Le sens d’un serment, la valeur de la parole donnée, la rupture du Pacte Républicain, la faillite d’une Nation et la puissance d’un peuple

Concerne: Lorsqu’un peuple retire sa confiance à ses dirigeants, le changement est impérieux

Gilbert Kiakwama kia Kiziki

Gilbert Kiakwama kia Kiziki

On croirait que le temps s’est arrêté en 1992 ou 1993. Le Zaïre en transition politique de l’époque est déliquescent. Sa monnaie en chute libre, son économie en lambeaux, son armée mexicaine, inefficace et volontairement désorganisée, sa classe politique dans des querelles constantes et le peuple dans une souffrance sans qualificatif.

Un leitmotiv dans la population: « Tolembi. Boye ti wapi? Akende. Ata ntaba… ». Chez le président Mobutu: « Ils ne feront pas sans moi, quoiqu’il arrive ». La Rébellion fomentée par la Communauté internationale est venue solder l’Ancien Régime, ses ratés et sa transition chaotique, sans but ni fin.

C’était en 1997, M. le Président (votre titre au terme de l’accord politique de la St-Sylvestre). Il y a 20 ans. Pourtant, et c’est bien malheureux, on croirait que tout ceci se passe aujourd’hui en 2017. La seule différence, heureusement, est qu’il n’y a pas en ce moment de rébellions armées soutenues par la Communauté internationale par le truchement de nos États voisins.

Il faut M. le Président, une rupture fondamentale, urgente, car l’échec de votre action est patent et le danger imminent. La faillite est là. Il reste à la prononcer, à solder les comptes, à passer sous administration provisoire avant qu’un repreneur sérieux ne se présente et soit approuvé.

La faillite est économique… Elle se manifeste dans l’incapacité de poser en 20 ans, les bases solides du renouveau et du développement de notre pays, malgré la propagande. Pire encore au vu du bradage des joyaux de notre patrimoine. Résultat: le désordre et l’anomie.

La faillite est sociale… 20 ans et aucune base solide pour le système d’éducation congolais. La mortalité infantile, la malnutrition et ses conséquences sur le développement des enfants en bas âge, le chômage, la paupérisation de nos concitoyens, les conflits sociaux accentués par de mauvaises politiques, les lois et les règlements mis au service des puissants,…

La corruption et l’impunité. Résultat: le désordre et l’anomie.

La faillite est politique… La classe politique est dans ses querelles constantes, sans consensus minimum sur les fondamentaux du vivre ensemble et du développement. Sans ambition commune, pour une si grande nation africaine. Le parlement est un « rump parliament » peuplé de godillots, assurant une majorité mécanique, coupée de toute réalité. Tout ceci tant et si bien que l’on est forcé de recourir à l’aide des bons pères de l’Eglise catholique, les seuls encore crédibles, pleins de bonne volonté et de sens du devoir. Ils font des médiations, président à des réconciliations, appellent au sursaut,… Mais à vrai dire ils ne peuvent être Responsables à la place des Responsables. Résultat: le désordre et l’anomie.

Enfin, surtout, la faillite est morale… Car le Pacte Républicain est rompu. Le serment présidentiel scellé dans notre constitution a été foulé au pied. Ce serment dit:  » Moi…. élu Président de la République Démocratique du Congo, je jure solennellement devant Dieu et la nation:

  • d’observer et de défendre la Constitution et les lois de la République;
  • de maintenir son indépendance et l’intégrité de son territoire;
  • de sauvegarder l’unité nationale;
  • de ne me laisser guider que par l’intérêt général et le respect des droits de la personne humaine;
  • de consacrer toutes mes forces à la promotion du bien commun et de la paix;
  • de remplir, loyalement et en fidèle serviteur du peuple, les hautes fonctions qui me sont confiées ».

Ce ne sont que des mots, mais ces mots, peu d’hommes dans l’histoire du Congo auront l’honneur et la responsabilité de les prononcer. Ils sont le fruit des leçons de notre histoire, « d’un long passé d’efforts, de sacrifices et de dévouements ». Ils sont la matérialisation d’un consensus politique et la transcription de l’ambition que chaque congolais a pour la Nation. Ces mots ont été scellés dans la Constitution par le peuple pour le peuple. Ils incarnent la clé de voûte de l’engagement national!

Au terme de ces mots, la Nation ne doit pas seulement être défendue contre ses ennemis extérieurs, mais elle doit être défendue contre elle-même aussi! Contre ses démons, ses faiblesses, ses velléités d’autodestruction.

Cela fait bien longtemps malheureusement que la parole a perdu sa valeur et son poids dans notre pays. La parole publique, comme la parole privée. Du premier au dernier des citoyens. Devant les chambres réunies en Congrès, à la tribune des Nations Unies, à la tribune de l’Union Africaine, lors de conférences régionales, devant les pères évêques, dans la presse,… Combien d’engagements n’ont-ils pas été pris? Mais en fait les mots servent d’expédients. Ils ne servent plus qu’à se débarrasser d’un inconfort immédiat… On verra bien plus tard… Ca ira.

