Jeanine Mabunda ou l’immoralité faite femme

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

En pleine pandémie du Covid-19 qui met l’économie mondiale à genoux, la présidente de l’Assemblée nationale de la République non-démocratique du Congo, Jeanine Mabunda Lioko, a demandé au gouvernement de réviser à la hausse le traitement mensuel des 500 députés nationaux ainsi que le fonds alloué au fonctionnement de la Chambre basse du Parlement. Le Congo-Kinshasa ne vit pas coupé du reste du village planétaire. En ce temps particulièrement difficile où des gouvernements libéraux changent de discours, martelant soudainement le primat de la santé sur l’économie, il est intéressant d’examiner le regard que d’autres dirigeants au monde ont porté sur le train de vie de l’Etat et surtout sur les émoluments des chefs d’Etat, des ministres et des députés. Cela aiderait à mieux dessiner le profil de Jeannine Mabunda en tant que dirigeant.

En Autriche, pays l’économie développée et aux habitants parmi les plus riches du monde en termes de PIB par habitant (50.000 US$ en 2017),le chancelier conservateur Sebastian Kurz a expliqué à la presse que « des millions de gens doivent se serrer la ceinture ou traversent actuellement une passe économique difficile ». Aussi le gouvernement a-t-il décidé d’envoyer un signal de cohésion à la nation, en demandant à chaque ministre de verser un mois de salaire net « à un organisme impliqué dans la lutte contre la pandémie » pendant que le pays comptait déjà près de 900.000 personnes chômage partiel.

En Bulgarie, pays industrialisé dont la plupart de l’économie est dans le secteur privé, avec un PIB par habitant de 21.960 US$ en 2018, « les députés ont fait preuve d’une rare unanimité en soutenant une proposition du parti conservateur au pouvoir », appelant députés et ministres à renoncer à leurs salaires à partir du 1er avril 2020 et cela tant que durerait le confinement. Cette mesure s’étendait également aux cabinets politiques et aux chefs d’agences gouvernementales pour soutenir financièrement le service public de santé dans la lutte contre l’épidémie de coronavirus.

Avec un PIB par habitant de 41.945 US$ en 2018, la Nouvelle-Zélande, cet autre pays développé prospère, a également été touché de plein fouet par la pandémie du Covid-19. La Première ministre Jacinda Ardern et les membres de son gouvernement ont décidé de baisser leurs salaires de 20% sur six mois. Pourquoi et quel impact sur les finances publiques? Explication de la Première ministre: « En soi, cela ne bouleversera pas la situation générale des finances, mais il s’agit ici de leadership. C’est une façon de reconnaître l’impact actuel[de la pandémie]pour de nombreux Néo-Zélandais ». La mesure concernait également les salaires des plus hauts fonctionnaires du pays.

Le comportement rationnel ci-dessus attendu de tout dirigeant digne de ce nom n’est pas l’apanage des pays occidentaux où la bonne gouvernance est généralement bien assurée, les droits de l’homme mieux respectés et les contre-pouvoirs effectifs. Par solidarité et pour soulager les économies mises en mal par la pandémie du Covid-19, plusieurs Etats du Sud ont pris des initiatives analogues pour lever des fonds, montrer l’exemple ou encore redistribuer le revenu national. Ainsi, à l’appel du Roi Mohammed VI du Maroc en mars 2020, les ministres et députés marocains ont « [verser]un mois de leur salaire à un fonds dédié à la gestion de la pandémie ». Le même réflexe a été observé en Algérie pour tous les membres du gouvernement. Début avril 2020, un communiqué du service de communication du Premier ministre Abdelaziz Djerad annonçait: « Le gouvernement entend traduire l’esprit de fraternité, de solidarité et d’entraide sociale qui anime le peuple algérien ». L’initiative a été rejoint par le Président Abdelmadjid Tebboune. En Turquie, le Président Recep Tayyip Erdogan ne s’est pas contenté de lancer un appel aux dons dans son discours du 30 mars 2020 à Istanbul. Contrairement au président congolais Félix Tshisekedi Tshilombo dit Fatshi Béton, allez savoir pourquoi, Erdogan s’est engagé à verser dans un fonds dédié à la riposte contre le Covid-19 « sept mois de son salaire annuel, pour inciter l’ensemble des Turcs à faire aussi un effort ». L’initiative a été suivie par tous les membres du gouvernement, avec « des dons compris entre trois et six mois de salaire ».

