Joseph Kabila: vraiment un médiocre?

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Dans l’histoire de la République non-Démocratique du Congo, jamais le mot “médiocre” n’a été autant prononcé que ces derniers jours. Et pour cause ! Réagissant, le 2 janvier, au traitement sauvage que des forces dites de l’ordre ont infligé à l’Eglise et ses fidèles afin d’étouffer dans l’œuf la marche pacifique organisée par le Comité Laïc Catholique, le Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, Archevêque de la ville de Kinshasa, a tout simplement traité Joseph Kabila et ses thuriféraires de médiocres qu’il a aussitôt appelés à dégager.

Dans la polémique qui s’en est suivie, il est aisé de répondre aux ténors du régime en place qui estiment que le cardinal est sorti de ses fonctions. Car, il leur suffirait de revoir un Jésus Christ inhabituel, pour qui tout cardinal n’est qu’un disciple, chasser les marchands du TempleOu encore, pour être en phase avec notre temps, suivre le Pape, le patron des cardinaux, s’impliquer dans le débat politique en cours sur l’immigration en Occident et surtout en Europe. Car, à l’instar du discours musclé du Cardinal Monsengwo, celui du Pape François est bien inscrit dans le cadre de l’identité et de la vocation messianique de Jésus Christ, précisées par lui-même, ainsi que des traits caractéristiques de toute communauté de foi digne de ce nom qui se rassemble en son nom. Mais parmi les Congolais qui approuvent la sortie médiatique fracassante du prélat et qui constituent sans nul doute l’écrasante majorité de la population, s’est-on seulement demandé si le terme “médiocres” ainsi que l’expression “prétendus vaillants hommes en uniforme” ont été dictés par la colère ou par l’analyse de la situation politique du pays ? Joseph Kabila est-il vraiment un chef d’Etat “médiocre” et nos policiers et soldats, des “prétendus vaillants hommes en uniforme” ? Nous nous proposons d’éclairer cette question à travers un exemple tiré de notre carrière.

Nous avons été une fois emmenés à vendre nos services à l’une des institutions internationales établies en Centrafrique pour aider ce pays à sortir d’une grande crise politico-militaire. Nous y avions alors côtoyé des policiers et soldats congolais. Nous avions même eu le privilège, dans l’exercice de nos fonctions, d’haranguer les troupes congolaises lors d’une passation de service avec des troupes d’un pays européen pour leur signifier que si la protection des civils était leur tâche prioritaire, pour la mener à bien, elles devaient avant tout gagner une première bataille, celle de la perception. Car quand le client, le peuple centrafricain dans ce cas-ci, est persuadé que les troupes étrangères sont là pour le protéger, le mandat devient facile à remplir.

On sait que les soldats congolais étaient rentrés au pays pour des raisons éthiques et non opérationnelles. Encore qu’il y ait beaucoup à dire à ce sujet. Ce que l’on ne sait pas par contre, c’est la raison du retour des policiers congolais. Et c’est à ce niveau qu’on peut se rendre compte si le terme “médiocres”, pour qualifier Joseph Kabila et ses clients internes, et l’expression “prétendus vaillants hommes en uniforme”, pour décrire les forces dites de l’ordre qui se sont rendues coupables d’une répression barbare des chrétiens, sont bien à leur place.

La République non-Démocratique du Congo avait fourni des policiers et soldats dans le cadre de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA), une mission de maintien de la paix autorisée le 5 décembre 2013 par le Conseil de sécurité des Nations Unies à travers sa Résolution 2127, mais sous la conduite de l’Union Africaine. Nos policiers avaient servi pendant neuf mois. Ouvrons une première parenthèse pour souligner qu’ils avaient bien perçu leurs salaires. Mais leurs primes, elles, étaient entièrement détournées.

Le 15 septembre 2014, il y eut passage officiel de témoin de la force africaine MISCA à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA), créé le 10 avril de la même année par le Conseil de sécurité via sa Résolution 2149. L’Union Africaine n’étant pas les Nations Unies, pour en arriver là, il fallait que les différents contingents policiers et militaires de la MISCA passent par un processus d’évaluation ou filtrage suivant les normes des Nations Unies. Nos compatriotes n’avaient aucune chance d’être retenus. D’abord, parce qu’il y avait une mission de maintien de la paix des Nations Unies dans notre pays. Ensuite, parce que de tous les contingents de la MISCA, les nôtres étaient les derniers de la classe sur le plan logistique. Mais en dépit de ce handicap, ils étaient les premiers sur le plan opérationnel, c’est-à-dire dans l’exécution de la tâche prioritaire qu’on attendait d’eux, à savoir protéger les civils. Par ailleurs, de même que jadis le dictateur centrafricain Jean Bedel Bokassa était le seul chef d’Etat à être accueilli chaleureusement aux cris de “Mwana mboka” à chacune de ses visites sous la dictature de Mobutu, policiers et soldats congolais avaient gagné la bataille de la perception au point d’être ceux qui étaient les mieux appréciés de la population centrafricaine.

