Lutte contre la corruption: Et si Kikangala était responsable mais pas coupable?

La nouvelle de la mise en détention provisoire, vendredi 18 décembre, de Ghislain Kikangala, coordonnateur de l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption (APLC), a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans certains milieux de la diaspora congolaise de Belgique. Avocat au barreau de Bruxelles depuis une trentaine d’années, ce fils d’un ancien ambassadeur est réputé pour sa rectitude. D’aucuns parlent déjà de « dérapage ». « Jugement » expéditif? La détention d’un individu non encore condamné enlève-t-elle à celui-ci le bénéfice de la présomption d’innocence? Une certitude: l’image prend un coup.

C’est au début de la soirée de vendredi 18 décembre qu’on a appris que le coordonnateur de l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption, Ghislain Kikangala, a été « placé sous mandat d’arrêt provisoire » par le procureur général (PG) près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe.

Le coordinateur de l’APLC devait comparaitre avec deux de ses directeurs des opérations en l’occurrence Nzanza Luzy et Bondekwe Bo. Ces derniers ne se sont pas présentés au parquet. Seraient-ils en fuite? L’ordonnance de mise en détention provisoire est toujours motivée. Ghislain Kikangala est-il « gardé à vue » pour empêcher une « concertation frauduleuse » éventuelle entre lui et ses deux collaborateurs « en cavale »?

CAUTION DE 30.000$

Le siège kinois d’Access Bank, RDC

Que reproche-t-on à ce coordonnateur de l’APLC qui a rang de conseiller spécial du Président de la République? Selon des informations parcellaires, le PG aurait retenu deux infractions. A savoir: arrestation arbitraire et extorsion de fonds. Qui est le plaignant? Il s’agit du directeur général de l’Access Bank, RDC qui répond au nom d’Osuachala Arinze Kenechukwu, de nationalité nigériane.

Au commencement était une vidéo qui a circulé jeudi 17 sur les réseaux sociaux. Il s’agissait d’images capturées par une camera de surveillance. On y voit deux préposés d’une banque occupés à faire signer des documents à trois supposés « clients » qui seraient des agents de l’APLC. Ces derniers avaient-ils perçu de l’argent? Le coordonnateur de l’Agence ne le nie pas.

Dans un communiqué publié le même jeudi, le coordonnateur de l’APLC, on peut lire notamment: « Dans le cadre de sa mission, l’APLC a constaté des indices sérieux de blanchissement de capitaux et de financement du terrorisme dans le chef de l’Access Bank, RDC (…). C’est dans le contexte de l’enquête menée au sujet de ces faits et, à titre de garantie de représentation, que le DG d’Access Bank a remis son passeport en présence de ses avocats et qu’une caution de 30.000 $ a été perçue en présence de maître Cibambo Amani et de quelques collaborateurs de la banque ».

Ghislain Kikangala de poursuivre: « Les actions menées par l’APLC dans le cadre de cette enquête ont donné lieu à diverses interprétations. Néanmoins, cette controverse ne saurait enlever la pertinence des constats effectués, notamment sur base des documents remis volontairement par la banque Access ». Et de conclure: « Cette enquête ira jusqu’à son terme ».

KIKANGALA, RESPONSABLE MAIS PAS COUPABLE

La très miteuse prison centrale de Makala

Quelques minutes après la diffusion dudit communiqué, un autre document est apparu sur les réseaux sociaux. Il s’agit cette fois d’un procès-verbal de consignation des 30.000 $ au parquet général près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe. Question: l’APLC s’est-elle rappeler tardivement qu’étant une émanation du pouvoir exécutif (la Présidence de la République), son rôle se limitait à « diligenter des enquêtes », à « entendre toute personne », et à « provoquer des poursuites par des instances judiciaires compétentes » comme l’indique l’ordonnance n°20/13 bis du 17 mars 2020 portant création, organisation et fonctionnement de l’APLC? Eblouie par son « indépendance » affirmée dans ce décret présidentiel, l’Agence a-t-elle commis le « péché de jeunesse » en marchant sur les plates-bandes des autorités judiciaires entre les mains desquelles elle devait jouer un rôle identique à celui conféré aux « officiers de police judiciaire »? Un rôle qui consiste à transmettre les produits des enquêtes (l’infraction constatée, l’identité du présumé délinquant et les preuves rassemblées) au procureur?

Au cours de la soirée de vendredi 18, une nouvelle vidéo a atterri sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’une interview que le coordonnateur Kikangala a accordée aux confrères kinois William Kalengayi et Eric Tshikuma (Zoom-Eco). L’avocat bruxellois a semblé « morigener » les agents de l’APLC qui s’étaient rendus à cette banque. « Ils n’avaient pas reçu l’ordre de mission pour mener cette action ». Et d’ajouter: « Une enquête est ouverte au sein de l’Agence ».

C’est la troisième fois, en l’espace de deux ans, que des concitoyens issus de la diaspora congolaise de Belgique font face à des ennuis judiciaires dans leur pays natal. Avant Ghyslain Kikangala, il y a eu Dieudonné Lobo et l’ancien ministre de la Santé Oly Ilunga Kalenga Tshimankinda. Les superstitieux y verraient de la « scoumoune ». En se reportant à la réputation de Kikangala, la tentation est forte de gager que ce dernier est sans doute responsable, au plan hiérarchique, mais pas coupable. On aurait dit autant pour « Oly » qui est embastillé à Makala.

 

Baudouin Amba Wetshi

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