Le Président de la République parle au peuple

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Le 3 décembre 2019 me trouve dans une bourgade d’un Etat en déliquescence et désespérément en quête de stabilisation. Après la journée de travail, je regagne ma résidence située dans un camp retranché. Comme d’habitude, je zappe sur Canal+ en attendant le JT de TV5Monde Afrique à partir de 21h30 avant d’aller au lit. Soudain, une bande-annonce sur la RTNC attire mon attention: « Flash… Le chef de l’Etat Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo va s’adresser ce soir à la nation congolaise sur les antennes de la RTNC ». Je jette un coup d’œil à ma montre. Il est 21h18. Je me rappelle une vieille leçon apprise au cycle d’orientation au collège (jésuite) Saint Kizito à la mission catholique Djuma dans le Kwilu au début des années 70. Le soir désigne la fin du jour ou les moments qui précèdent et qui suivent le coucher du soleil. Ce sont les dernières heures du jour et les premières de la nuit. A 21h18, c’est la nuit; ce qui porte à croire que la bande-annonce défile depuis au moins l’après-midi. Cela me fait penser aux grandes communications fétichistes qu’affectionnent les chefs d’Etat africains. On n’annonce jamais l’heure précise de l’intervention directe du chef d’Etat à la télévision nationale. On entretient le suspense pendant le jour pour enfin s’adresser à la nation en pleine nuit, moments où les sorciers sont censés être en action. Ainsi, réformateur auto-proclamé, le président Tshisekedi inscrit ses communications dans la droite ligne de celles de ses prédécesseurs.

Après le JT de TV5Monde Afrique, je constate que la bande-annonce ci-dessus défile toujours sur la RTNC. Je décide d’aller me coucher. Mais, curieux de suivre le Président de la République en direct, je prends la précaution d’envoyer un texto à un compatriote couche-tard pour qu’il me réveille le moment venu. Il me répond: « Ce qu’il va dire ne changera rien ». J’insiste. Il s’incline face à ma requête. Mieux, il me réveille effectivement à 23h18. Grande est aussitôt ma surprise en lisant le sujet de la communication du Président de la République à la nation entière, tel qu’annoncé par la RTNC: « Message du chef de l’Etat à l’occasion de la Journée Internationale des personnes vivant avec handicap ».

Au moment où le Président de la République choisit de s’adresser à la nation entière à ce sujet, celle-ci est secouée par trois grandes préoccupations politiques: l’immobilisme ambiant qui contraste avec ses discours réformateurs, les incertitudes ou la guerre froide au sein de la coalition CACH-FCC et les tueries qui se poursuivent à Beni, entraînant un désamour violent des Congolais envers la MONUSCO. Dans tout Etat normal, c’est sur ces terrains-là que devrait se focaliser toute allocution du chef de l’Etat à la nation. Quand on choisit délibérément d’éviter pareils points chauds, pour des raisons faciles à deviner, il vaut mieux se taire que de communiquer sur un point aussi éloigné de ces préoccupations.

Au sujet de ce point en déphasage total avec la triste réalité politique de l’heure, il convient de souligner qu’une journée internationale ou mondiale est un jour de l’année dédié à un thème particulier à un niveau international ou mondial. Des journées internationales ou mondiales, le calendrier de l’Organisation des Nations Unies en compte 140. Qu’est-ce qu’on attend des Etats membres ou des détenteurs de l’imperium de ces Etats à l’occasion de chaque commémoration? Ceux-ci doivent définir des stratégies permettant de promouvoir le thème de l’année. Depuis 1992, par exemple, le monde célèbre la Journée internationale des personnes handicapées le 3 décembre. Les commémorations de l’an 2019 mettent l’accent sur « le rôle et la participation des personnes handicapées dans le développement inclusif, équitable et durable, comme prévu par le Programme de développement durable à l’horizon 2030 ». Quelle est la stratégie du régime Tshisekedi pour l’inclusion du handicap dans la société congolaise, sachant qu’il s’agit-là d’une question intersectorielle qu’on peut retrouver, par exemple, dans les secteurs de l’éducation et de l’emploi? Silence! Le Chef de l’Etat s’est borné à répéter le thème choisi par les Nations Unies, tout en indiquant que le parlement allait légiférer là-dessus.

Le Président Tshisekedi est sans doute l’unique chef d’Etat au monde à avoir cru nécessaire de s’adresser à son peule juste pour commenter le thème choisi par les Nations Unies pour célébrer une journée internationale. Son allocution, qui a duré 5 minutes, de 23h18 à 23h23, fut non seulement surréaliste, puisqu’éloignée des préoccupations politiques majeures du moment, mais aussi pathétique car ne contenant aucune substance digne d’intérêt pour tout un peuple, victime de l’incurie de ses dirigeants depuis de trop longues décennies, et en ce moment précis.

Le Congo-Kinshasa n’a assurément aucune chance. Après Joseph Kabila, le spécialiste des silences assourdissants lors des moments graves nécessitant l’exercice du ministère de la parole de sa part, le pays est tombé entre les mains d’un amoureux de la parole mais qui ne sait pas s’en servir à bon escient. Ainsi, le pays est passé d’un excès à l’autre. Désormais, le premier des Congolais parle pour parler. Peut-être même pour parader. Et ce faisant, il croit régler les problèmes alors que ceux-ci restent entiers et laissent augurer une fois de plus des lendemains qui déchantent.

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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