« Kabila » imperturbable face aux « manifestes » et « déclarations ». Pourquoi?

Analyse

Des universitaires congolais ont publié le samedi 14 juillet un « manifeste » demandant à « Joseph Kabila » de renoncer à son idée de briguer un troisième mandat. Cette démarche est loin d’être la première du genre. Chaque fois, l’homme est resté imperturbable à l’image du canard qui sent les gouttes d’eau de pluie glisser sur ses plumes. Le problème se trouve au niveau des rapports de force. Les représentants des forces politiques et sociales ont tort de penser qu’un pouvoir conquis par la force des armes peut être « dégagé » par les urnes.

A quelques cinq mois de la date fixée pour l’élection présidentielle, les législatives et les provinciales, « Joseph Kabila » dont le dernier mandat a expiré le 19 décembre 2016 continue à prendre des décisions majeures sur les affaires du pays alors qu’il ne dispose plus de pouvoirs constitutionnels et sa compétence se limite à expédier les affaires courantes.

Samedi 14 juillet, le « raïs » a créé l’événement en nommant un nouveau chef d’état-major général à la tête de l’armée congolaise (FARDC). De même, il a promu 40 officiers au grade de général-major et 9 au grade de général de brigade. Certains des nominés portent des patronymes « inhabituels ».

Numbi et Chebeya en filigrane

Comme pour braver l’opinion, le Président hors mandat a nommé le très sulfureux général John Numbi Banza Tambo en qualité d’inspecteur général de l’armée congolaise. Ancien patron de la police nationale, Numbi est considéré comme étant le « suspect numéro un » dans le double assassinat du défenseur des droits de l’Homme Floribert Chebeya Bahizire et de son chauffeur Fidèle Bazana Edadi. C’était le 1er juin 2010.

Au lieu de faire ses « cartons » en prévision du prochain déménagement, on apprenait que « Kabila » a créé de nouveaux postes au sein de son cabinet. L’homme annonce ainsi les couleurs à quelques cinq mois de la tenue des élections. Il se voit déjà se succédant à lui-même. Les Kinois diront « Kabila asigner eyoma ». Traduction: le « raïs » est prêt pour le grand affrontement.

« SITUATION CATASTROPHIQUE »

Les voyageurs en provenance de Kinshasa et de Lubumbashi décrivent une situation « catastrophique » au plan social. « Le pays n’est ni gouverné ni administré », disent-ils. Une allusion à l’insécurité généralisée ainsi qu’aux immondices qui s’amoncellent notamment dans la capitale. Les parents sont de moins en moins capables de payer le minerval de leurs progénitures tant au niveau de l’enseignement secondaire que supérieur et universitaire.

Au plan économique, les témoignages abondent dans le même sens: « La hausse du cours des matières premières n’a aucun impact dans le vécu quotidien de la population ».

En dépit de ce sombre bilan, « Joseph Kabila » ne fait pas mystère de son ambition de rester Président à la place du Président. A partir du 25 juillet jusqu’au 10 août, tous les regards seront braqués sur la CENI où « Kabila » ou son « délégué » pourrait aller déposer sa candidature. En cas de rejet, l’impétrant pourrait saisir une Cour constitutionnelle acquise à sa cause.

Aussi, a-t-il verrouillé l’arène politique. Il faut être un parfait naïf pour espérer la tenue le 23 décembre prochain des élections libres et équitables qui ne défavorisent aucun postulant.

A l’initiative des organisations non gouvernementales ACAJ (Association congolaise pour l’accès à la justice) et IDGPA (Institut pour la démocratie, la gouvernance, la paix et le développement en Afrique), une centaine d’universitaires congolais ont publié, le même samedi 14 juillet, un « Manifeste ». Les signataires (Jacques Djoli Es’Engekeli, André Mbata Mangu et Alphonse Ntumba Luaba ) demandent à « Kabila » de renoncer à l’idée de briguer un nouveau mandat.

VŒUX PIEUX

Le document rappelle que « l’obligation de protéger et de défendre la Constitution s’impose en premier lieu au Président de la République qui, avant d’entrer en fonction, avait juré solennellement de l’observer et de la défendre, devant Dieu et la Nation. Le non-respect du serment constitutionnel constitue une infraction imprescriptible de haute trahison contre la Nation et L’Etat ».

Ces propos qui oscillent entre le droit et la morale sauront-ils émouvoir le « raïs »? On peut franchement en douter. Devenu autiste, l’homme paraît décidé à jouer son va-tout. Et surtout à croiser le fer avec ses adversaires tant nationaux qu’étrangers.

La démarche entreprise par ces universitaires risque de rejoindre le « cimetière de vœux pieux » où sont « ensevelis » des manifestes et autres déclarations au ton comminatoire.

Léonie Kandolo

Léonie Kandolo

On peut citer notamment: l’Acte d’engagement des forces politiques et sociales acquises au changement ayant donné naissance, le 10 juin 2016 à Genval, au « Rassemblement » invitant « Joseph Kabila » à quitter le pouvoir « le 20 décembre 2016 à 00h00 »; la Déclaration du Front Citoyen 2016. Plusieurs signataires ont rejoint le camp kabiliste. C’est le cas de José Makila Sumanda et de Samy Badibanga Ntita; le 31 décembre 2016, est signé l’Accord dit de la Saint Sylvestre; le 23 juin 2017, la Conférence épiscopale du Congo publie son message intitulé « Le pays va très mal. Debout, Congolais! » les prélats catholiques notèrent qu’ « une minorité de concitoyens a décidé de prendre en otage la vie des millions de Congolais »; le 18 août 2017 des représentants des organisations de la société civile, des mouvements citoyens et des personnalités indépendantes réunis en France publient le « Manifeste du Citoyen Congolais ». Plusieurs signataires sont depuis harcelés par le pouvoir finissant. C’est le cas du Filimbi Carbone Beni détenu de manière arbitraire depuis le 30 décembre 2017, Léonie Kandolo de la « Coordination laïc catholique » (CLC) qui vit en clandestinité depuis le mois de janvier dernier et du journaliste basé à Kananga Edouard Diyi Tshitenge qui aurait pris le chemin de l’exil.

LE MYTHE DE L’ARTICLE 64

Les législateurs de 2005 avaient prévu l’article 64 pour barrer la route à toute dérive dictatoriale. Le premier alinéa de cette disposition stipule: « tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la présente constitution ».

Seulement voilà, ces mêmes législateurs avaient perdu de vue que la sanction apporte une dimension essentielle à la loi. Ils devaient spécifier le mécanisme destiné à « faire échec » à toute tentative de coup de force. Est-ce des « marches pacifiques »? Le peuple doit-il prendre les armes?

Ce silence des rédacteurs de la Constitution en vigueur profite au dictateur « Kabila ». Celui-ci contrôle la force publique (l’armée, la police, les services de renseignements civils et militaires) et le trésor. Sans omettre l’appareil judiciaire. Et ce y compris la Cour constitutionnelle. L’Etat, c’est lui!

Les rapports de force sont et seront, comme on le voit, en faveur de l’oligarchie au pouvoir aussi longtemps que les forces du progrès n’auront pas intégré dans leur stratégie cette sagesse vulgarisée par Montesquieu: « Un empire fondé par les armes a besoin de se soutenir par les armes ». Autrement dit, un pouvoir conquis par la force des armes ne pourrait être « dégagé » que par la force des armes et non par la « force des urnes »…

 

Baudouin Amba Wetshi

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