Me Guylain Mafuta: « Bemba est plus Congolais que certains gouvernants du pays »

Avocat au barreau de Bruxelles et à la CPI (Cour pénale internationale) l’avocat Mafuta Laman fait partie des cadres du MLC (Mouvement de libération du Congo) de Jean-Pierre Bemba Gombo. Depuis mardi 12 juin, le « chairman » est libre. Et ce après avoir enduré dix années derrière les barreaux de la prison de Scheveningen à La Haye. « Guylain » est apparu évasif à la question de savoir si le « chairmain » avait déjà rejoint sa famille à Rhode-Saint-Genèse.

Jean-Pierre Bemba Gombo est libre depuis mardi soir. Vous êtes juriste de formation et cadre du MLC, quel est votre sentiment en ce moment?

C’est un sentiment d’immense joie et de soulagement.

Dix années passées derrière les barreaux constituent une dure épreuve pour n’importe quel être humain. Dans quel état se trouve Bemba Gombo au plan physique et mental?

Vous avez sans doute eu l’occasion de voir Jean-Pierre Bemba lors de ses comparutions à la CPI. C’est quelqu’un qui reste digne. C’est aussi quelqu’un qui est mentalement solide. Inusable. J’imagine que ces attitudes découlent au fait qu’il savait que la vérité et la justice allaient tôt ou tard triompher. Il savait que le procès qui lui est fait était injuste. Son nom a été sali pendant des années. La justice a rétabli son honneur. Maintenant, il doit se reposer pour travailler sur son destin qui est de diriger le « Grand Congo ».

N’allez-vous pas un peu trop vite en besogne?

C’est le meilleur candidat de l’opposition à la prochaine élection présidentielle. Jean-Pierre Bemba a plusieurs qualités par rapport à d’autres prétendants. Il faut le dire et le souligner que c’est une personne expérimentée qui a déjà eu à diriger ce pays en tant que vice-président de la République. Il connait les rouages de l’Etat. Il fait partie de ceux qui ont milité pour la démocratisation de notre pays.

Avez-vous eu un quelconque contact avec Bemba depuis qu’il a quitté la prison de Scheveningen?

Il faut savoir qu’il a besoin de repos. Après dix années d’incarcération, il a besoin de recréer son espace psychologique et mental. Sans oublier qu’il a besoin de retrouver son épouse ainsi que ses cinq enfants qu’il n’a pas vu grandir. Le moment viendra où il va réunir les cadres de son parti pour préparer la bataille qui pointe à l’horizon.

Des sources proches du pouvoir kabiliste murmurent que Bemba serait titulaire d’un passeport belge. Qu’en dites-vous?

Ça devient ridicule! Au lieu de raconter des histoires ubuesques, les autorités congolaises devraient se taire. Elles n’ont qu’à administrer la preuve de ce qu’elles avancent. Jean-Pierre Bemba est Congolais d’origine. Il est plus Congolais que beaucoup d’hommes politiques du pays.

A qui faites-vous allusion?

Je vous dis simplement que Bemba est plus Congolais que certaines personnalités qui gouvernent notre pays. Il faut que les gouvernants actuels arrêtent de se ridiculiser. Jean-Pierre Bemba est un citoyen congolais. Il est qualifié, à ce titre, pour diriger notre pays.

Pensez-vous que Bemba a toujours envie de poursuivre la carrière politique?

(Rires). Ça serait extraordinaire qu’il en soit autrement. Notre parti tiendra son congrès les 12 et 13 juillet à Kinshasa. Jean-Pierre Bemba Gombo sera désigné, à cette occasion, comme le candidat du MLC à l’élection présidentielle du 23 décembre prochain.

En tant qu’avocat, quel est votre regard sur le fonctionnement de la CPI?