Conscient des atouts soulignés ci-dessus, le leadership de la MISCA avait vivement recommandé nos policiers et soldats à la MINUSCA qui les avait intégrés dans ses rangs avec l’espoir que notre pays honorerait ses engagements en les dotant enfin des moyens logistiques à la hauteur de leur mission. Ouvrons une deuxième parenthèse pour expliquer trois petites choses. Primo, en plus des salaires qu’elles paient directement aux pays contributeurs de troupes et des rations alimentaires distribuées à celles-ci sur le terrain des opérations, les Nations Unies versent un loyer pour tous les moyens logistiques que ces pays mettent à la disposition de leurs troupes. Le Bangladesh, le Pakistan, l’Inde, l’Ouganda, le Kenya, le Rwanda et le Nigeria, qui sont actuellement les plus gros pays contributeurs, ont compris l’importance d’une telle manne financière. Secundo, le contrat signé avec un contingent est de six mois, renouvelable une fois. Cela signifie qu’après douze mois de service, le pays contributeur doit procéder à une rotation, avec l’arrivée d’un contingent frais. Tertio, le salaire d’un policier est de $1.200 par mois. A la discrétion de chaque pays, un montant peut être déduit de cette somme avant de payer le solde au policer.

Le Général Raus avait visité nos policiers à Bangui. Il avait promis d’envoyer les moyens logistiques qui faisaient défaut. Mais en avait-il le pouvoir ? Etait-il un responsable ou un larbin de service ? Six mois s’étaient écoulés sans que rien n’arrive. Normalement, la MINUSCA aurait dû renvoyer nos policiers. Mais ils étaient si performants sur le plan opérationnel qu’on les avait gardés. Toujours avec l’espoir de voir la République non-Démocratique du Congo assumer ses responsabilités conformément au protocole d’accord signé avec les Nations Unies. Après douze mois de service, la rotation devait avoir lieu. Mais comme les moyens logistiques n’étaient toujours pas au rendez-vous et que nos policiers étaient toujours performants malgré tout, on leur avait accordé quatre mois supplémentaires au bout desquels la MINUSCA avait fini par désespérer de la capacité des autorités congolaises à respecter leur signature. Mais, la Mission onusienne avait tiré la leçon de la performance de nos policiers. Elle avait fait passer un test à leurs officiers auquel dix d’entre eux avaient réussi pour servir comme coordonnateurs des activités des contingents de police d’autres pays, coordonnateurs payés directement par les Nations Unies.

Ouvrons une dernière parenthèse au sujet des salaires. Commençons par faire le calcul. Nos policiers avaient servi pendant seize mois. Le salaire mensuel étant de $1.200, cela fait un total de $19.200 pour chacun. Bien sûr, l’Etat congolais devait déduire, par mois, quelque chose se situant généralement entre $100 et $200. Tout au long de leur séjour en Centrafrique, leur commandante, une Katangaise, leur faisait croire, lors des rassemblements, que le pays n’envoyait pas les salaires. A leur retour à Kinshasa, chaque policier a perçu $20 sur les $19.200 espérés. Ecrivons en lettres le montant perçu pour seize mois de service pour qu’on comprenne bien qu’il ne s’agit pas d’une erreur de frappe : vingt dollars. Révoltés, nos policiers qui s’apprêtaient à revendiquer leurs droits furent intimidés et menacés. Quant à leur commandante qui faisait aussi partie des dix lauréats du test ci-dessus mais qui ne retournera pas en Centrafrique, elle fut flanquée de PM pour sa protection dans les rues de Kinshasa.

Quand on est Congolais et qu’on a évolué longtemps à l’étranger de préférence au sein de grandes organisations internationales non pas à coup de parachutage mais de ses propres efforts à travers concours et interviews sur les compétences requises pour mériter sa place, côtoyant au quotidien des ressources humaines venues des quatre coins du village planétaire, on se rend vite compte que nous sommes un grand peuple. Mais en matière de gouvernance, nous avons eu le malheur d’avoir des dirigeants impulsifs ou irréfléchis à des moments clés de notre histoire : le premier ministre Patrice Lumumba, l’éternel opposant Etienne Tshisekedi et le larbin de service Laurent-Désiré Kabila. Nous avons également eu le grand malheur d’avoir pour dirigeant et cela pendant de trop longues années un despote prédateur et roi fainéant en la personne de Mobutu Sese Seko. Par-dessus tout, nous avons le plus grand malheur d’avoir des élites politiques et intellectuelles sans boussole. Résultat, nous avons été facilement roulés dans la farine lors du parachutage, au sommet de notre Etat, d’un Cheval de Troie.

Joseph Kabila serait un chef d’Etat médiocre si son ascension était consécutive à un jeu politique endogène. Cheval de Troie, sa mission fut et reste de maintenir voire d’accentuer l’état comateux dans lequel les longues années Mobutu et l’éphémère règne de Laurent Désiré Kabila ont plongé notre nation. Comme le démontre le cas de nos policiers et soldats en Centrafrique, tout a été fait pour que l’Etat congolais ne puisse saisir l’occasion qui lui était offerte par des circonstances exceptionnelles pour se hisser au rang des plus gros contributeurs de troupes des opérations de maintien de la paix à travers le monde; ce qui est pourtant sa vocation naturelle. Joseph Kabila est là non pas pour servir notre nation mais pour la desservir délibérément. Mais comme il doit jouer le jeu d’être notre chef d’Etat, nous avons droit au saupoudrage appelé tantôt cinq chantiers, tantôt révolution de la modernité. 

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
© Congoindépendant 2003-2018

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