La chute d’un despote

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Il était une fois au Congo-Kinshasa une présidente de l’Assemblée nationale appelée Jeanine Mabunda. Elle croyait tellement en la toute-puissance de son mentor de despote nommé Joseph Kabila que, surfant sur une majorité factice de plus de 300 sur 500 députés nationaux, elle avait souvent l’outrecuidance de menacer le président de la république Félix Tshisekedi de destitution pour haute trahison non pas du peuple mais d’un chiffon d’accord secret entre Kabila et son successeur piégé par une telle majorité.

Contre toute attente, Mabunda et ses six collègues membres du bureau de l’Assemblée nationale furent visés par une pétition de destitution, signée par près de 250 députés. Foulant aux pieds le règlement intérieur de son institution, elle convoqua une plénière le 7 décembre 2020 pour 13h00 ce qui expliquera les incidents qui avaient éclaté dans l’enceinte du Parlement à Kinshasa ce jour-là, entre les partisans du président Félix Tshisekedi et ceux de son encombrant prédécesseur et allié, le despote prédateur Joseph Kabila.

Pourquoi Mabunda s’était-elle entêtée? L’achat des consciences, on le savait, constituait le moteur de l’administration Kabila, aux côtés des arrestations arbitraires, des emprisonnements d’opposants et des tueries, certaines ayant eu lieu dans des églises avec le Bon Dieu lui-même comme témoin. Le 7 décembre, Mabunda avait pour mission d’acheter les consciences des députés en leur offrant des jeeps dont les montants seraient progressivement déduits de leurs fiches de paie. En outre et en dessous de table, les députés soupçonnés d’avoir abandonné le navire du Front National des Corrompus (FCC) qui coulait lentement mais surement devaient recevoir chacun la coquette somme de 50.000 USD.

Mais il était écrit au ciel que Mabunda allait piteusement échouer. Le 8 décembre, le bureau d’âge était installé à l’Assemblée nationale pour statuer sur les griefs des pétitionnaires. Mieux, les trois membres de ce bureau étaient reçus, le 9 décembre, par le successeur du despote. Les attributs du pouvoir, voiture de fonction et gardes du corps, étaient retirés à Jeannine Mabunda. Autoproclamée nationaliste comme tous les corrompus regroupés autour de Kabila, Mabunda avait trouvé refuge non pas à Kingakati, bastion du despote réputé imprenable, mais auprès de la mission des Nations Unies.

Le 10 décembre, le jeu démocratique était joué jusqu’au bout. Doyen des députés et président du bureau d’âge, le Kwangolais Christophe Mboso N’Kodia Pwanga avait dirigé la plénière de main de maitre. Chaque camp avait mobilisé les siens, en commençant par le Front Commun des Corrompus (FCC) de Joseph Kabila qui revendiquait jusqu’alors une majorité de plus de 300 députés depuis les élections de décembre 2018. Sur les 500 députés nationaux, 483 avaient pris rendez-vous avec l’histoire. Les pétitions étaient présentées au cas par cas. Les accusés s’étaient défendus, à l’exception de la deuxième questrice étiquetée FCC. Celle-ci s’était excusée pour avoir fait une crise cardiaque la veille. Un signe de mauvais augure! Pour balayer les accusations de débauchage de part et d’autre ou minimiser leur ampleur, les votes s’étaient déroulés par bulletins secrets. Tomba alors le verdict des urnes que le despote ne pouvait plus manipuler comme lors des élections générales de 2006, 2011 et 2018. Les députés venaient de voter pour la déchéance de son caniche Jeanine Mabunda par 281 voix contre 200 ainsi que pour celle de quatre des cinq membres de son bureau. La fibre patriotique avait transformé la majorité dont se targuait le FCC en une pauvre minorité de 200 voix contre la destitution. On aurait beau enrichir ces voix inutiles par l’unique abstention et l’unique voix nulle, elles restaient nulles et sans effet. Un coin de l’Assemblée nationale s’était alors transformé en night-club où des députés exécutaient les pas de la danse Fimbo (Chicotte) du Monstre d’Amour Félix Wazekwa. L’Union sacrée de la nation lancée par le président Félix Tshisekedi avait fait basculer la majorité parlementaire. La terre s’était dérobée sous les pieds du despote prédateur. Le gouvernement de son autre caniche Sylvestre Ilunga Ilunkamba était désormais réputé démissionnaire. Paraphrasant les paroles publiques du Général De Gaule, pour la première fois depuis la chute de Mobutu, les Kinois s’écriaient: « Kinshasa! Kinshasa outragé! Kinshasa brisé! Kinshasa martyrisé! mais Kinshasa libéré! ».

