La démocratie de façade béninoise jette le masque

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

« La question à laquelle l’Afrique doit impérativement répondre » (CIC, 28 avril 2019). En rédigeant cet article, nous ne pensions pas qu’un Etat africain, qui a toujours semblé invalider notre thèse, allait finir par s’incliner, quelques jours après, devant celle-ci. Qu’on se rappelle que nous concluions ainsi notre texte: « Nous l’avons déjà écrit et nous l’écrirons encore et toujours. Les Congolais, comme du reste les autres peuples d’Afrique, souffrent avant tout de la démission de leurs élites devant les tares pourtant évidentes du modèle politique importé de l’Occident. Tant qu’on ne s’en rendra pas compte, toute lutte pour la dignité de l’homme africain sera vouée à l’échec ».

Depuis la réussite de son processus de transition démocratique à la fin des années 1980, le Bénin a toujours été présenté, par des intellectuels et hommes politiques qui ne voient pas plus loin que les bouts de leurs nez, comme un modèle de démocratie en Afrique. Nous avions abordé cette question dans notre livre « L’Ajustement politique africain. Pour une démocratie endogène au Congo-Kinshasa » (L’Harmattan, Paris, L’Harmattan Inc., Montréal, 1999).

La troisième et dernière partie de cette brique de 284 pages s’articule en deux chapitres. L’un, le dixième, porte sur « des voies bouchées » et donc à ne pas suivre, et l’autre, le onzième, sur le « changement de cap » qui s’impose. Nous avons identifié sept voies bouchées. La cinquième concerne précisément l’exemple béninois qui, pour nous, ne mérite pas d’être suivie. Les autres six voies sont: « Rechercher un bouc émissaire »; « Appeler l’Occident au secours »; « Recourir au coup d’Etat »; « Suivre la logique de la Conférence Nationale Souveraine »; « Donner du temps au temps »; et « Se tourner vers le Bon Dieu ».

Dans cet article, nous allons reproduire mot pour mot ce que nous avions alors écrit sur l’exemple béninois. Nous disons « alors », c’est-à-dire en 1999, année de publication de l’ouvrage. Tenez!

On pourrait opposer l’exemple du Bénin à mes affirmations, que d’aucuns qualifieraient d’afro-pessimisme. Il est vrai que l’alternance qui a eu lieu dans ce pays a de quoi réjouir ceux qui préfèrent se satisfaire des apparences. Béchir Ben Yahmed fait remarquer que « pour la première fois en Afrique, au moins dans les temps modernes, le jeu démocratique aura été joué jusqu’au bout, sans tricherie » (Jeune Afrique, n°1838, 27 mars au 2 avril 1996). Mais il serait erroné de croire, comme il poursuit, que « Soglo, Kérékou, la classe politique et les électeurs béninois auront montré ensemble à toute l’Afrique une voie qui finira par être empruntée par tous » (Idem).

En effet, deux grandes leçons pourraient être tirées des présidentielles béninoises. La première, ce n’est pas l’alternance pacifique elle-même. Ce sont plutôt les raisons profondes qui l’ont permise. Et ici, on est loin d’une volonté africaine. Car, « au lendemain du second tour, le président Soglo a sérieusement envisagé de proclamer l’état d’urgence. Il voulait également faire annuler le scrutin en invoquant des fraudes massives et des troubles et reporter l’élection à une date ultérieure. Il n’y a renoncé que sur les conseils pressants de deux ambassadeurs occidentaux – ceux de l’Allemagne et des Etats Unis – à qui il avait fait part de ses intentions » (Idem). Imaginons un seul instant l’adversaire de Nicéphore Soglo, Mathieu Kérékou, dans la peau d’un fondamentaliste musulman. Quelle aurait été la réaction de ces deux ambassadeurs?

L’alternance pacifique au Bénin a été rendue possible parce que l’Occident l’avait voulu. Les deux ambassadeurs susmentionnés auraient-ils donné le feu vert aux ambitions démesurées de Soglo qu’aujourd’hui personne ne réfléchirait comme le fait Albert Bourgi: « Les observateurs qui n’en finissent pas d’enterrer la démocratie en Afrique, de ne voir dans les mutations politiques en cours sur le continent qu’un habit au mieux, mal taillé, au pire inadapté, seraient mieux avisés de méditer les multiples enseignements du scrutin béninois » (Idem).

Quelle est la valeur d’un système démocratique qui ne peut survivre qu’à une condition, celle que cite Georges Moose, le secrétaire d’Etat adjoint américain aux Affaires africaines: « Que les partenaires restent vigilants » (Idem)? En outre, la deuxième grande leçon de ce scrutin n’est-elle pas justement le refus par l’Afrique de cette « vigilance » occidentale? « Trop de diktats des institutions financières internationales, trop d’experts qui définissent dans le confort de leurs bureaux, à Washington ou à Paris, ce qui est bon pour les peuples africains » (Idem). N’est-ce pas cet état d’esprit que les Béninois – et donc les Africains – ont rejeté en sanctionnant le « démocrate » Soglo et en ramenant le plus démocratiquement au pouvoir le « dictateur » Kérékou baptisé familièrement Kérékéré le Caméléon?

