Grandeur et décadence de Businga

PREMIERE PARTIE

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Le 29 juin dernier, je reprends mon bâton de bourlingueur pour me lancer à la découverte d’une autre grande agglomération du Nord-Ouest de mon pays, après Zongo, Libenge, Gemena, Akula, Bwamanda et Budjala, dans la province du Sud-Ubangi, et Karawa dans celle du Nord-Ubangi. Businga est la localité choisie cette fois-ci. Pour y parvenir, j’atterris, comme lors des découvertes précédentes, à Bangui, capitale de la République Centrafricaine. A la date ci-dessus, je traverse la rivière Ubangi par pirogue motorisée après avoir rempli les formalités d’immigration. Côté centrafricain, le bureau opère toujours en dessous d’un manguier. Ce fut le cas pendant de longues années à la rive gauche jusqu’à ce que l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) dote la Direction Générale des Migrations (DGM) de Zongo d’un beau bâtiment moderne en 2014.

A Zongo, il y a du changement dans l’air. La Société Nationale d’Electricité (SNEL) a installé des poteaux électriques le long de toutes les rues et terminé la construction de son immeuble à proximité de celui de la DGM. Les poteaux sont également installés à Libenge, à une centaine de kilomètres en aval. Les travaux sont financés par la Banque Mondiale. L’électricité, elle, sera exportée du barrage de Boali en République Centrafricaine. Réciprocité sera ainsi obtenue car depuis des décennies, le barrage de Mobaye-Mbongo au Congo-Kinshasa dessert également la localité voisine de Mobaye-Mbanga en Centrafrique. Le projet de la BM prévoit également de jeter un pont entre Bangui et Zongo. Six décennies après les indépendances! Pour la petite histoire, seule la moitié d’un pont a été jetée sur la frontière naturelle que constitue l’Ubangi entre la République Centrafricaine et le Congo-Kinshasa. Œuvre de Mobutu entre les deux Mobaye, l’objet d’art attend toujours la construction de la partie centrafricaine.

Pour parcourir les 260 km qui séparent Zongo de Gemena, je paie 20.000 FCFA afin d’occuper seul les deux places pour passagers dans la cabine d’un mini-bus. A Zongo comme dans presque toutes les agglomérations frontalières du Grand Corps Malade Congo, la monnaie du pays voisin est reine. Lors de son séjour du 2 décembre 2019 dans le cadre des inondations qui avaient ravagé cette agglomération, le président Félix Tshisekedi avait exhorté ses habitants à utiliser le FC dans leurs transactions. Il oubliait que ce n’est pas le patriotisme mais l’économie qui dicte le comportement des populations frontalières. Pour preuve, il faut multiplier par 3,4 les 20.000 FCFA pour obtenir leur équivalant en FC.

Pour éviter la surchauffe des pneus, m’explique-t-on, les conducteurs des transports publics de Zongo et Gemena préfèrent circuler la nuit. Partis à 20h00, nous entrons à Gemena le lendemain à 11h00. Quinze heures pour 260 km! Cela pouvait prendre des semaines avant 2014. Cette année-là, une firme chinoise a réhabilité la route, réduisant le temps de voyage à plus ou moins six heures pour les mini-bus surchargés. La maintenance n’étant pas congolaise, la route est désormais parsemée de nids de poule. Les cinquante derniers kilomètres sont en état de délabrement avancé. Confrontée à cette situation, l’association des transporteurs pour le développement du Sud-Ubangi a demandé à être associée à la gestion des fonds générés par les péages aux entrées/sorties de Gemena (Au moins 2.000.000 FC par jour). N’ayant pas été entendue par les autorités provinciales pour cette requête pourtant légitime, l’association a lancé un mouvement de grève le 2 mai 2021, en décidant de garer tous ses véhicules. Dans ce foutu pays où personne ne semble être responsable du bon fonctionnement des institutions, le président de l’association et quatre de ses collègues ont été arrêtés. Et dans ce foutu pays où chaque homme politique se bombe le torse en s’autoproclamant nationaliste, il a été même reproché au président de l’association d’être un non-originaire du Sud-Ubangi. Mais il n’y a pas que le mauvais état de la route. Celui du véhicule est aussi en cause. Deux crevaisons et deux pannes sèches, suivies de longues attentes à la recherche du carburant ou d’un « quado ».

