La saga Glencore/Gertler/GCM/Yuma: un épisode de la « grande prédation »

Sous les apparences de la défense des intérêts nationaux par le gouvernement congolais contre les multinationales, un nouveau code minier a été promulgué et la Gécamines tente de dissoudre son partenariat avec Glencore. Le but avoué serait de récupérer les droits miniers du partenariat qui représentent un pourcentage considérable du potentiel de production mondiale de cobalt. Presque simultanément, l’homme d’affaires israélien Dan Gertler tente de faire geler les actifs de Glencore en RDC suite à la décision de cette société de suspendre les opérations financières avec lui en exécution des sanctions des Etats-Unis à son encontre. En réalité, ces décisions unilatérales semblent être le plus récent épisode du processus de mainmise, par quelques individus – sous la houlette de Gertler – sur la majeure partie des ressources du sous-sol de l’ex-Zaïre.

Correspondance particulière.

Après s’être enrichi considérablement par des opérations plus ou moins opaques, au détriment de la MIBA (Minière de Bakwanga) et de la GCM, l’actuel véritable patron des ressources du pays a donné – il y a une dizaine d’années – une nouvelle dimension à sa stratégie de contrôle du potentiel minier du pays en devenant partenaire de Glencore en RDC. Cette « association » lui a permis de jouer dans la cour des grands, d’acquérir un semblant de respectabilité. Et partant, de se débarrasser de la seule personne qui lui résistait dans le pays: Georges Arthur Forrest.

Coucher avec un géant ne donne pas la maîtrise du couple et le risque d’être étouffé n’est pas négligeable. Les décisions prises par Glencore pour s’affranchir de son petit mais encombrant allié, après les sanctions américaines ont été perçues par ce dernier non seulement comme un comme de la trahison mais aussi un très mauvais signal pour les autres sociétés minières.

Il fallait donc réaffirmer sa maîtrise du secteur et pourquoi ne pas en même temps donner une nouvelle dimension à la prédation? Profitant du boom des minerais et des superprofits des opérateurs miniers qui en résultent, « Dan » a estimé que le moment semblait propice pour une vaste opération d’extorsion menée contre tous les opérateurs miniers. La « re-visitation » de contrats, faisant partie des pratiques au Congo, pourquoi ne pas lancer une « re-visitation » à grande échelle et mettre sous pression toutes les entreprises minières et par la même occasion montrer qui est le patron des mines en RDC?

AD NAUSEUM

Albert Yuma Mulimbi

Pour donner un semblant de légalité à l’opération d’extorsion généralisée, dans un premier temps, le nouveau code minier, dont l’approbation par le parlement avait été mis en veilleuse a fait l’objet d’un « vote express ». Pour donner une justification « pour l’intérêt de la nation », les aspects de nature « léonine » des conventions minières ont été étalés et répétés ad nauseum par Albert Yuma Mulimbi, président du patronat congolais (FEC) qui semble ainsi donner l’appui des entreprises privées du pays. Président du conseil d’administration de la Gécamines, Yuma est en réalité le patron de cette entreprise d’Etat, et… un obligé de Gertler. Pour la petite histoire, le PCA de la Gecamines est, par ailleurs, grand prédateur de la principale industrie textile du pays et de nombreux biens immobiliers. Par enchantement mais avec peu de crédibilité, il s’est métamorphosé en champion des défenseurs du bien public.

Dans un deuxième temps, pour compléter la vaste opération d’extorsion, la loi sur la sous-traitance sera renforcée et permettra de participer de manière directe ou indirecte aux juteux contrats concernés. Pour tenter d’intimider KCC/Glencore, une action est intentée en vue de récupérer les droits miniers. La justice congolaise est instrumentalisée dans un débat comptable douteux. L’objectif est de donner une façade juridique à cette démarche.

Il est difficile, à ce stade, de savoir si le véritable but est de montrer que l’homme d’affaires israélien n’est pas seulement le patron des mines mais aussi celui de la justice et que dans le domaine minier, il est et reste incontournable, tant pour Glencore que pour les autres opérateurs. La tentative de gel des actifs de cette dernière société ferait partie de ces manœuvres destinées à la mettre sous pression pour les contraindre à « mieux partager ». Sans omettre de rappeler les engagements pris envers « Dan ».
Une autre hypothèse serait la stratégie extrême: (a) amener les tribunaux congolais à dissoudre le partenariat entre Glencore et la Gécamines (Kamoto Copper Company) et remettre cette dernière dans ses droits miniers; (b) obtenir le gel des actifs de Glencore et (c) à l’instar de l’affaire First Quantum, confisquer ces biens pour les céder à Gertler ou à ses proches.

« UN HOMME REDOUTABLE »

Cette hypothèse entraînerait probablement une flambée des prix des minerais profitable pour tous les protagonistes mais elle comporte cependant des risques. En attaquant la décision de Glencore de suspendre ses opérations avec lui, le milliardaire israélien a mis l’huile sur le feu des sanctions US qui le frappent. Ensuite, les décisions de la justice seront contestées et portées devant les instances internationales. Se croyant tout puissant, en RDC comme en Israël, DG a peut être mal évalué les rapports de force.