Même en Afrique sub-saharienne, théâtre de la médiocrité politique et de la mauvaise gouvernance par excellence, le Président Nana Akufo-Addo du Ghana s’est engagé à « [faire]don de ses salaires d’avril, mai et juin 2020 pour créer le capital de départ du fonds Covid-19″. La hausse du chômage entraînée par ce virus a poussé le Premier ministre rwandais Edouard Ngirente à prendre une décision inédite le 5 avril 2020. Par solidarité avec son peuple, les membres du gouvernement ont fait don de leurs salaires de ce mois. Pour juguler au maximum les dépenses de l’Etat dans le contexte mondial actuel, « des économies sur les salaires des hauts fonctionnaires de l’État[ont été]également appliquées au Malawi, l’argent mis de côté [permettant] de dégager des fonds pour [financer la réponse au coronavirus]« .

Au Congo-Kinshasa, Etat dont la réponse au Covid-19 dépend essentiellement de la générosité internationale, l’immoralité politique de Jeanine Mabunda est révoltante et condamnable à plus d’un titre. Avec ses potentialités économiques immenses sur tous les plans, ce pays se situe pourtant en queue de peloton en termes de PIB par habitant. En 2017, celui-ci était évalué à 785 US$ par le Fonds monétaire international, juste devant la République Centrafricaine, et à 800 US$ par la CIA World Factbook, devant le Burundi et la République Centrafricaine. En 2016, la Banque Mondiale l’avait également classé parmi les derniers, avant le Burundi et la République Centrafricaine, avec 802 US$. Par ailleurs, alors que le salaire des députés équivaut à un à trois fois le revenu par habitant dans les riches pays européens, Jeanine Mabunda, toute honte bue sans le moindre état d’âme, demande l’augmentation du salaire des députés congolais alors qu’il est fixé à près de 5.000 US$, c’est-à-dire supérieur au rapport ci-dessus de même qu’à la moyenne africaine qui est 3.367 US$, selon une enquête de la Deutsche Welle.

Amorcée tout au long du long règne du roi fainéant, prédateur et jouisseur que fut Mobutu Sese Seko et exacerbée au cours du régime des médiocres incarnée par le pillard et fêtard Joseph Kabila Kabange, la crétinisation et l’immoralité des hommes politiques congolais illustrées par Jeanine Mabunda ont encore de beaux jours devant elles tant que les questions des partis politiques propriétés des fondateurs, des tripatouillages électoraux, de clientélisme politique, de favoritisme tribal ou régional et, par voie de conséquence, d’absence de contre-pouvoirs effectifs et de redevabilité des dirigeants ne seront pas réglées. Le pouvoir congolais actuel est illégitime puisqu’issu d’élections qui ont foulé aux pieds la loi électorale du pays au vu et au su de la planète entière. Candidate unique à la présidence de l’Assemblée nationale en avril 2019 par la seule volonté d’un individu, le despote Joseph Kabila Kabange, Jeanine Mabunda Lioko sait qu’elle peut se moquer en toute impunité du peuple qu’elle est censée représenter et défendre. La Constitution et les lois du pays n’ont aucune valeur à ses yeux. Elle n’a peur que de la main diabolique qui l’a hissée au perchoir de l‘Assemblée nationale. Seules les solutions aux problèmes qui minent la gouvernance congolaise pousseront la crasse politique du pays à se transformer en classe politique. Seules ces solutions feraient que les Jeanine Mabunda deviennent une espèce de dirigeant en voie de disparition.

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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