Libre opinion: PPRD-UDPS. Mes questions

Wina Lokondo

Wina Lokondo

Tout les opposait et leur adversité a été longue. Jusqu’à sa mort, nul n’aura entendu Etienne Tshisekedi dire des gentillesses à l’endroit de Laurent-Désiré Kabila ni de son fils et successeur Joseph. A l’image du père, Félix Tshisekedi ne ratait pas l’occasion de décocher, chaque fois qu’un micro lui était tendu, des critiques acerbes, des propos malveillants à l’égard de Joseph Kabila qu’il traitait « d’imposteur ». Les images de cercueils de six militants de l’Udps, ceints de drapeaux du parti et exposés à sa permanence de Limete en 2016, résument à elles seules les décennies d’hostilités entre la « kabilie » et la « tshisekedie ». Puis vinrent la « victoire » électorale de Félix Tshisekedi, contestée par le candidat Martin Fayulu et la coalition Lamuka, mais étonnamment acceptée avec élégance et bienveillance par les kabilistes, et l’annonce officielle d’un accord de coalition (était-ce l’aboutissement des contacts secrets d’Ibiza et de Venise de 2015 et 2016?) entre les deux familles politiques, le Fcc et le Cach, sous les respectifs leaderships, hasard de l’Histoire, des fils biologiques des défunts « frères ennemis » Laurent-Désiré Kabila et Etienne Tshisekedi. Qui l’eût cru! Mais ne s’en étonneraient que ceux qui ignorent la logique de la réalité qui n’appelle à la réconciliation que ceux qui se sont fait la guerre, qui se sont haïs: on ne négocie qu’avec l’ennemi, dit l’adage. Et arriva la concrétisation du « deal », la passation « pacifique » du pouvoir. On a vu, en ce jour solennel de 24 janvier 2019, le sortant Joseph Kabila, tout beau, débarrassé, pour l’occasion, de sa volumineuse touffe de cheveux et de son hirsute barbe poivre et sel, sourires détendus. Et l’entrant Félix Tshisekedi, torse enserré par le gilet pare-balles qui a amplifié sa forte et naturelle corpulence, qui n’arrêtait de renvoyer sourires et regards tendres à son « frère » et nouvel allié. Les caméras ont zoomé à répétition leur complice conversation, des réciproques et agréables mots – ça en avait tout l’air – que les deux nouveaux « amis » n’arrêtaient pas de se souffler aux oreilles. Puis arriva le clou de l’événement, le serment du nouveau chef de l’Etat et la transmission des symboles et signes du pays et de l’impérium: le drapeau national, le livre de la Constitution et la cocarde présidentielle que le magistrat suprême sortant fit porter en bandoulière à celui qui, dès cet instant, tenait en ses mains les destinées du pays. Des phrases gentilles et…élogieuses à l’endroit du désormais « sénateur à vie » parsemèrent le discours de circonstance du nouvel occupant du Palais de la Nation. Les images avaient fait le tour de la planète. Le spectacle était beau.

Mais les belles choses, comme la rose, ne durent malheureusement pas longtemps. Et voilà qu’aussitôt après des longues et compliquées tractations qui ont abouti à la formation de leur gouvernement de coalition Fcc-Cach, que l’on entend revenir, de part et d’autre, et à l’étonnement de l’opinion, des propos agressifs d’une époque que le « deal » était censé avoir maintenus au passé, des quolibets que des « coalisés » ne peuvent normalement pas s’envoyer, sort politique commun lié et devoir de réussite de leur actuel mandat gouvernemental obligeant. Qu’est-ce qui a soudainement gâché l’atmosphère qui tend à compromettre l’existence de la coalition? Qui est le partenaire qui a « fauté » et qui met en péril le « mariage »? Quelqu’un aurait-il, aussi tôt, remis en question une clause du « deal »? Des mauvais signaux ne cessent d’être envoyés par les deux grands partis de la coalition, le Pprd et l’Udps, lesquels ne présagent pas un fonctionnement harmonieux de l’attelage gouvernemental qu’ils ont pourtant et difficilement constitué – on entend des bruits d’indiscipline caractérisée de certains ministres, les uns à l’égard du président de la République (Udps), les autres à l’endroit du premier ministre (Pprd) – et, par conséquent, pas une bonne et efficace gestion du pays qui est aujourd’hui tiraillé de tous côtés par plusieurs et urgents défis, notamment sécuritaires, économiques et environnementaux.

