La question à laquelle l’Afrique doit impérativement répondre

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Du 26 mars au 4 avril 2019, j’ai participé au programme régional de formation sur le renforcement de la prévention des conflits et le rétablissement de la paix en Afrique. Cette formation est organisée annuellement à Addis-Abeba par l’Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR) basé à Genève. Elle est financée par les ministères des Affaires étrangères de la Norvège et de la Suède; ce qui donne déjà une indication de la capacité de l’Afrique à se prendre en charge.

Pour sa dix-neuvième édition, UNITAR avait sélectionné trente-cinq participants, originaires de vingt-quatre pays africains, sur cent cinquante candidats hautement recommandés par leurs institutions respectives. Celles-ci comprenaient les bureaux des chefs d’État, les ministères des Affaires étrangères ou de l’Intérieur, les organes nationaux chargés de la résolution des conflits et/ou de la gouvernance, les ambassades, les organisations sous-régionales, l’Union Africaine et les Missions politiques ou de maintien de la paix des Nations Unies. Il convient de souligner que dix-neuf des trente-cinq participants (54,2%) étaient des femmes. Grand Corps Malade, le Congo-Kinshasa n’avait aucun représentant. Car, bien qu’ayant toujours l’unique nationalité congolaise, ma candidature avait été recommandée par mon organisation.

La formation, qui s’était principalement déroulée au centre de conférence de l’Hôtel Magnolia où nous étions descendus, fut animée par une délégation de trois membres du personnel de l’Unité du programme paix et prévention des conflits d’UNITAR. Outre les présentations d’une d’entre elles, car elles étaient toutes femmes, UNITAR avait fait appel à six personnes ressources. Il s’agissait de M. Hizkias Assefa, professeur de pratique de la médiation et de la réconciliation internationales à la Eastern Mennonite University aux Etats-Unis, coordonnateur des ressources africaines pour la consolidation de la paix et la réconciliation à Nairobi au Kenya et ancien de la School for Conflict Analysis and Resolution (S-CAR), un département de George Mason University près de Washington; Mme Hanna Serwaa Tetteh, Représentante spéciale du Secrétaire général au Bureau des Nations Unies auprès de l’Union africaine (UNOAU); M. Chris Moore de CDR Associates, organisation américaine spécialisée dans la prise de décision dans un esprit de collaboration ou de consensus; M. Parfait Onanga-Anyanga, Envoyé spécial des Nations Unies pour la Corne de l’Afrique et ancien Représentant spécial du Secrétaire général à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République Centrafricaine (MINUSCA); M. Admore Kambudzi, Directeur adjoint du Département Paix et Sécurité de la Commission de l’Union Africaine; et FemWise-Africa, le réseau des femmes africaines dans la prévention des conflits et la médiation. UNITAR avait également mêlé l’utile à l’agréable en organisant des visites guidées de lieux choisis d’Addis-Abeba (Nouvelle fleur, en langue Amharique) dont la plus ancienne cathédrale orthodoxe du continent, où reposent en paix l’Empereur Haile Sélassié et son épouse, et le siège de l’Union Africaine, construit par la Chine.

La formation était principalement caractérisée par de nombreux exercices et simulations sur les processus de négociation et de médiation, chaque fois enrichis par des séances de débriefing. A cet égard, il convient de souligner l’expérience des deux experts qui ont conduit nos travaux, à savoir MM. Hizkias Assefa et Chris Moore. Le premier était quasiment de toutes les grandes médiations réussies en Afrique. Il fut par exemple membre de de l’équipe de médiation conduite par l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Koffi Annan, qui a réglé la crise post-électorale au Kenya en 2008. Quant à l’organisation du Dr Chris Moore, CDR Associates, elle aide divers groupes nationaux et internationaux à atteindre de meilleurs résultats dans des scénarios souvent très conflictuels et cela depuis près de quarante ans.

Après avoir dressé le constat selon lequel la plupart de conflits meurtriers au monde ont pour théâtre l’Afrique, le professeur Hizkias Assefa nous avait laissés rentrer chacun d’où il était venu avec cette question: pourquoi? L’intervention du Dr Admore Kambudzi, qui avait eu lieu au siège de l’Union Africaine, devait se focaliser sur le mandat et les initiatives clés du Département Paix et Sécurité de la Commission de l’Union Africaine. Cependant, dans une approche réaliste, il avait choisi de se concentrer sur les défis auxquels cet important organe régional reste confronté, rendant difficile la résolution des conflits et le rétablissement de la paix au sein ou entre ses Etats membres. Répondant en écho au professeur Assefa, l’Adjoint Paix et Sécurité de l’Union Africaine avait noté à son tour la récurrence et le nombre excessif de conflits meurtriers en Afrique. Il avait également fait observer qu’en termes de processus de démocratisation ou de systèmes démocratiques mis en place, l’Afrique copiait beaucoup du monde extérieur alors que ce comportement ne contribuait pas à améliorer sa gouvernance. Lui aussi nous avait laissés rentrer chacun d’où il était venu avec la même question: pourquoi?

