Elections du 23/12: « Kabila » cadenasse la Cour constitutionnelle

Réunies en Congrès, les deux chambres du Parlement congolais ont « élu », vendredi 11 mai – selon un scénario échafaudé par les « services d’études stratégiques » de la Présidence de la République -, un des trois juges à la Cour constitutionnelle en la personne du député national PPRD François Bokona. Juriste de formation, celui-ci remplace le juge Banyaku Luape. Président hors mandat depuis le 19 décembre 2016, « Joseph Kabila » et le Conseil supérieur de la magistrature doivent désigner les deux juges devant remplacer respectivement Yvon Kalonda Kele et Louis Esambo. Le locataire en fin de bail du Palais de la nation ne fait plus mystère de sa volonté de briguer un nouveau mandat à la tête de l’Etat. La démarche sera conduite par la « majorité ». En cas de « rejet » du dossier par la CENI (Commission électorale nationale indépendante), la MP n’exclut pas de solliciter « l’arbitrage » de la Cour constitutionnelle…

Député François Bokona (PPRD)

A quelques sept mois de la date fixée pour la tenue des élections qui s’annoncent déjà chaotiques, tous les yeux étaient rivés vendredi sur le Palais du peuple où les deux chambres du Parlement « élisaient » « leur » juge à la Cour constitutionnelle.

C’est désormais un secret de Polichinelle. La mouvance kabiliste dite « majorité présidentielle » va présenter la candidature de « Joseph Kabila » à la Présidence de la République. Et ce en dépit de l’inéligibilité qui « plombe » ce dernier. « En cas d’échec auprès de la CENI, la majorité va saisir la Cour constitutionnelle », confirme une source sécuritaire à Kinshasa. Le directeur du cabinet présidentiel, Néhémie Mwilanya Wilondja, serait à la manette.

L’annonce, vendredi 11 mai, du « choix » porté par les « Congressistes » sur le juriste François Bokona n’a guère surpris. Et pour cause, la veille, « Joseph Kabila » a effectué une visite que d’aucuns qualifient d’ « inopportune » au Palais du peuple, le siège du Parlement.

On le sait, « Kabila » s’était entretenu avec les deux présidents. A savoir, Aubin Minaku (Assemblée nationale) et Léon Kengo wa Dondo (Sénat). De quoi avaient-ils parlé? L’homme voulait-il démontrer la prééminence de l’institution « Président de la République »? Quid de la séparation des pouvoirs? Et si l’objet de l’entrevue était la « nécessité » de contourner le « tirage au sort »?

Dans la matinée de vendredi, le tout-Kinshasa politico-médiatique murmurait déjà le nom du futur « élu ». Les « pronostiqueurs » ne s’étaient pas trompés. Il s’agit de François Bokona, l’actuel président de la commission politique et judiciaire de la chambre basse du Parlement. Docteur en droit, le nouveau juge est chef des travaux à l’Université de Kinshasa. Il remplace Banyaku Luape, démissionnaire.

« CADENASSER LA COUR CONSTITUTIONNELLE »

Dans les jours à venir, le Président hors mandat et le Conseil supérieur de la magistrature dont la majorité des membres est, à tort ou à raison, réputée pour son inféodation à la mouvance kabiliste, vont désigner les juges devant succéder respectivement à Yvon Kalonda Kele, décédé le 8 avril dernier, et Louis Esambo, démissionnaire.

L’article 158 de la Constitution stipule notamment que la Cour constitutionnelle comprend neuf membres dont le mandat est de neuf ans non renouvelable. « La Cour est renouvelée par tiers tous les trois ans. Toutefois, lors de chaque renouvellement, il sera procédé au tirage au sort d’un membre par groupe » (article 158-4 de la Constitution).

Le remplacement de trois membres de la Cour constitutionnelle – trois ans après son installation – est une occasion pour « Kabila » et les « faucons » de son entourage de « cadenasser » la Cour constitutionnelle. Pour quel dessein? La réponse est simple: l’élection présidentielle et les législatives du 23 décembre. Le PPRD tient à conserver le pouvoir. « Joseph Kabila est président, il restera président », a déclaré l’inénarrable Emmanuel Ramazani Shadary.

REACTIONS

Citée par le site Actualité.CD, l’ONG « Association congolaise pour l’accès à la justice » (ACAJ) s’est empressée de vitupérer contre la « procédure » ayant conduit à la désignation du juge François Bokona en violation de la règle du « tirage au sort ».

Sénateur Jacques Djoli Es’Engekeli (MLC)

Interrogé sur les ondes de Radio Okapi, le sénateur MLC Jacques Djoli Es’Engekeli, constitutionnaliste bien connu, ne dit pas autre chose. Il a dénoncé la violation des articles 158 et 159 de la Constitution. Sans omettre les articles 48 et 49 du règlement intérieur du Congrès en matière de désignation des membres de la Cour constitutionnelle. Il déplore également l’absence du « tirage au sort des juges constitutionnels ».

