Gouvernement: la démission du ministre Oly Ilunga jette une lumière crue sur la crise gouvernementale

La démission du ministre de la Santé est interprétée diversement. Pour les uns, l’intéressé manifeste son désaccord suite à la décision du président Felix Tshisekedi de rattacher à la Présidence de la République le « secrétariat technique » chargé désormais de coordonner la lutte contre la maladie à virus Ebola. Pour d’autres, il s’agirait d’une « affaire de gros sous ». En tous cas, la démission du ministre de la Santé jette une lumière crue sur la crise politique qui paralyse le pays depuis six mois. Depuis six mois, l’Etat congolais n’est ni gouverné ni administré. Un exécutif démissionnaire expédie les affaires courantes. 

Un ministre qui démissionne sans y être forcé. Voilà une situation inédite dans ce « Congo démocratique » où la grande majorité de ceux qu’on nomme ici les « intellectuels » ne « pensent qu’à ça »: devenir ministre. « Ministre, c’est le seul métier que je sais faire », clamait l’acteur comique français Louis de Funès dans le film « La folie des grandeurs ».

D’aucuns pourraient se gausser en arguant que le ministre Oly Ilunga Kalenga ne prend aucun risque en claquant la porte. Au motif qu’il quitte un gouvernement démissionnaire dont la mission se limite à expédier les affaires courantes.

Reste que dans sa correspondance datée du 22 juillet 2019, cet ancien médecin bruxellois – qui fut un proche parmi les proches du président de l’UDPS Etienne Tshisekedi wa Mulumba -, explique au Président de la République les raisons ayant motivé sa décision qui reste assez fracassante.

Félix Tshilombo Tshisekedi, Président de la République

SUPERVISION DIRECTE

On retiendra, pour l’essentiel, la décision prise par le chef de l’Etat en date du 20 juillet dernier de placer sous sa « supervision directe » la conduite de la riposte à l’épidémie de la maladie à virus Ebola (MVE). Ce membre du gouvernement semble regretter de n’avoir pas été associé dans le processus de prise de décision dans une matière qui relève de son secteur d’activité.

On retiendra également l’indignation à peine dissimulée de l’intéressé qui « déplore », par ailleurs, qu’on lui ait fait un enfant dans le dos pendant qu’il se trouvait en mission à Goma le 18 juillet. L’ « enfant » dont question n’est autre que le « secrétariat technique du comité multisectoriel de la riposte à la MVE ».

Selon Oly Ilunga, le décret du Premier ministre Bruno Tshibala mettant en place cette structure aurait été « antidaté au 18 mai 2019 » et contresigné par le ministre assurant son intérim. « La composition de ce Comité, dont les membres ont pris ces derniers mois des initiatives ayant suscité des interférences dans la conduite de la riposte, ne reflète pas la multisectorialité nécessaire à la gestion de la crise sanitaire en cours », écrit-il. Et d’ajouter: « Une telle crise implique plusieurs acteurs et renferme des enjeux à différents niveaux sur lesquels j’aimerais attirer votre attention particulière ».

QUI SERA RESPONSABLE DE QUOI?

Pour lui, l’existence de plusieurs « centres de décision » est de nature à engendrer la « confusion et une cacophonie préjudiciables pour la riposte ». « L’unicité dans la gestion d’une telle riposte répond ainsi que triple impératif de l’efficacité, de la cohérence des décisions prises et de redevabilité », souligne-t-il. La redevabilité. Le mot est lâché. La question à poser devrait être formulée comme suit: Qui sera responsable de quoi?

C’est un communiqué de la Présidence de la République daté du samedi 20 juillet 2019 qui a fait connaitre la décision du chef de l’Etat de confier la « conduite de la riposte » à une équipe d’experts placée sous la direction du professeur Jacques Muyembe Tamfum. Cette équipe est placée sous la supervision du Président Felix Tshisekedi.

Les détracteurs du ministre Ilunga « saluent » le départ de celui-ci qu’ils accusent, à tort ou à raison, d’avoir « géré » le ministère de la Santé « dans une totale opacité ». « Oly Ilunga avait mis à l’écart le professeur Muyembe pour ne s’entourer que des membres de sa famille. C’est une affaire de gros sous », entend-on dire.