D’un côté, on voit des groupuscules – incontrôlées? – de l’Udps, des durs et inoxydables « étiennistes », qui semblent ne jamais avoir approuvé le « deal » avec Joseph Kabila qui aura été l’ennemi intime dont ils ont, pendant des années, dit pis que pendre, celui-là que le « Sphinx » de Limete avait demandé, avec promesse de récompense, à quiconque l’aurait capturé de l’emmener, « ligoté », devant lui. Le même Joseph Kabila dont la police, entièrement à sa solde, aura été d’une particulière brutalité avec les militants de l’Udps chaque fois que ces derniers avaient été amenés à s’exprimer dans la rue. Il y a régulièrement eu affrontements lors desquels le sang a coulé. Les conflits qui endeuillent ne s’oublient pas. En tout cas pas de la part de ceux qui ont perdu des compagnons de lutte ou de proches parents. Comment appeler à de bons sentiments, comment faire accepter le nouveau partenaire Joseph Kabila à ces radicaux, la « base », que la rancune ne quitte pas? Au fait, y a-t-il vraiment désaccord entre la haute direction et la base de l’Udps au sujet de l’accord de coalition avec le Fcc? N’y aurait-il pas une (secrète) identité de vues? En laissant libre parole au va-t-en-guerre et secrétaire général Augustin Kabuya et à d’autres extrémistes du parti – lesquels ne sont pas dans la nuance verbale -, Félix Tshisekedi fait-il sournoisement annoncer, par d’autres bouches, la fin, dans un avenir proche, de l’alliance avec Joseph Kabila? Se serait-il mis à l’évidence que le « deal » est une alliance d’irréconciliables contraires, que celle-ci ne pourra jamais obtenir l’assentiment de sa base politique qui n’arrête d’exprimer « bruyamment » son refus de cette coalition avec le Fcc? Pourquoi Félix Tshisekedi ne met-il pas le holà aux dérapages, aux outrances de langage des militants et des cadres de son parti envers Joseph Kabila? Tient-il aujourd’hui son parti? Y garde-t-il encore toute son autorité? Les qualités de manager politique ne se prouvent-elles pas par la capacité à tenir les troupes, à peser moralement sur elles, à se faire respecter d’elles?

On constate également, de l’autre côté, celui du Pprd, le parti de Joseph Kabila, les mêmes attitudes et état d’esprit… belliqueux. Les « Bérets rouges » ne se présentent pas non plus en enfants de chœur. Ils disent répliquer, à l’occasion de leurs rassemblements habituellement orchestrés en démonstration de force, aux provocations de l’Udps et ne se privent pas de mots durs et offensants à l’égard de Félix Tshisekedi qu’ils estiment être redevable à Joseph Kabila qui lui aurait « refilé » pacifiquement le pouvoir quand ils ne déclarent pas crûment qu’il l’a fait « nommé » président de la République. Le secrétaire permanent du Pprd, Emmanuel Ramazani Shadary, « monsieur coup sur coup », qui, comme Augustin Kabuya de l’Udps, n’a jamais été dans le discours ambigu, se retrouve bien sur son terrain de prédilection, celui justement du… coup sur coup, quand il répond à mots appropriés à ce dernier et croit effrayer les tshisekedistes en brandissant l’épouvantail du retour aux affaires de Joseph Kabila – « le seul grand prêtre en RDC », martèle-il – par sa prochaine prise de la présidence du Pprd et son éventuelle participation à l’élection présidentielle de 2023. Décodé, le message des kabilistes aux tshisekedistes serait celui-ci: « Nous allons reprendre le pouvoir que nous vous avons gentiment cédé ». Ces derniers l’ont-ils bien capté?

