Kiakwama parle au peuple et à son despote

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Du 15 au 29 octobre 2017, Gilbert Kiakwama kia Kiziki a parlé au peuple congolais et surtout à son despote à travers une lettre ouverte intitulée « Le sens d’un serment, la valeur de la parole donnée, la rupture du Pacte Républicain, la faillite d’une Nation et la puissance d’un peuple », lettre publiée dans la rubrique « Communication politique » de CIC. Kiakwama n’est pas n’importe qui. Comme il se présente lui-même, il est « parmi les rares actifs aujourd’hui à avoir été ministre sous Mobutu, dans les années 70 déjà. Il est entré en opposition en 1988 et il a librement adhéré à un parti politique d’opposition (le PDSC) il y a 26 ans, en avril 1991. Depuis 26 ans maintenant il est sans discontinuer, non pas dans l’opposition, mais fidèle à ses convictions et à sa ligne. Il aura bientôt 80 ans. Sa seule force, c’est sa parole. Le seul legs qu’il laissera en définitive ».

Rien qu’à la lecture de son nom, Gilbert Kikwama kia Kiziki, on peut se poser mille et une questions sur ce qu’il entend par « le sens d’un serment », « la valeur de la parole donnée » ou encore la « fidélité à ses convictions ». Voilà un homme politique qui tout au long du mobutisme triomphant était fier de porter le nom de Kiakwama kia Kiziki, au nom de la philosophie politique de recours à l’authenticité. Mais à la suite de l’ouverture démocratique lancée officiellement par le discours de Mobutu le 24 avril 1990, il retrouve son prénom prétendument chrétien de Gilbert, reniant du coup la plus grande idéologie politique qu’il servait en étant au pouvoir aux côtés de Mobutu. Qui était Kiakwama kia Kiziki pendant tout ce temps? Un homme de conviction ou un opportuniste? « Les mots ont un sens. La parole à un poids », écrit-il aujourd’hui. Nous avions cru en eux, les mobutistes. Quel était alors le sens des mots qu’ils prononçaient au nom du recours à l’authenticité? Quel était le poids de leurs paroles?

Laissons Gilbert Kiakwama kia Kiziki se satisfaire de sa vocation tardive d’homme de conviction. Intéressons-nous à ce qu’il présente, du haut de ses prochains 80 ans, comme « sa seule force qui est sa parole », « le seul legs qu’il laissera en définitive ». Celui-ci peut-il permettre à notre pays de se relever de sa mauvaise gouvernance endémique?

Pour sortir notre nation des marais, pour le relever de sa longue et interminable tragédie en matière de gouvernance, nous avons créé des partis politiques. Loin d’être des prises de position face aux conflits et préoccupations majeurs qui traversent notre société, comme en Occident qui nous sert pourtant de boussole, nos partis sont des simples choses entre les mains des présidents-fondateurs et pour leurs intérêts égoïstes. Des « ligablo ». A l’élection présidentielle de 2011, Joseph Kabila a clairement démontré que les formations politiques ne sont que des coquilles vides. Chef du parti PPRD, il s’est permis de se présenter à l’élection en tant que candidat indépendant. Il n’a pas été désavoué par son parti. Après sa « victoire », il s’est immiscé dans la gestion des partis alliés au PPRD en décidant que leurs chefs devaient présenter des candidats autres qu’eux-mêmes pour entrer au gouvernement. Son dictat fut respecté. Une fois ministres, certains de petits poissons sont devenus des ennemis jurés des propriétaires des « ligablo » parce qu’ils rechignaient à être des vaches à lait pour ces derniers qui exigeaient qu’on leur versa un pourcentage bien déterminé des émoluments. Après avoir envoyé à trois reprises – fin février, début mars et à la mi-septembre 2015 – des courriers à Joseph Kabila dans lesquels ils s’opposaient à toute tentative de prolongement de son deuxième et dernier mandat constitutionnel, des poches de ce dernier se sont rebellés en créant le G7. Mais, avec une étonnante facilité et à coups d’achat de conscience, le président de la république a fait imploser les partis des frondeurs. Impuissant, le peuple et les militants ont assisté au dédoublement des partis ayant quitté la majorité présidentielle. Le paroxysme du déni de démocratie ou du désespoir démocratique fut atteint fin-octobre 2017 avec le cas Pierre Kangudia Mbayi, Ministre d’Etat chargé du Budget. Celui-ci représente le « ligablo » UNC de Vital Kamerhe. Mais quand ce dernier décide de claquer la porte du gouvernement, au nom de ses intérêts égoïstes, Pierre Kangudia décide d’y rester, au nom de ses intérêts égoïstes à lui.

Ce qui est dit ci-dessus est déjà grave pour un système politique dit démocratique. Sous d’autres cieux, cela suffirait à le remettre en cause. Non seulement il n’y a aucune remise en question, mais en plus, il y a plus grave. La présidence de la république a usurpé, au su et au vu de tous, les fonctions du gouvernement, vidant celui-ci de sa substance. L’administration publique, la justice et les forces de sécurité sont ouvertement détournés de leurs missions respectives pour se mettre au service d’un individu: le président de la république. Celui-ci, qui a prêté le serment que reprend Gilbert Kiakwama kia Kiziki, en « jurant solennellement devant Dieu et la nation: d’observer et de défendre la Constitution et les lois de la République; de maintenir son indépendance et l’intégrité de son territoire; de sauvegarder l’unité nationale; de ne se laisser guider que par l’intérêt général et le respect des droits de la personne humaine; de consacrer toutes ses forces à la promotion du bien commun et de la paix; et de remplir, loyalement et en fidèle serviteur du peuple, les hautes fonctions qui lui sont confiées », est celui-là même qui foule au pied ladite Constitution, en refusant d’organiser les élections à la fin de son deuxième et dernier mandat et en se cramponnant au pouvoir par défi. Comble d’insulte à l’autodétermination du peuple, notre pays aux dimensions sous continentales est devenu une zone d’influence d’une républiquette voisine que Kiakwama décrit comme une « figure tutélaire évanescente, toujours à la manœuvre mais jamais citée ». Quand on enrichit ce tableau sombre par le fait que Joseph Kabila et les membres de sa famille biologique ont fait main basse sur les finances publiques et les ressources naturelles de l’Etat, le moins que l’on puisse dire est que notre nation est ensevelie par une avalanche de catastrophes majeures ou de hautes trahisons.