Le 10 décembre 2020 restera une date gravée dans les annales de l’histoire du Congo-Kinshasa. Manipulé par le despote avec la complicité d’une Commission Electorale Nationale (dite) Indépendante (CENI), le verdict des urnes des élections législatives de décembre 2018 était restauré. Le Bon Dieu avait enfin exaucé la prière de Mgr Laurent Monsengwo Pasinya: « Que les médiocres dégagent! ». Les mânes de nos ancêtres n’étaient pas en reste. Ils avaient répondu favorablement au cri du cœur de leur fils Jean-Marc Kabund, président par intérim de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), la fille ainée de l’opposition congolaise enfin au pouvoir: « Ils [FCC] vont apprendre à nager ». Comprenez, nager pour traverser le fleuve Congo afin d’aller chercher refuge dans l’autre Congo ou sous d’autres cieux. Car ils seront désormais poursuivis pour tous leurs crimes.

La destitution de Janine Mabunda ouvrait une nouvelle page dans l’histoire tumultueuse du Congo-Kinshsasa. Les moments de joie n’avaient jamais manqué dans la politique du pays. Ce qui avait toujours manqué à la nation congolaise, c’était la possibilité pour ces moments de s’inscrire dans la durée. Félix Tshisekedi avait désormais toutes les cartes en mains. Qu’allait-il écrire sur la nouvelle page? Il devait d’abord amorcer la dékabilisation du pays. Et vite! Au perchoir du Sénat. Aux sommets de certains gouvernements provinciaux. Dans la police. Dans l’armée. Dans les services secrets. Dans l’administration publique. Il ne s’agissait pas de lancer la chasse aux sorcières. Il fallait que les satisfaits et arrogants Kabilistes soient rattrapés par les nombreuses casseroles qu’ils trainaient derrière eux, leur chef de bande en tête.

Auréolé de sa victoire éclatante, le Kamikaze miraculé de la nation, Félix Tshisekedi, pouvait se prendre pour la huitième merveille du monde. Marcher sur les pas de son prédateur de prédécesseur devenait chose facile pour lui. Au nom de la puissance. Au nom de la gloire. Au nom de l’enrichissement. Cette probabilité était d’autant plus grande que la tâche la plus aisée des présidents africains s’offrait à lui. En effet, contrairement à la situation prévalant dans les démocraties occidentales où les négociations en vue de la formation d’un gouvernement, en cas d’absence de majorité au parlement, tournaient avant tout autour de la politique à mener ensemble, en Afrique, les présidents invitaient tout simplement des individus aux dents longues à la mangeoire. Et la majorité présidentielle était née, construite sur du sable. A cela s’ajoutaient les Constitutions boiteuses africaines accordant aux présidents une trop grande capacité de patronage dans les corps constitués de l’Etat. Bien ou mal élu, tout président africain finissait par se retrouver automatiquement au-dessus de la loi, le phénomène clientéliste aidant.

Sans vouloir gâcher le plaisir de l’écrasante majorité de Congolais dans la perspective de voir leur despote mordre enfin la poussière, si les reformes tant attendues par le peuple et tant espérées par le président de la république lui-même se limitaient au niveau des réformettes au lieu de changer de fond en comble le système politique afin d’éradiquer le népotisme, le favoritisme tribal, ethnique ou régional ou encore le clientélisme politique, et de combattre l’impunité du chef de l’Etat et de sa clientèle, la grandeur de Félix Tshisekedi magnifiée se transformerait vite en nouveau cauchemar. Tout en concluant par cette projection que l’histoire du pays n’avait jamais démentie en près de six décennies d’indépendance, je nous invite maintenant à sabler le champagne pour célébrer la chute du despote. A nos verres!

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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