La prestation controversée de serment des juges nommés récemment à la Cour constitutionnelle en RDC: nullité absolue ou relative?

Richard Tony Ipala Ndue Nka

Le 21 octobre, le chef de l’Etat F.A. Tshisekedi Tshilombo a reçu le serment de trois juges récemment nommés à la Cour constitutionnelle en vertu de l’article 10 de la loi organique no 13-026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.

Cette cérémonie, bien que solennelle, est boycottée par les représentants des deux chambres parlementaires ainsi par le Premier ministre, et elle est vécue comme un véritable bras de fer qui oppose le Président de la République auxdits représentants faisant parties de la majorité parlementaire.

Les griefs y reprochés sont contenus dans une lettre du 20 courant adressée en réponse à celle de directeur du cabinet du chef de l’Etat les invitant officiellement à cette cérémonie de prestation de serment. Ils estiment, en effet, nulles et de nul effet les nominations intervenues puisqu’en violation flagrante des articles 5, 6 et 8 de ladite loi de 2013 susmentionnée.

Développant ces griefs à charge, ils soutiennent que la Cour, de par la loi, est renouvelée par le tiers tous les trois ans lors des deux premiers renouvellements pour autant que le remplacement se fasse à l’expiration du terme légal ou avant terme pour des raisons de décès ou de démission.

Or il appert que la nomination faite pour les deux juges mutés à la Cour de cassation, et un autre sorti par démission l’a été, non seulement, en violation de loi, mais aussi, du tirage au sort du membre sortant par groupe pour les membres initialement nommés.

Aussi, poursuivent-ils, ne peut être reçu ledit serment, les conditions de forme n’étant pas réunies. En dépit de cette contestation tant sur la forme que sur le fond, la presse unanime rapporte que ledit serment a été reçu au Palais du Peuple par le Président de la République en présence des forces vives et des missions diplomatiques en poste en RDC, le Président de la République en ayant donné acte.

La cérémonie est vécue, selon la presse étrangère belge, comme un coup de force et un traumatisme pour la majorité parlementaire qui, du reste, se pose des questions sur son avenir et sur la marge de manœuvre dont peut se prévaloir le Front Commun pour le Congo « FCC » ( Voy, Lalibre.be du 22 octobre 2020 ).

I. Considération juridique

Le serment est défini , en droit, comme une affirmation solennelle pouvant être soit orale soit écrite. Il est la promesse faite de se comporter d’une certaine manière. Concernant les magistrats de leur état, c’est l’expression consacrée de l’engagement pris pour remplir fidèlement leurs charges. (G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, Paris, 2000, p. 805).

Citant Banide Wafole, le professeur E. J. Luzolo Bambi Lessa le confirme. Il y enseigne que, du point de vue de son importance sociale, le serment met en évidence un aspect significatif de la carrière de ceux qui, par leur connaissance du droit, sont au service des autres, à savoir que la profession de magistrat est soumise, dans son essence, à une morale de l’honneur (E. J. Luzolo Bambi Lessa, Traité de droit judiciaire, PUC, Kinshasa, 2018, no 621, p. 401). La jurisprudence de la Cour suprême de justice est édifiante quant à ce lorsqu’elle a décidé qu’ à défaut d’accomplir cette formalité en vertu du statut des magistrats, les actes judiciaires, pré-juridictionnels et juridictionnels accomplis par eux sont nuls et de nul effet ( C. S. J, RP 041cr , 26 mars 1999, Bull, 2003, p. 465).

Cependant, il échet de noter que le vice de procédure y reproché résultant, en droit, de l’absence évidente des représentants des deux chambres parlementaires est plutôt constitutif de nullité relative du fait que la présence requise de ces représentants des chambres parlementaires n’est pas une formalité substantielle « essentielle » à peine de nullité. Il s’agit des formalités protocolaires sans une incidence préjudiciable sur l’affirmation des juges attestant la véracité de leurs déclarations d’exercer fidèlement leurs fonctions.

Pareille nullité relative est, d’ailleurs, compatible avec l’article 28 du Code de procédure civile disposant qu’aucune irrégularité d’exploit ou d’acte de procédure n’entraine leur nullité que si elle nuit aux intérêts de la partie adverse. C’est le fondement de notre procédure en vertu du principe « pas de nullité sans grief » (P. Piron et J. Devos , Codes et lois du Congo belge, t. II, Bruxelles, 1960, p. 27).

Le droit romain n’a jamais comporté une théorie très précise des nullités, et cette lacune se fait sentir jusqu’à date dans nos législations issues du système romano-germanique. En effet, le droit romain primitif, formaliste, ne connaissait qu’une catégorie d’actes nuls, la nullité de droit encourue pour défaut de l’un des rites du contrat. Mais les rites étant accomplis , il ne pouvait être question de revenir sur les effets produits (A. Weill et F. Terré, Droit civil, les obligations, 4ième édition , Dalloz, Paris, 1986, no 289, p. 300).

II CONCLUSION

Comme le souligne, avec pertinence, la doctrine contemporaine: le droit congolais présente une particularité qui mérite d’être mise en relief. Sous d’autres cieux, le parlement n’intervient pas dans le processus d’installation des membres de la Cour constitutionnelle. La prestation est suffisante. Si d’un côté, cette originalité congolaise vise à agir fondamentalement sur la conscience professionnelle des membres de la cour, il n’est pas impossible, d’un autre côté, qu’elle conduise à un glissement. Lorsqu’une prise de fonction des membres d’une haute juridiction telle que la Cour constitutionnelle, les institutions politiques doivent jouer, certes, un rôle important au-delà de la prestation de serment, il peut surgir, comme en l’espèce, une entorse à l’indépendance du pouvoir judiciaire (E. J. Luzolo Bambi Lessa, op. ci, no 598, p. 386).

Richard Tony Ipala Ndue Nka
Directeur juridique honoraire à la Gécamines- Bruxelles
Membre du Comité scientifique de la Revue de Droit AFRICAIN à Bruxelles
Conseiller honoraire à la Cour d’Appel de Matadi et Consultant juridique.

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