Ivan Glasenberg – Ceo Glencore

Outre la réaction certaine de Glencore devant les instances internationales, d’autres réactions sont probables. Ivan Glasenberg, CEO et principal actionnaire de Glencore (15 à 20% du capital) est un homme redoutable. Outre les nationalités suisse, sud-africaine et australienne publiquement affichées, il possède très probablement, en toute discrétion, la nationalité israélienne et bénéficie en Israël des puissants réseaux tissés par Marc Rich et notamment des liens étroits avec le Mossad. Le groupe de Rich aurait facilité des activités du Mossad à l’époque de l’apartheid lorsque Glasenberg était le responsable du groupe en Afrique de Sud.

L’extension des activités du groupe dans plus de cent pays et les relations étroites avec Vladimir Poutine et plusieurs autres chefs d’Etat ont probablement renforcé les réseaux de Glasenberg particulièrement dans les milieux de la droite israélienne et ceux des USA.

Dan Gertler, quant à lui, a facilité quelques opérations entre la RDC et des groupes israéliens actifs dans la sécurité, le domaine militaire et le lobbying mais manifestement ne fait pas le poids en Israël et ailleurs en comparaison avec Glasenberg.

A noter également qu’on assiste à un conflit entre ego de deux hommes.

D’une part le jeune et brutal homme d’affaires a fait rapidement fortune en spoliant les ressources d’un Etat africain dont la population est considérée comme une des plus pauvres du monde. Cette ascension a été rendue possible grâce à la connivence du chef de ce même Etat dont il a facilité l’enrichissement et le pouvoir autocratique responsable de la catastrophe humanitaire que connait le pays. Parvenu, devenu rapidement milliardaire, il se croit invincible et est pressé d’agrandir sa fortune, d’autant plus que les nuages s’amoncellent sur son avenir dans ce pays.

QUI GAGNE? QUI PERD?

D’autre part, le patricien discret ayant participé pendant plus de trente ans au développement d’un empire diversifié dont il est l’actuel patron et principal actionnaire. Il est moins influencé par les cours de bourse que par des stratégies à long terme.

Quels sont les effets de cette empoignade? Autrement dit: qui gagne qui perd? Comme d’habitude, tous les prédateurs gagnent et le peuple congolais perd. Pour Glencore, si effectivement – mais brièvement – il y a eu inquiétude au sujet de sa valeur boursière, cette même inquiétude semble avoir accéléré la croissance des cours des minerais ainsi que les profits de cette société. Dans le chiffre d’affaires global de cette dernière qui est estimé à 200 milliards USD, la RDC ne pèse guère à court terme. Sur le plan stratégique cependant l’enjeu est de taille.

Dan Gertler

Dan Gertler

Pour le moment les participations de Gertler gagnent aussi, mais il faudra qu’il fasse preuve d’imagination et de finesse (qui ne sont pas ses principales qualités) pour échapper aux contraintes des sanctions. A court terme, sa stratégie d’extorsion à grande échelle portera des fruits car tous les opérateurs souhaitent protéger leur position, mais elle n’assurera pas sa position à plus long terme car l’étau des sanctions pourra se serrer d’avantage avec l’aide de ses adversaires.

Il est cependant plus probable que le conflit avec Glencore ne durera pas pour des raisons développées ci-dessus. Bien que ne jouant pas dans la même cour, les héritiers de Marc Rich et « Dan » sont de la même graine. Ils sont sans scrupules et finiront par s’entendre. Pour Yuma, le bilan est plus mitigé. A court terme il participera à l’opération d’extorsion au nom de la Gécamines et arrondira sa fortune déjà conséquente. Par contre, au sein du secteur privé et en tant que patron des patrons, il n’a plus aucune crédibilité. Alors que par le passé il était capable de s’opposer à des ministres prédateurs comme Muzito, cette fois, il a rejoint leur clan. Pour le pays, l’environnement pour les investissements est encore dégradé et il sera difficile d’attirer des investisseurs autres que les prédateurs. Pour la population l’espoir est encore plus réduit.

QUELQUES LECONS DE CETTE SAGA

La mainmise sur les ressources du Congo-Kinshasa ne produisant qu’une valeur insignifiante pour le pays et sa population, on assiste ici à la plus grande opération de prédation sans précédent.

Si l’exploitation des richesses du pays par le pouvoir colonial et notamment par l’Union Minière s’accompagnait encore d’investissements pour les infrastructures, l’éducation et la santé et se limitait aux grands responsables de la colonie, la prédation actuelle n’est accompagnée que de délinquance financière dans tous les domaines, de répression politique, d’insécurité, d’assassinats et de viols. Prédation et crimes sont commis par les « grands » en « cols blanc » comme Yuma, Gertler et les détenteurs de parcelles d’autorité. Mais aussi prédation violente par des hommes en armes dont un grand nombre en uniformes, imitant les « grands » et le plus souvent à leur service.

En réalité, les horreurs commises dans le pays n’accompagnent pas seulement la prédation, elles en sont aussi les conséquences. Aussi, les prédateurs ne sont pas seulement responsables de crimes économiques mais de crimes contre l’humanité. Les « grands en col blanc » devront un jour répondre de leurs crimes. Ce sera leur Nuremberg. Si Gertler pourra se réfugier dans son pays et ne laissera en RDC que les quelques investissements de pacotille de sa fondation, il en ira autrement des Yuma, des [Martin] Kabwelulu, des [Adolphe] Muzito et autres responsables, complices de crimes. Sans omettre Augustin Matata Ponyo.

 

Jean-Marie Lelo Diakese

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