favorable à l’entrée d’une nouvelle compagnie pétrolière au Congo. Pour cela, il doit appliquer la Loi n° 15/012 du 1er août 2015 portant régime général des hydrocarbures et le Décret n°16/010 du 19 avril 2016 portant Règlement d’hydrocarbures. Suivant le magazine Jeune Afrique du 8 juillet, le groupe pétrolier français TOTAL et la société italienne d’hydrocarbures ENI, « qui s’étaient jadis intéressés à ces blocs, ne seraient plus en lice: le premier consacre son attention sur la rive ougandaise du lac Albert, et le second ne souhaite plus lancer de projet dans le pays. En revanche, la compagnie sud-africaine Dig Oil, qui a gagné en 2018 un arbitrage international contre la RDC – dont la facture à payer par Kinshasa s’élève à 619 millions de dollars – pourrait obtenir les deux blocs en échange d’un accord à l’amiable avec Kinshasa ».

 

Gaston Mutamba Lukusa

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