Or les mots ont un sens. La parole a un poids.

Les annonces faites – avec beaucoup de légèreté et d’insouciance – de la non convocation des élections, du nouveau report sine die des élections, de l’absence de moyens pour organiser les élections au terme de l’Accord de la St-Sylvestre, etc… sont autant de coups de canon qui vont conduire notre Nation dans l’abîme.

Bien sûr beaucoup se répètent qu’il n y aura rien. Que les congolais sont des peureux. Que les congolais sont des distraits. Que les leaders de l’Opposition sont des fainéants désunis incapables de faire le travail de terrain nécessaire (ça prend du temps mais ils y viennent; la réalité s’impose à tous). Que l’Opposition politique est aphone et sans ressort. Que les mouvements citoyens peuvent continuer à pérorer sans impact. Que la Saint Sylvestre 2018 se passera comme d’habitude au champagne et petits fours, en comptabilisant le dernier million engrangé. C’est possible M. le Président. C’est possible.

Mais nous les congolais, nous sommes imprévisibles!

Ça ne se passera peut-être pas quand tout le monde l’attend, mais il faut se mettre en tête dès à présent que ça se passera. Vous étiez plus jeune mais jadis le colonisateur et le président Mobutu ont eu le même sentiment d’infaillibilité. Forts de leurs armées fidèles, de leur nomenklatura et de leurs réseaux ils tenaient les congolais pour quantité négligeable.

  1. le Président, ne croyez pas que l’idée d’un mandat présidentiel indéfini, prolongé illégitimement finira par s’imposer. Cette notion est rétrograde. Elle n’est pas républicaine. Et c’est un véritable poison pour le devenir de la République démocratique du Congo. Aucun congolais d’aujourd’hui ou de demain ne saurait se satisfaire d’un tel recul dans la construction de notre Nation.

Dès lors, quel chemin pour le Congo?

Notre pays a besoin de sortir de l’incertitude et du flou dans lequel il est sciemment maintenu. L’instabilité permanente entretenue par un gouvernement de droit divin doit cesser. Deux camps se font face (le Président Kabila et les Forces de Progrès opposées à son action) sous le regard de l’arbitre suprême, le peuple congolais.

Trois protagonistes donc. Il est temps que chacun soit responsable et agisse pour le bien du pays. Il nous faut sortir rapidement de cette illégitimité institutionnelle qui va exacerber les passions politiques et rompre la paix civile.

Pour ce qui vous concerne M. le Président:

Vous avez mené le Congo de serment en serment, de parole donnée en parole donnée, sans jamais de résultat concret, tangible et durable. Toute confiance vous a été retirée. Vos mots seuls ne suffiront pas à vous faire entendre du peuple congolais ou des amis du peuple congolais. Seuls des actes forts pourraient vous permettre d’espérer retrouver une assise et une place dignes dans l’histoire du Congo:

  1. Prenant exemple sur votre aîné et ancien collègue, Michel Martelly, vous pouvez quitter d’initiative votre fonction et ainsi ouvrir la voie à votre remplacement à titre intérimaire par un gouvernement de transition neutre. Cela s’est fait en Haïti, et a permis, en dédramatisant les enjeux, d’organiser des élections véritablement neutres et apaisées. Le Président Martelly a su faire passer le bien-être de son pays avant le sien.
  2. En vous inspirant de ce qu’avait fait Frederik W. De Klerk en Afrique du Sud, créer un choc de confiance, en libérant unilatéralement tous les prisonniers politiques et d’opinion, quel que soit le prétexte sous lequel ils ont été emprisonnés, en prononçant, la grâce immédiate et sans condition pour tous les exilés et les prévenus politiques et d’opinion, quel que soit le prétexte sous lequel ils ont été poursuivis ou condamnés. Et ensuite seulement revenir, d’initiative, à l’application à la lettre de l’Accord de la St-Sylvestre; en recevant la démission de M. Bruno Tshibala et de son gouvernement, en annonçant la nomination du 1er Ministre désigné par le Rassemblement des Forces acquises au changement présidé par Félix Tshisekedi, ainsi que des vice-premiers ministres, ministres régaliens et autres que le Rassemblement désignera par la voix de son président; en annonçant la nomination du Président du Conseil des Sages du Rassemblement, Pierre Lumbi, en entérinant la démission des membres du bureau de la Ceni présentée à qui de droit, etc …

A défaut M. le Président, vous pouvez choisir de continuer la stratégie actuelle de la figure tutélaire évanescente, toujours à la manœuvre mais jamais citée… Vous pouvez continuer la stratégie de l’usure, de l’incertitude, de l’instabilité et du chaos, pour un glissement qui ne dit pas son nom. Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Waza Banga l’a fait avant vous. Ni lui, ni le Zaïre ne s’en sont remis.

