Le Rwanda de Paul Kagame et nous

Le secrétaire d’Etat rwandais Olivier Nduhungirehe fait preuve d’un excès de zèle teinté d’arrogance qui n’est pas sans rappeler l’attitude qui caractérisait jadis le « président » rwandais Pasteur Bizimungu (1994-2000).

Surnommé, plus à raison qu’à tort, « Hutu de service », le prédécesseur de Paul Kagame croyait gagner la confiance de celui-ci et du Front patriotique rwandais (FPR) en exigeant, au cours d’un meeting théâtral, la tenue d’une « deuxième Conférence de Berlin » dit « Berlin II ». Afin, disait-il, de procéder à un nouveau tracé des frontières entre le Congo-Zaïre et le Rwanda. C’était en novembre 1996.

A en croire Bizimungu, le territoire du « Grand Rwanda » précolonial englobait une bonne partie des provinces congolaises du Kivu. Autrement dit, avant la colonisation du Rwanda par l’Allemagne, de 1888 à 1916, cet espace territorial avait déjà des frontières internationalement reconnues. Dieu seul sait ce qu’il en est advenu de ce Hutu qui avait rejoint le FPR tout au début de la lutte armée.

Ancien ambassadeur du Rwanda en Belgique, le Hutu Olivier Nduhungirehe qui a été promu secrétaire d’Etat – après la nomination de Louise Mushikiwabo à l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie) -, croit, lui aussi, gagner la confiance du satrape Paul Kagame en multipliant des déclarations abruptes à l’endroit de certains membres de l’opposition congolaise et des activistes de la société civile.

Contrairement au Rwanda de Paul Kagame où règne « l’unanimisme d’Etat », au Congo-Kinshasa, l’accession de Felix Tshisekedi à la tête du pays a contribué au renforcement de la liberté d’expression. En dépit du débat politique qui vole bas, le pays vit dans une relative ambiance libérale.

L’émotion suscitée au Congo-Zaïre par le « suicide » du chanteur gospel rwandais Kizito Mihigo, a irrité l’ex-diplomate Nduhungirehe. Celui-ci n’a pas hésité à « envoyer se faire foutre » les citoyens congolais qui avaient « osé » dénoncer ce qui ressemble bien à un « suicide assisté ». Bref, un crime d’Etat.

Sur son compte Twitter, Nduhungirehe a écrit, dès le 18 février, ces mots: « Après la soi-disant ‘balkanisation’, une autre théorie du complot ‘made in DRC’? Sincèrement que ces politiciens marginaux aient la décence de ce taire et de s’occuper de leur pays. Le suicide malheureux d’un jeune rwandais au Rwanda ne les concerne pas ».

Il y a quelques semaines, la télévision d’Etat rwandais a diffusé un débat intitulé: « Balkanisation du Congo: mythe ou réalité? ». Olivier Nduhungirehe qui y participait a pris la défense des émigrés banyarwanda dits « Tutsis congolais » ou « Banyamulenge » qui se disputent la localité de Minembwe avec des populations autochtones bafuliro, bembe et vira. D’après lui, les « Banyamulenge » vivraient au Congo-Kinshasa « depuis des siècles ». Soit!

Questions: sieur Nduhungirehe – qui semble avoir pour principe « fais ce que j’ai dit, pas ce que je fais » -, n’a-t-il pas, lui aussi, raté l’occasion de se taire en s’occupant d’une affaire qui ne concerne pas le Rwanda? Au nom de quel principe se croit-il en droit d’évoquer la crise qui prévaut à Minembwe, une localité congolaise, tout en déniant aux Congolais le droit d’exprimer leur indignation suite à l’assassinat de Kizito Mihigo, un chantre de la paix et de la réconciliation non seulement entre Hutu, Tutsi et Twa mais aussi entre les peuples du Congo-Kinshasa et du Rwanda? Au nom de quel principe se permet-il d’accoler l’épithète « marginaux » sur des politiciens congolais?

Les Congolais n’ont pas oublié que l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) n’a jamais été une « rébellion » authentiquement congolaise. Ils savent que ce « conglomérat d’aventuriers » (dixit, LD Kabila) était une trouvaille rwando-ougandaise. Les Congolais n’ont pas oublié non plus que le Mzee fut une « marionnette » portée au pouvoir principalement par des militaires rwandais et ougandais commandés par James Kabarebe, alors colonel. Les Congolais n’ont pas oublié, enfin, que « Joseph Kabila » est arrivé au pays qui s’appelait encore Zaïre, dans « les bagages » de « James ».

Qui ignore qu’après sa prise de pouvoir en juillet 1994 à Kigali, le FPR considérait le Zaïre de Mobutu comme une « menace » pour la « sécurité » du nouveau pouvoir rwandais? Un sentiment partagé d’ailleurs par l’Ougandais Yoweri Museveni. Le satrape de Kampala n’avait pas oublié le « précieux concours » du « Grand Léopard » dans la conquête du pouvoir dans son pays.

Installer un « pouvoir ami » ou plutôt un « homme-lige » à Kinshasa a toujours  été le leitmotiv de Kagame et singulièrement de Museveni. L’assistance militaire des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne a transformé ce « rêve » en réalité: l’imprévisible LD Kabila fut remplacé par « son fils ». Le félon a mis le pays à genoux pendant que l’Ouganda et le Rwanda restaient debout. Le Congo-Kin est réduit au rang de « caverne d’Ali Baba » pour Kampala et Kigali. Les grands corps de l’Etat sont infiltrés par des citoyens rwandais, sous le label « Banyamulenge ».

Le secrétaire d’Etat rwandais Nduhungirehe parait animé, à l’égard des Zaïro-Congolais, du même mépris que fait montre son « mentor » Paul Kagame. Celui-ci est arrivé avec deux heures de retard lors de la parade militaire organisée, le 30 juin 2010, à l’occasion de la commémoration du Cinquantième anniversaire de la proclamation de l’indépendance.

Kagame feint d’ignorer que sans la « soif du changement » et l’adhésion populaire des Zaïrois d’alors, l’AFDL n’aurait jamais réussi sa « promenade de santé » d’Uvira à Kinshasa. Pour preuve, en 1998, ce même peuple a empêché le commando dirigé par Kabarebe de s’emparer de la capitale après la rupture entre LD Kabila et ses ex-parrains.

Lentement mais sûrement, le « Grand Congo » commence à sortir de son profond sommeil. L’opinion publique congolaise est sans conteste la plus dynamique de la sous-région des Grands Lacs. L’heure est au débat démocratique. Adieu les sujets tabous. Les Congolais de 2020 n’ont plus rien à voir avec les Zaïrois du 17 mai 1997 qui avaient laissé le « loup », déguisé en « libérateur », d’entrer dans la bergerie…

 

Baudouin Amba Wetshi

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