La démocratie béninoise ainsi que toutes les autres démocraties mimétiques méritent un bel enterrement. La seule démocratie viable en Afrique, c’est celle que les Africains sauront concevoir, mettre en marche et faire fonctionner durablement en se passant de la « vigilance » occidentale.

Voilà ce que nous avions alors écrit sur le modèle de démocratie que serait le Bénin. Aujourd’hui, cette autre démocratie de façade vient de jeter le masque. Arrivé au pouvoir début avril 2016, le président Patrice Talon eut la même obsession que ses pairs africains, douze mois après son investiture: modifier la constitution. Il faut cependant reconnaître que contrairement à ses pairs, ce n’était pas dans un élan égoïste puisqu’il voulait instaurer un mandat présidentiel unique de six ans, lui-même ayant annoncé pendant la campagne électorale qu’il resterait au pouvoir pendant une seule législature. Son pouvoir n’étant pas encore bien assis, le parlement lui administra une gifle magistrale en refusant d’examiner son projet de révision constitutionnelle. L’illusion de vitrine de démocratie en Afrique se confirmait davantage.

Trois ans après, alors que le clientélisme politique, favorisé par une constitution mal ficelée comme ailleurs en Afrique, avait fini par bien asseoir son pouvoir, Patrice Talon revenait à la charge avec une autre reforme. L’intention était bonne et louable. Mais en était-il de même de la méthode? La réforme de la loi électorale, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, visait à réduire le nombre des partis politiques (plus ou moins 200), un passage obligé pour presque tous les Etats africains. Suivant la nouvelle charte des partis politiques et à partir des législatives d’avril 2019, ne pouvaient solliciter le suffrage des électeurs que les partis ayant déposé à la Commission Electorale Autonome (CENA) le quitus fiscal et le certificat de conformité. Le premier document est délivré par le fisc et le second par le ministère de l’Intérieur. L’échéance électorale arrivée, la CENA invalida tous les partis politiques à l’exception de Bloc républicain et l’Union progressiste, deux partis issus de la mouvance présidentielle.

Au sein même de la CENA, des voix se sont élevées, déclarant que les dossiers de ces deux partis présentaient également quelques irrégularités; ce qui n’a pas empêché leur validation. Par ailleurs, la temporalité de nouvelles règles pose un problème. Le Bénin est un Etat membre de la CEDEAO. Or, le protocole de cette sous-région sur la démocratie et la bonne gouvernance « interdit toute modification des règles électorales à six mois des élections, sans un consensus des parties prenantes ». Autre impératif suspect, le court délai d’à peine 5 jours accordé au dépôt des candidatures, à partir du 20 février dernier. La crise politique était désormais en l’air. Plusieurs missions d’information se sont rendues au Bénin: CEDEAO, UA, ONU et OIF. Résultat du « poto-poto » incarné par Patrice Talon avant et après l’élection: tension politique, appel au boycott, vague d’arrestations arbitraires, processus électoral jugé conforme aux lois du pays mais avec le faible taux de participation de 22,99%, mise en garde des deux anciens présidents, résidence de l’ancien président Thomas Boni Yayi encerclée par la police, stations d’essence, commerces et banques proches du pouvoir incendiés, etc. etc. Pour la première fois depuis 30 années de multipartisme, l’opposition était piégée pour ne pas participer aux élections; ce qui ne la dédouane pas de ses propres turpitudes.

On est où là? Force est de reconnaître qu’on est bien en pleine République très très démocratique du Gondwana, la sœur jumelle de la République démocratique du Congo où une alliance peut se nouer non pas avant ou après la proclamation des résultats définitifs des élections mais peu avant la proclamation provisoire et cela sans que ne soient connus, par le peuple dit souverain, ni les termes de l’accord ni le programme sur lequel les alliés se seront convenus pour gouverner le pays ensemble. Une première dans l’histoire mondiale de l’organisation des élections à l’échelle d’une nation.

Quelle leçon tirer du spectacle désolant qu’offrent les démocraties de façade africaines? Quel que soit le niveau de son éducation et de son instruction ou quel que soit le nom du Dieu qu’il vénère, « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser: il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites » (dixit Montesquieu). Ceci est vrai partout où il y a de l’homme. Dans un Etat moderne, les limites ou contre-pouvoirs sont fixées dans la Constitution. Mais ce n’est pas parce qu’elles existent dans celle-ci qu’un Etat est démocratique. Un Etat est démocratique quand ces limites sont fonctionnelles. Le problème de toute République très très démocratique du Gondwana est qu’elles ne sont pas opérationnelles. Pourquoi? La réponse est simple. La même Constitution qui fixe les limites au pouvoir du détenteur de l’imperium accorde à ce dernier un pouvoir de patronage si énorme dans les rouages de l’Etat qu’il ouvre grandement la porte au clientélisme politique. Ce phénomène place automatiquement le magistrat suprême au-dessus des lois, paralysant ainsi les limites à son pouvoir. Désormais, le bon fonctionnement des institutions dépend de son bon vouloir. C’est cela la mauvaise disposition des choses. Faut-il souligner que la solution réside dans un combat acharné contre le clientélisme politique dans la Constitution même?

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Happy
Happy
0 %
Sad
Sad
0 %
Excited
Excited
0 %
Sleepy
Sleepy
0 %
Angry
Angry
0 %
Surprise
Surprise
0 %