Nous quittons l’avenue Lumumba, l’artère principal de Gemena. Nous amorçons la descente de l’avenue Mobutu vers la gare routière. Les freins se rebellent. Le véhicule à boite de vitesse automatique devient fou. Le chauffeur lève les mains au ciel en signe de prière. C’est la panique à bord. Chacun invoque à haute voix son dieu, son père ou sa mère. Comme d’habitude en pareille circonstance, je reste zen. Dehors le long de l’avenue, on entend des cris d’horreur. Des badauds accourent même derrière le véhicule pour être des témoins privilégiés de la manière dont nous allons mourir. Qui a dit que l’insalubrité de nos villes est une catastrophe? Le croisement des deux avenues est devenu une décharge publique ou s’amoncellent des déchets végétaux. Les eaux de dernières pluies l’ont transformée en une marre infecte. Elle nous sert de frein inattendu, sous les oufs de soulagement de tous et des badauds.

A la gare routière, qui n’est pas aménagé comme tel mais juste un rassemblement de véhicules dans une rue, je ne peux m’empêcher de sourire à la lecture des noms des mini-bus: « Merci Seigneur », « Dieu existe », « Dieu t’élèvera », « Fils de Dieu », etc. Les Occidentaux et autres peuples qui fabriquent les véhicules et qui les achètent neufs ne voient pas la main de Dieu derrière leurs acquisitions. Dans leur grande superstition, les Africains, eux, la voient dans le moindre achat d’un véhicule d’occasion. C’est à croire que Dieu est un caméléon qui change non pas de couleur mais de nature dès qu’il foule le sol africain.

Toujours à la gare routière, on me fait vite comprendre que si je dois poursuivre mon voyage par véhicule, je peux attendre pendant toute une semaine, les occasions pour Gbadolite et Businga étant rares. Je ne veux plus tenter l’expérience de louer un pick-up; ce que j’avais fait une fois en allant visiter Akula. Le véhicule était tombé en panne dans Gemena même et je n’ai jamais récupéré la totalité des frais engagés. Je contacte le conducteur d’un « wewa » flambant neuf. Pour les 160 km qui séparent Gemena de Businga, en passant par Karawa que j’ai déjà visitée, je lui verse 33.600 FC pour l’achat de 12 litres d’essence. J’accepte sa facture de 50.000 FC et m’engage à lui verser 50% de plus si le voyage s’effectue sans incident causé par une négligence éventuelle de sa part. Je lui fixe aussi la vitesse limite à ne jamais dépasser: 40 km/heure. Nous quittons Gemena à 12h00 et traversons Karawa à 14h00. A 16h30, après avoir traversé de grands villages Ngbaka aux cases rondes et aux toitures en paille descendant parfois jusqu’à moins d’un mètre du sol, Businga me souhaite la bienvenue pour la toute première fois. Je vais y séjourner jusqu’au 8 juillet.

Je descends à l’Hôtel Papa David, le plus cher de la place, construit comme les maisons d’accueil des communautés religieuses et cela dans le cadre de la campagne électorale d’un quidam lors des élections générales de 2018. Un bureau et six chambres. Douches et WC à l’intérieur de chacune d’elles, mais avec l’eau à puiser dans deux futs posés à la terrasse et dont la corvée de remplissage revient à une sentinelle et nettoyeur au pseudonyme atypique d’Etats-Unis. La nuitée est à 12.500 FC. Les autres hôtels font pâle figure avec des nuitées de 2 à 5.000 FC. Pour la restauration, l’Article 15 s’impose. Par l’entremise de Etats-Unis, je fais un deal de 5.000 FC le repas avec l’épouse du gérant de l’hôtel dont la résidence se trouve dans la même concession. Une gracieuse et belle femme Mbuza. A partir du lendemain, je rencontre de manière fortuite plusieurs notables du coin dont l’administrateur du territoire intérimaire, le titulaire étant en mission à Gbadolite, le patron de la DGM et son adjoint, le commissaire fluvial, représentant le ministère de transport et communications, l’initiateur et directeur général de l’ISP, des étudiants, l’administrateur général de l’hôpital, la supérieure des sœurs filles de Marie de Molegbe, le gérant du Guest house de CDI, le gérant de l’entrepôt d’une société créé par Mobutu, le chef de bureau de la Secope, des moto-taximen, des vélo-taximen, des piroguiers, des « mpangi » du Kwilu que le haut sens de fraternité pousse à aller jusqu’à 25 km cueillir des « misili » (fougères), aliment non consommé par les populations locales et transformé en délicieux repas par une beauté Ngbandie, épouse de l’un d’entre eux, rien que pour faire honneur au bourlingueur, et, last but not the least, le président de l’association des chefs de groupement du territoire. Businga me dévoile progressivement ses secrets dont sa grandeur et sa décadence, mais aussi son espoir endormi depuis l’aube des temps.

A suivre…

Mayoyo Bitumba Tipo Tipo

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