De la nécessité de protéger la souveraineté nationale

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Justine Mpoyo Kasavubu qu’on ne présente plus sous le ciel congolais fut l’invitée du JT de TV5 Monde-Afrique à la suite de la profanation des églises et des arrestations et massacres qui s’en sont suivis afin d’entraver la marche pacifique des laïcs catholiques le 31 décembre 2017, marche visant à exiger l’application de l’accord signé il y a un an sous la médiation de l’épiscopat parce que cet accord est considéré par l’opposition et la majorité silencieuse des Congolais comme « la seule feuille de route valable » pour aboutir à des élections apaisées et crédibles. Ce fut l’occasion pour l’invitée d’appeler à la responsabilité des puissances occidentales, arguant que Joseph Kabila n’a jamais gagné une seule élection et qu’il préside au destin des Congolais par la seule volonté occidentale. Faut-il épouser la rhétorique de la fille du président Joseph Kasavubu?

La souveraineté nationale n’a jamais été acquise pour l’éternité. Elle n’est pas quelque chose de sacré que tout le monde se doit de respecter. Tous les peuples au monde sont appelés à la protéger; ce qui est loin d’être notre cas à nous Congolais, crétinisés par de longues années de légèreté, d’insouciance et d’irresponsabilité tout au long du mobutisme. Quand les Occidentaux ont créé le mythe de Joseph Kabila hissé au pouvoir par ses tontons, les Gaëtan Kakudji, Muenze Kongolo et autres, ceux-ci, de même que le reste de notre classe politique, n’ont rien fait pour tordre le coup à ce mythe et barrer la route à la matérialisation de la stratégie qu’il sous-tendait. Au sein même de la famille de Laurent-Désiré Kabila, une voix s’était élevée haut et fort pour crier à l’imposture. Mais notre classe politique n’avait pas saisi cette occasion pour examiner la question de l’identité réelle de celui qui se fait appeler Joseph Kabila. A la veille des élections de 2006, anticipant que la nationalité de ce dernier serait sujette à caution pendant la campagne électorale, des officiels belges ont invité à Bruxelles, au su et au vu de tous, des chefs coutumiers Luba-Kat afin de les corrompre et vendre à notre nation l’idée de Joseph Kabila, authentique fils Luba-Kat. Notre classe politique n’a rien trouver à redire. En fait, en plein XXIème siècle, nous Congolais avons été aussi facilement floués que les Romains quand Julia Agrippina dite Agrippine la Jeune (15-59 apr. J.C), sœur de l’Empereur Caligula (de 37 à 41), fit empoisonner son époux, l’Empereur Claude (de 41 à 54), pour faire couronner son fils Néron (de 54 à 68), au détriment de Britannicus, le fils de Claude, avant d’être elle-même tuée plus tard sur ordre de son propre fils.

L’ascension de Joseph Kabila fut certes pilotée par les puissances anglo-saxonnes en concertation avec le Rwanda, pays élevé au rang d’Etat-mercenaire lors de la deuxième guerre occidentale contre le pouvoir d’Etat congolais incarné par Mobutu Sese Seko et surtout Laurent-Désiré Kabila, la première guerre ayant été menée sous l’administration de Patrice Lumumba. Mais si les Occidentaux se montrent habiles en stratégie pour vider notre souveraineté de toute sa substance, nous pouvons, en tant qu’êtres humains doués également d’intelligence, minimiser l’impact de leurs immixtions. Si Joseph Kabila peut aujourd’hui massacrer les Congolais en toute impunité pour se maintenir coûte que coûte au pouvoir au-delà de son deuxième et dernier mandat qui a expiré le 19 décembre 2016, c’est parce que nous n’avons rien fait pour doter notre Etat d’un système politique qui nous permettrait de contrôler et de sanctionner le pouvoir du président de la république. Par ailleurs, notre système électoral qui a permis à Joseph Kabila d’être bien ou mal élu en 2006 et en 2011 n’est pas l’œuvre des Occidentaux, mais de nous-mêmes en tant que nation. Ce système souffre visiblement d’un grand déficit en matière de transparence. Il nous appartient à nous et non aux Occidentaux de le reformer.