D’autres voix se sont élevées dans la soirée. « Le vrai problème de ces désignations se situe au niveau de l’absence de transparence, commente un juriste joint au téléphone à Lubumbashi. On devait lancer un appel à candidature ». Pour ce juriste, il est temps que les gouvernants traitent le peuple congolais en « adulte ». « Les prétendants devaient être connus du grand public avant la désignation, ajoute-t-il. La nation a le droit de savoir qui est derrière le choix porté sur tel ou tel autre postulant ». Pour notre interlocuteur, la visite de « Kabila » au Palais du peuple – à la veille du vote par le Congrès – constitue une « grave anomalie ».

« CONTENTIEUX DES ELECTIONS »

A quelques sept mois des élections du 23 décembre, la Cour constitutionnelle présente plus que jamais une importance tactique pour l’avènement de l’alternance démocratique. Outre le contrôle de la constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi, cette haute juridiction est notamment « juge du contentieux présidentielles et législatives ainsi que du référendum ».

Dès l’installation de la Cour constitutionnelle en avril 2015, « Kabila » a manigancé l’élection de Benoît Lwamba Bindu, âgé aujourd’hui de 73 ans, à la tête de cette institution. Dans les mêmes circonstances de temps, le « raïs » a fait remplacer Charles Mwando Nsimba par l’ancien procureur général de la République Floribert Luhonge Kabinda Ngoy au poste de premier vice-président de l’Assemblée nationale.

Il n’est pas sans intérêt de rappeler que lors de l’investiture de « Joseph Kabila » à la tête de l’Etat congolais le 26 janvier 2001, dix jours après le décès mystérieux de Mzee LD Kabila, Luhonge et Lwamba, natifs du pays Luba du Katanga, assumaient respectivement les fonctions de procureur général de la République et de président de la Cour suprême de Justice. En juin 2003, Lwamba sera promu premier président de cette haute juridiction.

« LA MERE DE TOUTES LES BATAILLES »

Luhonge Kabinda Ngoy

« Kabila » a une « dette morale » vis-à-vis de ces deux magistrats indélicats qui avaient commis un « faux » dans le réquisitoire d’investiture lu devant la Cour suprême de Justice par le PGR d’alors, Floribert Luhonge. On peut y lire notamment: « Attendu que l’examen, par l’organe de la Loi du dossier personnel de Monsieur Joseph Kabila, (…), révèle que ce dernier est Congolais d’origine, de père et de mère; (…); Attendu en outre, que Monsieur Joseph Kabila auquel les institutions judiciaires de la République ne reconnaissent aucun antécédent judiciaire (…); qu’il suit de ce qui précède, qu’aucune cause d’empêchement à accéder et exercer les hautes charges et fonctions de chef de l’Etat congolais n’a été décelée dans son chef; Par ces motifs, l’Organe de la Loi près la Cour suprême de Justice de la RD Congo requiert qu’il plaise à la Haute Cour, siégeant comme Cour constitutionnelle, toutes sections réunies, (…) de recevoir le serment de Monsieur Joseph Kabila, (…), en tant que chef de l’Etat congolais et de lui en donner acte ». Dans son arrêt, la Cour suprême de justice « donna acte » et reçut la prestation de serment du nouveau Président.

En réalité, le représentant du ministère public et la Cour suprême de justice n’avaient pas dit la vérité. Ils n’ont jamais fait diligenter une « enquête de moralité » sur « Joseph Kabila ». Celui-ci n’a jamais présenté le moindre dossier personnel. Encore moins son CV ou son casier judiciaire.

A preuve, les Congolais attendront le 16 décembre 2002 pour découvrir quelques « éléments biographiques » du successeur de Mzee. C’était sous la forme d’une dépêche de l’AFP. On apprendra que le nouveau chef de l’Etat a suivi une formation militaire dans l’armée tanzanienne à Mbeya. Était-ce en tant que Zaïrois ou Tanzanien?

Dans son ouvrage « Histoire du Congo – Les quatre premier présidents » publié aux éditions Secco & Cedi, l’universitaire Célestin Kabuya-Lumuna Sando note à la page 239: « (…). Pour des raisons de clandestinité, il (« Joseph Kabila ») s’est aussi appelé Kabange, Mtwale, Hyppolite ». Il a omis « Kanambe ». Question: depuis quand « Joseph » a opté pour le patronyme « Joseph Kabila »? Quel acte officiel a pu authentifier cette nouvelle identité?

Une chose paraît sûre: « Kabila » et ses partisans jouent leur va-tout. Ils préparent « la mère de toutes les batailles ». Rendez-vous à la Cour constitutionnelle…

 

Baudouin Amba Wetshi

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