Qui est Oly Ilunga Kalenga Tshimankinda?

Fils du général Placide Ilunga Kakasu, « Oly » dont le postnom « Tshimankinda » signifie « le brave » en Tshiluba, est né le 24 juin 1960 à Elisabethville (Lubumbashi). Docteur en médecine, il est spécialiste en soins intensifs et économie de la santé.

Avant d’entrer dans l’exécutif national, le docteur Ilunga assumait depuis quatre ans, à Bruxelles, la prestigieuse fonction d’administrateur-délégué des cliniques de l’Europe (Clinique St Michel et Clinique Ste Elisabeth).

Etienne Tshisekedi wa Mulumba

Le 30 octobre 2014, le médecin est apparu aux côtés d’Etienne Tshisekedi, encore convalescent, dans un hôtel bruxellois. L’homme qui répétait à qui voulait l’entendre qu’il n’est pas le médecin de « Tshitshi » est aussitôt « promu » Assistant du Président de l’UDPS. La « consécration » va intervenir le 27 juin 2015. A l’occasion de la commémoration du 55ème anniversaire de l’indépendance du Congo, Oly Ilunga est chargé de lire le message solennel au peuple congolais.

DÉSORDRE

Dans une interview accordée à « Congo Indépendant » en octobre 2015, Oly Ilunga confiait que pour lui « la meilleure ambition consiste à servir son pays ». Ajoutant qu’il a toujours rêvé de rendre à son pays ce qu’il a fait pour lui.

A la surprise générale, « Oly » a fait ses premiers pas en politique à partir du 19 décembre 2016 dans le gouvernement du Premier ministre Samy Badibanga. On imagine qu’il y a eu des grincements de dents parmi les membres de la garde rapprochée de « Tatu Etienne ».

Six mois après l’investiture de Felix Tshisekedi Tshilombo à la tête de l’Etat, le Congo-Kinshasa n’a toujours pas de gouvernement. En cause, des « négociations sordides » entre la mouvance kabiliste dite « Front commun pour le Congo » (FCC), et le Cap pour le Changement (CACH) du duo Tshisekedi-Kamerhe. Des discussions où l’intérêt général est battu en brèche par les intérêts particuliers.

Depuis six mois, le pays n’est ni gouverné ni administré. Conséquence: la Présidence de la République s’est arrogée les prérogatives dévolues au gouvernement. En méconnaissance de la Constitution. Celle-ci interdit au chef de l’Etat – qui est exonéré de l’obligation de rendre compte – de poser des actes de gestion.

ARBITRE SUPRÊME

« Le ministre est responsable de son département. (…)« , stipule notamment l’article 93 de la Constitution. En plaçant sous sa supervision directe, le « Secrétariat technique » chargé de coordonner la riposte contre la « MVE », le chef de l’Etat n’a-t-il pas engagé le pari risqué d’être tenu pour responsable des failles éventuelles?

La formation du gouvernement central devient plus que jamais une « urgence nationale ». Et si l’on confiait la gestion du gouvernement, de manière temporaire, aux secrétaires généraux de l’administration publique pendant le FCC et le CACH continuaient leur petit jeu politicien? C’est la question que nous posions dans un précédent « papier » publié le 17 avril dernier.

Une certitude cependant: la démission du ministre Oly Ilunga a un mérite. Celui de jeter une lumière crue sur la crise politique à laquelle le pays est confronté. Les ministres en affaires courantes n’ont plus le cœur à l’ouvrage.

Nommé Premier ministre le 20 mai, Sylvestre Ilunga Ilukamba reste « au balcon » pendant que ses « camarades » sont occupés à composer le gouvernement. Pire, le Premier ministre démissionnaire Bruno Tshibala continue à expédier les affaires courantes en attendant l’investiture de son successeur. Quel désordre!

C’est dans des moments pareils que le Président de la République est censé se mettre au-dessus de la mêlée pour « montrer le chemin » en sa qualité d’ « arbitre suprême » et de « juge de l’intérêt général ».

 

Baudouin Amba Wetshi

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