Les récents, réciproques et méchants arrachages des affiches de Joseph Kabila et de Félix Tshisekedi font monter la tension au fil des jours de façon inquiétante entre leurs partisans respectifs. L’opportune visite de Joseph Kabila à Félix Tshisekedi le samedi 2 novembre dernier à la Cité de la Nsele s’est imposée pour certainement ramener le calme dans les deux camps et rassurer les Congolais ainsi que la communauté internationale de la continuité de la coalition. Mais l’absence de chaleur de la rencontre a été perceptible. On est loin de joyeuses visites de courtoisie que « Raïs » rendait à son successeur à la Cité de l’OUA au début du mandat de ce dernier, tenue relax et au volant de sa Mercedes année 70, et accueilli par Félix Tshisekedi et son épouse aussi simplement habillés et sans les cohortes d’agents de protocole et de gardes du corps. Ces deux principaux acteurs de l’actuel et affligeant mélodrame politique congolais prennent-ils la mesure de la responsabilité qui serait la leur en cas d’échec de leur coalition et de l’instabilité politique que pourrait connaître le pays? Chacun croit-il pouvoir sortir gagnant, sans égratignure, du duel auquel il tente d’amener hypocritement et dangereusement l’autre? Et que serait l’alternative à leur désunion? Des changements d’alliances? Et dans cette hypothèse, avec qui Kabila conclurait-il un nouveau pacte? Et qui seraient les nouveaux alliés de Félix Tshisekedi? Celui-ci sera-t-il tenté, en extrême recours, d’user de sa constitutionnelle arme fatale, la dissolution de l’Assemblée nationale, et appeler à de nouvelles élections législatives avec l’espoir de remodeler l’espace parlementaire et de s’y octroyer une majorité de députés qui lui permettrait de gouverner « sereinement »? Trouvera-t-il les moyens financiers pour l’organisation des scrutins? Ceux-ci pourront-ils se préparer et se dérouler dans un environnement et un climat apaisés? En retirant sa signature, en moins de 24 heures après l’avoir apposée, de l’accord de coalition de l’Opposition à Genève en 2018, volte-face qui n’a pas laissé intacte son image auprès de nombreux Congolais ainsi que dans certains milieux économiques et cénacles politiques internationaux, et s’il prend l’initiative de mettre fin à la coalition avec les kabilistes – lourd et incommodant « joug » qu’il ne supporte plus de porter? -, Félix Tshisekedi apparaîtra comme une personne imprévisible et non fiable.

Joseph Kabila, qui s’est vu récemment décerner une récompense par la Sadc pour avoir transmis pacifiquement le pouvoir à son successeur, peut-il, lui aussi, prendre le risque de perdre cette auréole internationale, celle d’un « démocrate » qui aura respecté la Constitution de son pays et joué jusqu’au bout le jeu électoral à l’issue duquel le candidat de son parti, choisi de façon discrétionnaire par lui-même, n’a pas remporté l’élection présidentielle? Fallait-il céder « pacifiquement » le pouvoir pour après se comporter « belliqueusement » avec son successeur et… allié, et ne pas lui permettre d’en user pleinement et tranquillement? L’image d’un « roublard », d’une personne qui aura manqué de sincérité vis-à-vis de son allié, des Congolais et des partenaires étrangers, lui serait, à lui aussi, préjudiciable. Joseph Kabila se présente comme le protecteur des intérêts d’un groupe d’amis politiques et se veut jusque-là leur irremplaçable leader, leur « autorité morale ». Sa vie n’aurait-elle pas de sens sans ce statut? N’envisage-t-il pas de se faire discret – comme le font habituellement les anciens chefs d’Etat -, de laisser les projecteurs de la rampe être braqués exclusivement sur son successeur et allié, d’éviter de lui faire politiquement ombrage, de lui rafler médiatiquement et chaque fois la vedette, de montrer en permanence qu’il y a deux « caïmans » dans un même marigot? La sérénité de la coalition ne pourrait-elle pas, peut-être, passer par là, par « l’effacement » de l’ancien pour permettre au successeur de se sentir, ne serait-ce pour les apparences et malgré le « deal », seul maître à bord du navire? Replonger dans l’anonymat quand on a été, 18 ans durant, au devant de la scène n’est sans doute pas facile à vivre. Ceci fait-il déprimer Joseph Kabila? Redevenir visible et retrouver les honneurs publics l’obséderaient-ils aujourd’hui? Son exil volontaire ou forcé – l’opinion ou des imprévisibles et malheureux événements pourraient l’y pousser – ferait-il voler en éclats le Fcc qui peine à se trouver un nouveau leader, Ramazani Shadary n’ayant pas pu s’imposer à ses pairs malgré son adoubement comme dauphin par Joseph Kabila? En n’imaginant pas leur avenir politique sans ce dernier et sans lui faire jouer des rôles de premier plan incompatibles, sous certains aspects, à son honorifique titre de « sénateur à vie », quelques influents caciques du Fcc le pousseraient-ils à une faute fatale, à un suicide collectif? Joseph Kabila et ses amis seraient-ils en train de commettre la même erreur que le maréchal Mobutu et ses conseillers (et mauvais génies) civils et militaires qui croyaient avoir une éternelle et totale maîtrise du pays et se sentaient ainsi indéboulonnables et donc incontournables, mais qui avaient tous décampé avec femmes et enfants, telles des souris quittant à la vitesse grand V une maison qui prend feu, un certain mois de mai 1997?

 

Par Wina Lokondo

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