Voilà donc un contient qui souffre. Terriblement. Mais jamais, depuis les indépendances, il n’y a eu la moindre réflexion au niveau national, sous-régional ou régional sur le « pourquoi » de cette immense et permanente souffrance. Prenons le cas du Géant aux Pieds d’Argile qu’est le Congo-Kinshasa. Depuis son indépendance, notre Etat souffre de manière récurrente des crises de légitimité. Dans son cynisme, le despote Joseph Kabila avait promis la tenue de meilleures élections jamais organisées. Pourtant, au lendemain du 30 décembre 2018, l’humanité entière assista aux pires élections dans une grossièreté totale. Pour la première fois au monde, une coalition politique se forma non pas avant ou bien après l’élection présidentielle, mais peu avant la proclamation des résultats. Quant aux législatives, les résultats furent connus avant même la fin du dépouillement dans les bureaux de vote. En flagrante violation de la loi électorale, les résultats des élections ne seront jamais publiés par bureau de vote. Et que dire de l’achat des consciences quasi-ouvert lors des élections à suffrage indirect des sénateurs et gouverneurs des provinces!

Le Congo-Kinshasa a aujourd’hui un pouvoir issu d’une bouillabaisse aussi grotesque. Mais tout se passe comme si de rien n’était. Comme si nous n’avions pas de question à nous poser déjà à ce niveau qui fait la différence entre une dictature et une démocratie. Car, contrairement à la dictature, régime politique dans lequel le souverain tire son pouvoir et sa légitimité de lui-même, dans une démocratie, c’est le peuple qui décide et c’est lui qui est la source du pouvoir politique et de sa légitimité. Faut-il souligner que cela est loin d’être le cas en République Démocratique du Congo? Qu’on pense ici à la déclaration choc de Jean-Pierre Bemba à l’issue du deuxième tour des élections présidentielles dites « Louis Michel » de 2006: « J’ai accepté l’inacceptable ». Qu’on se souvienne d’Etienne Tshisekedi se déclarant président élu de la présidentielle de 2011 et lançant le message suivant à la police, à l’armée et au peuple: « Quant aux fauteurs à nos troubles, à commencer par Mr. Kabila, je vous demande à vous tous de rechercher ce monsieur partout où il est dans le territoire national et de me l’amener ici vivant. Celui qui me ramènera Kabila ici ligoté aura une récompense très importante ». Qu’on revive la campagne désespérée de Martin Fayulu, au lendemain de la présidentielle de 2018, pour une vérité des urnes plus évidente que lors des élections précédentes.

Même si les résultats proclamés des élections reflétaient la vérité des urnes, une deuxième anomalie est observée dans l’exercice même du pouvoir quant à la différence entre une dictature et une démocratie. Alors que dans une dictature le pouvoir du souverain n’a pas de limite, la séparation effective des pouvoirs est la condition d’un gouvernement libre ou démocratique suivant l’observation de Montesquieu selon laquelle « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser: il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites ». Mais au Congo-Kinshasa depuis 2006, on a beau avoir une assemblée nationale, un sénat, une justice dite indépendante sur papier, cour constitutionnelle et des médias jouissant d’une assez grande liberté, il n’y a aucun contre-pouvoir réel face au pouvoir du détenteur de l’imperium, l’objet politique non identifié venu d’ailleurs et appelé Joseph Kabila.

Désabusé face à ce qui précède, notre pauvre peuple semble avoir remplacé aujourd’hui la constitution du pays par une sorte de prière qui aura fatalement le même résultat que les prières de toutes les églises congolaises réunies: « Félix, kobosana te. Papa alobaki, le peuple d’abord ». Amnésique, comme le sont tous les peuples au monde voire davantage puisque son abatardissement sous les longues années Mobutu a été exacerbé tout au long de la non moins longue dictature de Joseph Kabila, notre peuple reste en fait orphelin depuis sa naissance. Orphelin, car n’ayant aucune élite politique ou intellectuelle pour guider ses pas vers la terre promise: l’Etat de droit. Nous l’avons déjà écrit et nous l’écrirons encore et toujours. Les Congolais, comme du reste les autres peuples d’Afrique, souffrent avant tout de la démission de leurs élites devant les tares pourtant évidentes du modèle politique importé de l’Occident. Tant qu’on ne s’en rendra pas compte, toute lutte pour la dignité de l’homme africain sera vouée à l’échec.

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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