Pour ce qui concerne mes jeunes compagnons des Forces du Progrès, en ce compris mes enfants qui œuvrent dans les mouvements citoyens:

Nous avons mangé notre pain blanc. Le moment où la colère et l’indignation du peuple suffisaient à le mobiliser est passé. Nous avons perdu le bénéfice de l’adhésion spontanée du peuple congolais. Il souffre toujours, oui. Il est toujours en colère, certes. Mais il n’est plus sûr que ce que nous avons à lui proposer soit faisable et vaut la peine. Il considère sans doute que nous n’avons pas été à la hauteur ces derniers mois. Notre parole à nous aussi est dévaluée. Qui peut le blâmer. Les mots d’ordre et les appels venus d’en haut ne suffiront plus. De plus, le temps où le pouvoir, incertain, irrésolu, hésitait à étouffer dans l’œuf toute velléité de contestation et de manifestation est révolu.

Dès lors les semaines à venir nécessiteront des sacrifices certainement. Je ne doute pas qu’il y a parmi nous énormément de personnes de principes, courageuses, prêtes à aller même jusqu’au sacrifice suprême pour voir naître un Congo nouveau. Je le sais, j’en connais plusieurs intimement et je suis témoin chaque jour de leur admirable engagement citoyen. Je voudrais simplement faire valoir à tous que, aussi héroïques que nous soyons, aussi éminents que nous soyons, nous n’arriverons à rien si nous ne sommes pas capables d’emmener le plus humble des congolais avec nous (celui qui n’a pratiquement rien à gagner), mais aussi le plus riche (celui qui a pratiquement tout à perdre). Voilà notre travail.

Au peuple congolais je soumets ceci:

Notre sort est entre nos mains. Nous sommes bien plus nombreux à vouloir le changement qu’il n’y paraît.

Malheureusement nous sommes isolés les uns des autres et désorganisés. A nous maintenant de savoir nous mettre ensemble pour exprimer nos exigences à ces dirigeants qui viennent nous voir. A défaut suscitons nos propres dirigeants et chargeons-les de faire le boulot.

Pour ce qui me concerne:

Comme je ne cesse de le rappeler, je fais partie d’une espèce en voie d’extinction. Je suis parmi les rares actifs aujourd’hui à avoir été ministre sous Mobutu, dans les années 70 déjà. Je suis entré en opposition en 1988 et j’ai librement adhéré à un parti politique d’opposition (le PDSC) il y a 26 ans, en avril 1991. Depuis 26 ans maintenant je suis sans discontinuer, non pas dans l’opposition, mais fidèle à mes convictions et à ma ligne.

J’ai bientôt 80 ans. Ma seule force c’est ma parole. Le seul legs que je laisserai en définitive. Je vais continuer mon combat et remplir mon devoir d’état.

Par mon texte du 08 mars 2017 j’ai parlé à mes pairs de l’Opposition démocratique.

Par mon texte du 28 mars 2017 j’ai parlé à mes frères de la MP, collaborateurs directs du Président. En mars 2013 déjà, dans une tribune, je m’adressais au Président de la République en lui demandant s’il était prêt à faire avancer le Congo. Quatre ans et demi après… Le Congo a reculé.

Aujourd’hui malheureusement, je ne peux que m’adresser à lui directement, en prenant les Congolais à témoin, pour attirer son attention sur sa responsabilité et le mettre en demeure d’assurer la stabilité et la pérennité de notre pays.

Ma parole, mes mots seront mon héritage, ma trace … et mes actes aussi en feront partie.

Je vais donc reprendre mon bâton de pèlerin et retourner parler aux Congolais… à hauteur d’homme. Face à face.

Le peuple congolais est divers: il y a les capitaines d’industrie, les grands commerçants, les mamans mobokoli. Il y a les fonctionnaires, les magistrats, les médecins. Il y a les cadres moyens et supérieurs du privé, les professions libérales, et tous les entrepreneurs qui ont su tirer leur épingle du jeu. Il y a les hommes de troupe, leurs officiers et les officiers généraux. Il y a les paysans, les notables. Il y a les étudiants, leurs professeurs, tous ces intellectuels pour qui le savoir est tout. Et il y a tous ces millions d’hommes, de femmes, jeunes et vieux, sans emploi, sans patrimoine, sans statut particulier, qui jour après jour déploient d’incroyables efforts pour survivre tout simplement…

Pour chacun il faudra trouver les mots qui concernent sa situation et qui le touchent. A chacun il faudra montrer comment sa situation particulière est liée au grand tumulte du monde. A chacun il faudra montrer que quoiqu’il pense, il n’est pas seul à vivre ce qu’il vit. A chacun il faudra montrer comment nous allons faire ensemble, en coordination, les premiers pas difficiles, coûteux certainement, pour que d’autres nous rejoignent et que nous puissions faire entendre notre voix et nous faire obéir.

Kinshasa le 15 octobre 2017

 

Gilbert Kiakwama kia Kiziki
© Congoindépendant 2003-2017

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