Kinshasa: Ne Muanda Nsemi, un « mort » qui se porte très bien…

Disparu des écrans radar depuis sa mystérieuse évasion de la prison centrale de Makala un certain 17 mai 2017, Ne Muanda Nsemi, de son vrai nom Zacharie Badiengila, leader du mouvement politico-religieux Bundu dia Kongo, rebaptisé Bundu di Mayala, a fait une réapparition tout aussi mystérieuse le lundi 6 mai 2019. L’homme que l’on croyait « mort » du fait de sa longue « absence », se portait donc bien. Où était-il? A quel jeu joue-t-il? Pourquoi a-t-il choisi d’apparaître aux côtés de Joseph Olenghankoy, le président du CNSA (Conseil national du suivi de l’accord de la St Sylvestre)? Des questions qui restent sans réponses. Assurant l’intérim à la tête du ministère de l’Intérieur, Basile Olongo exige que Ne Muanda Nsemi soit remis en prison. Une décision compréhensible mais discutable.

Ne Muanda Nsemi était porté disparu depuis vingt-trois mois et 23 jours. La dernière fois qu’il a été vu, le leader de BDK ou BDM faisait face à un péril de mort. C’était lors de son « évasion » à la prison centrale de Makala où il attendait son procès du chef notamment d’ « atteinte à la sûreté de l’Etat » et « outrage au chef de l’Etat ».

Le 17 mai 2017, ce pénitencier est attaqué par un groupe d’hommes et de femmes non identifiés. Ceux-ci avaient la tête et les bras ceints de bandeau écarlate. Qui sont-ils? Comment ont-ils pu avoir accès à ce bâtiment dont la surveillance est généralement assurée par des policiers et des membres de la garde prétorienne de « Joseph Kabila »?

Les « assaillants » ont circulé dans l’enceinte de la prison de 03h40 à 05h00 du matin lorsqu’ils ont atteint le « Pavillon 1 » où se trouvait Ne Muanda Nsemi. C’est à 05h00 que des éléments de l’armée congolaise, appelés en renfort, vont descendre sur le lieu. Echanges de coups de feu.

A en croire, Alexis Thambwe Mwamba, alors ministre de la Justice, « il y a eu des morts » lors de ces accrochages. Les identités des victimes n’ont jamais été divulguées.

« DISPARITION »

Des analystes avaient cru, de bonne foi et surtout en l’absence de preuve contraire, que le pouvoir kabiliste avait monté de toutes pièces une prétendue cavale en guise d’alibi afin de camoufler l’exécution extrajudiciaire de ce concitoyen congolais dont le franc-parler, parfois à l’emporte-pièce, dérangeait « Kabila » et ses « sbires ».

Natif de la province du Kongo Central, notre chroniqueur Bamba di Lelo a écrit plusieurs articles pour dénoncer la « disparition » de Ne Muanda Nsemi. En droit, la « disparition » est définie comme suit: « Evénement qui, en raison des circonstances dans lesquelles il est survenu, fait douter de la survie d’une personne. Sa non-représentation, consécutive au péril de mort auquel elle s’est trouvée exposée, conduit à bref délai à un jugement déclaratif du décès ».

Dans un article publié, en février dernier, dans les colonnes de Congo Indépendant, Bamba, se fondant sur l’inexistence de signes de vie depuis le 17 mai 2017, n’est pas allé par quatre chemins en titrant: « Joseph Kabila: Où est le cadavre de Ne Muanda Nsemi? » L’intention était manifestement de contraindre le pouvoir kabiliste à dire la vérité. Toute la vérité.

Le constat est là: le leader du BDK-BDM est un « mort » qui se porte très bien. Il a eu tout le monde. Lundi 6 mai, l’homme, barbe rasée, vêtu d’un beau costume bleu-roi avec cravate assortie sur une chemise blanche, a créé l’événement par sa réapparition énigmatique aux côtés de Joseph Olenghankoy.

Conscient du « beau rôle » qui était le sien, le Président des Fonus a déclaré ces mots au cours d’un point de presse: « Beaucoup de choses ont été dites dans ce pays. Certains ont même prétendu que Ne Muanda Nsemi était tué ». D’après lui,  le leader de l’ex-BDK « est là pour contribuer à la reconstruction du pays ». Tel un joueur de football, Ne Muanda Nsemi saisit la « passe » en enchaînant: « Je suis venu pour consolider la paix dans ce pays ». Comment? Silence radio.

L’ex-fugitif a fini par marmonner qu’il tiendra « incessamment » un point de presse pour répondre « à toutes les questions ».

Basile Olongo, Ministre de l’Intérieur ai

JUSTICE À DEUX VITESSES

Mardi 7 mai, le ministre de l’Intérieur ad intérim, l’ex-opposant Basile Olongo, a vu rouge. Il a déclaré chez nos confrères d’Actualité.cd que Ne Muanda Nsemi doit regagner la prison de Makala. Illico presto. « C’est un fugitif, a-t-il martelé. Il doit d’abord regagner sa cellule. Nous sommes un gouvernement légaliste. S’il doit bénéficier d’une mesure de décrispation du climat politique, cela doit suivre la procédure ». Jusque là, il n’y a rien à fouetter un chat.

On espère cependant que le ministre Olongo a déjà pris la peine de parcourir l’article 12 de la Constitution promulguée le 18 février 2006. Cette disposition stipule: « Tous les Congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois ».

On espère également que ce membre du gouvernement en affaires courantes se souvient du cas de l’autre évadé de prison nommé Kyungu Mutanga, alias Gédéon.

Condamné à mort en mars 2009 notamment pour crimes contre l’humanité commis entre 2002 et 2006 dans le triangle Manono-Pweto-Mitwaba, cet ex-chef milicien s’est évadé de la prison de « haute sécurité » de la Kasapa. C’était le 7 septembre 2011.

L’ex-égorgeur a fait sa réapparition en octobre 2016 à Lubumbashi. Il reçut un accueil quasiment « officiel ». Patron de l’ANR (Agence nationale de renseignements) au moment des faits, Kalev Mutond était présent.

Pour la petite histoire, l’ex-chef milicien portait un teeshirt orné d’une photo de « Kabila » assorti du slogan: « Shikata ». Mot Kiluba qui pourrait se traduire par: « demeurez à votre poste ».

Que l’on se comprenne bien: toute évasion de prisonnier doit être punie sans tergiversation conformément à la loi.

Aux dernières nouvelles, le fameux Gédéon serait logé dans une villa cossue dans le très huppé « Quartier Golf » à Lubumbashi. Aucun gouvernant congolais n’a osé inviter, à ce jour, ce fugitif à regagner la Kasapa.  Pourquoi? Kyungu Mutanga serait-il un intouchable? Serait-il plus Congolais que Ne Muanda Nsemi?

On ne pourrait s’empêcher de regretter que l’ACAJ (Association congolaise pour l’accès à la Justice) – dont la rigueur et le sens de l’équité ne sont plus à démontrer – a semblé préférer « hurler avec les loups » en demandant au procureur général près la Cour de cassation, le très peu fiable Flory Kabange Numbi, « d’ordonner dans le meilleur délai, la réincarcération de Ne Muanda Nsemi ».

Va-t-on assister à l’institutionnalisation d’une « Justice à deux vitesses » selon qu’on est puissant ou misérable?

 

Baudouin Amba Wetshi

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