En tant que nation, nous sommes conscients de l’indignation sélective occidentale. En Iran où le réseau Internet reste opérationnel pendant que le peuple exerce librement son droit à manifester, le président américain Donald Trump se réjouit en déclarant que « le monde entier comprend que le bon peuple d’Iran veut un changement, et qu’à part le vaste pouvoir militaire des Etats-Unis, le peuple iranien est ce que ses dirigeants craignent le plus ». Puis il poursuit: « Les régimes oppresseurs ne peuvent perdurer à jamais, et le jour viendra où le peuple iranien fera face à un choix ». Mais chez nous où les opérateurs d’Internet reçoivent l’ordre du pouvoir de couper l’accès à la moindre marche planifiée par le peuple et où celui-ci est massacré même pendant la messe, Trump se tient coi. Ces deux attitudes diamétralement opposées sont dictées par une et une seule chose: les intérêts des Etats-Unis qui ne sont pas satisfaits comme on voudrait en Iran et qui le sont dans le cas de la tyrannie de Joseph Kabila. Il nous appartient à nous Congolais et non aux dirigeants occidentaux de démontrer l’immoralité de la satisfaction de leurs intérêts dans un tel contexte. Car, c’est nous Congolais et non les dirigeants occidentaux qui avons intérêt à pousser le tyran à la faute de manière à ce qu’il devienne encombrant pour ses protecteurs occidentaux. A cet égard, on ne peut que regretter que le comité des laïcs chrétiens n’ait pas eu le bon réflexe d’écrire au gouverneur de la ville de Kinshasa, l’un des collabos-piliers de la tyrannie, pour lui notifier une prochaine marche en lieu et place de celle avortée.

La souveraineté nationale, ça se protège. Nous Congolais avons le don de clamer haut et fort notre souveraineté surtout quand nous nous retrouvons au festin du pouvoir. Mais dans les relations entre Etats, l’idée de souveraineté implique celle de réciprocité. Pourtant, le 27 octobre 2017, au moment où la nécessité d’une transition sans Joseph Kabila se faisait de plus en plus sentir au-delà du 31 décembre, l’Ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU et Envoyée de Donald Trump, Nikki Haley, se permettait un tête à tête de deux heures à Kinshasa avec Joseph Kabila. Tout s’est passé comme si cette situation était normale ou acceptable. Peut-on imaginer un président congolais envoyer un émissaire au président américain pour s’entretenir avec lui en tête à tête? Le tête à tête entre Nikki Haley et Joseph Kabila est-il de nature à protéger notre souveraineté nationale? Naïfs, nous pensons que qu’un dirigeant d’une démocratie occidentale ne peut qu’avoir un sens élevé de l’Etat et des relations entre Etats. Pourtant, l’expérience démontre que des questions bien terre à terre peuvent être abordées lors d’une telle rencontre, comme, par exemple, un deal pour la protection du tyran en échange des faveurs pour les multinationales occidentales voire même l’octroi des carrés miniers au dirigeant occidental, à titre personnel.

Au fait, que se sont dit Nikki Haley et Joseph Kabila pendant deux heures? Une chose est certaine, l’entretien a requinqué ce dernier qui a eu aussitôt l’assurance d’exercer tranquillement un mandat gratuit d’une année, assurance que ses clients internes ressassent à cœur joie depuis lors. Et cela ne pouvait pas se faire juste pour ses beaux yeux. Il y a eu incontestablement un deal. Mais lequel? L’Histoire ne le révèlera probablement jamais. Mais ce qu’elle révèle en revanche, c’est que notre souveraineté nationale ressemble à une femme aux cuisses légères. N’importe qui peut se permettre de boire, dans la cruche de ses jambes nues, le vin qui entame la vie. D’où la nécessité de protéger notre souveraineté. Comment? En mettant en place un système politique dont le jeu serait d’une si grande transparence qu’il ne faciliterait pas les immixtions d’autres Etats. Et le simulacre de démocratie que nous vivons depuis les élections de 2006 est loin d’en être un. Nous n’obtiendrons pas non plus un tel environnement en revisitant les sentiers battus dans les manuels des sciences politiques. C’est à travers des idées audacieuses que nous y parviendrons. Car celles-ci sont comme les pièces qu’on déplace dans un jeu de dames: on risque de les perdre mais elles peuvent aussi constituer l’amorce d’une stratégie gagnante.

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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