On peut comprendre qu’un chef d’Etat commette de telles forfaitures. Mais dans un système politique dit démocratique, on ne peut concevoir qu’elles soient perpétrées en toute impunité. La liberté à commettre des crimes de tout genre dont jouissent Joseph Kabila, les membres de sa famille biologique et ses clients politiques internes est si grave qu’elle devrait déboucher au moins sur un questionnement du modèle politique en vigueur, au plus sur un aggiornamento politique. Car, Kiakwama le souligne lui-même, en plus du tableau sombre de l’exécutif, notre « parlement est un rump parliament peuplé de godillots, assurant une majorité mécanique, coupée de toute réalité ». Que nous propose-t-il alors face à cette situation politique plus que consternante, caractérisée par le « désordre et l’anomie » sur les plans économique, social, politique et moral, comme il le démontre si bien?

« Lorsqu’un peuple retire sa confiance à ses dirigeants », écrit Kiakwama, « le changement est impérieux ». Nous sommes tous d’accord à ce sujet. Mais prononcer le mot « changement » ou « rupture », que celle-ci soit « fondamentale et urgente », importe peu. Ce qui est important, c’est le contenu qu’on donne aux lexèmes. Qu’entend-t-il par changement, ce terme tant galvaudé en politique? Reprenons sa propre interrogation: « Quel chemin pour le Congo? ». Pour Kiakwama, « il nous faut sortir rapidement de cette illégitimité institutionnelle qui va exacerber les passions politiques et rompre la paix civile ». Aussi invite-il Joseph Kabila à « prendre exemple sur son aîné et ancien collègue, Michel Martelly, en quittant d’initiative sa fonction et ainsi ouvrir la voie à son remplacement à titre intérimaire par un gouvernement de transition neutre »; ce qui permettrait « d’organiser des élections véritablement neutres et apaisées ». Il l’invite également à « s’inspirer de ce qu’avait fait Frederik W. De Klerk en Afrique du Sud, créer un choc de confiance, en libérant unilatéralement tous les prisonniers politiques et d’opinion, quel que soit le prétexte sous lequel ils ont été emprisonnés ».

Gilbert Kiakwama kia Kiziki est un oiseau rare dans l’espace politique congolais. Contrairement à l’écrasante majorité de nos animaux politiques, des tonneaux vides ayant pour vocation de faire beaucoup de bruit pour rien, il met de nombreuses réflexions sur la place publique, laissant ainsi sa trace. Mais comme on l’aura constaté, Kiakwama ne fait que tracer la voie pour le retour à l’ordre constitutionnel tant martelé par tous les opposants, certains acteurs de la société civile et tous les partenaires extérieurs. Pourtant, cet ordre constitutionnel est celui-là même qui a permis à Joseph Kabila d’installer, en toute impunité, le « désordre et l’anomie » sur tous les plans de la vie nationale. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il va sans dire qu’après les élections devant sanctionner la fin de l’énième transition sous le ciel congolais, nos partis politiques resteront des « ligablo » et notre parlement, une caisse de résonance du détenteur de l’imperium. Par ailleurs, le pouvoir de ce dernier ne sera soumis à aucun contrôle effectif; ce qui déboucherait une fois de plus sur « la confiscation par un seul individu, ou un groupe, de tous les attributs de souveraineté d’un peuple », dixit le professeur Kinyongo Jeki.

En dressant le constat de la faillite de notre Etat et en concluant qu’il ne reste plus qu’à « la prononcer, à solder les comptes, à passer sous administration provisoire », Gilbert Kiakwama kia Kiziki fonde ses espoirs sur ce qu’il appelle « un repreneur sérieux » qui se présenterait et serait approuvé par le peuple. Or, il n’est écrit sur le front de personne qu’on est « un repreneur sérieux ». En outre, même si une telle émergence est possible et souhaitable, un Etat, une nation doit avant tout compter sur des institutions sérieuses, les repreneurs apparemment sérieux pouvant à tout instant être corrompus par l’exercice du pouvoir. Seules les institutions sérieuses ou fortes sont en mesure de faire barrage à l’expropriation, en toute impunité, des attributs de souveraineté de tout un peuple par un individu ou un groupe d’individus.

Tout compte fait, face à la tragédie perpétuelle de notre pays au chapitre de la gouvernance, face aux dysfonctionnements systémiques décrits ci-dessus, qui sont loin d’être exhaustifs, les presque 80 années de Gilbert Kiakwama kia Kiziki et sa longue carrière politique qui remonte aux années 70 n’apportent aucune réponse. Kiakwama nous exhorte tout simplement à chanter avec Koffi Olomide: « Tozo ko rond-point ». Car, son discours s’inscrit dans le cadre de l’éternel recommencement ou du piège sans fin et non de la « rupture fondamentale et urgente » qu’il voudrait et que notre peuple tant martyrisé attend légitimement de tous ses vœux. Et c’est bien dommage pour un homme soucieux de laisser un héritage politique à la postérité.

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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