J’ai déjà eu à commenter le procès fait à l’ancien vice-président Bemba Gombo ainsi que l’affaire dite « Bemba II ». J’avais chaque fois dit que cette juridiction internationale devrait démontrer qu’elle est une cour de justice internationale et non une justice aux ordres. J’ai l’impression d’avoir été entendu. Nous n’avons jamais cessé de dire, depuis 2008, que l’accusé Bemba n’a jamais mis les pieds en Centrafrique. Il ne pouvait de ce fait commandé ses combattants déployés sur le terrain. Encore moins leur fournir les tenues militaires ou la logistique. Le président du MLC avait littéralement cédé le commandement de ses troupes aux autorités centrafricaines du régime Patassé. Aujourd’hui, la Cour nous a rejoints. Notre argumentaire n’a pas changé.

Le bureau du procureur ne semble pas bondir de joie après l’acquittement de Bemba…

Le procureur représente l’accusation. Le procureur avait dit d’abord que Jean-Pierre Bemba était directement impliqué dans les crimes commis en RCA. Il dira par la suite qu’il assume la responsabilité en tant que « chef hiérarchique ». Le bureau du procureur a beaucoup changé lorsqu’il a été acculé par les arguments de la défense. Aujourd’hui, on ne peut que se féliciter de constater que la Cour a totalement désavoué le bureau du procureur.

Que répondez-vous à ceux qui appellent à la démission de la procureure Fatou Bensouda?

A mon sens, elle devrait en tirer toutes les conséquences en présentant sa démission.

Quelle peine encourt Jean-Pierre Bemba dans l’affaire dite de « subornation de témoins »?

On ne va pas préjuger de ce dossier. Il importe de noter que cette seconde affaire était subsidiaire à la première. Elle était liée de manière accidentelle à l’affaire principale.

Pourrait-on conclure que lorsque le « principal » disparaît, l’accessoire subit le même sort?

Il s’agit des préventions qui sont différentes. Il reste que les deux affaires sont liées. Si l’affaire principale n’existait pas, on n’aurait guère parlé de la seconde. Et ce en dépit du fait que le bureau du procureur a tenté mardi 12 juin de soutenir que les deux affaires étaient distinctes. Il va sans dire que la seconde affaire sera examinée à la lumière de l’arrêt d’acquittement qui a été rendu le vendredi 8 juin.

La FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme) considère l’acquittement de Bemba comme une « insulte » aux victimes…

L’insulte vient plutôt de la FIDH dans la mesure où elle ne respecte pas l’arrêt de la Cour pénale internationale qui est opposable à tous.

Que répondez-vous à ceux qui « subodorent » l’ombre d’une « main politico-diplomatique » derrière cette décision judiciaire?

On ne peut empêcher les gens d’exprimer leurs opinions. En réalité, la Cour pénale internationale a pris ses responsabilités. L’arrêt querellé a été motivé de manière adéquate. Lorsque les juristes sérieux examinent cette décision de justice, ils constatent que la Cour a dit le bon droit.

D’aucuns restent néanmoins stupéfaits par le « professionnalisme inattendu » dont a fait preuve la CPI…

L’affaire Bemba se trouve au niveau d’appel. J’ai pu obtenir l’acquittement des clients en appel alors qu’ils étaient gravement condamnés en première instance. La Cour pénale internationale a eu l’occasion d’examiner sérieusement les arguments tant de la défense que de l’accusation. Elle est arrivée à la conclusion que le premier juge n’avait pas dit le bon droit.

Selon vous, qu’est ce qui a changé fondamentalement au niveau de la CPI pour qu’elle examine enfin « sérieusement » les arguments des parties au procès?

Comme je l’ai dit précédemment, Jean-Pierre Bemba a été condamné en première instance. Il a interjeté appel. C’est la première fois que l’affaire Bemba est examinée en appel. Les juges de la chambre d’appel se sont penchés de manière professionnelle sur les accusations de crimes contre l’humanité articulées à l’encontre du président du MLC. Vous le savez autant que moi qu’ils ont décelé plusieurs erreurs. Je salue le professionnalisme de la Cour pénale internationale. Celle-ci vient de démontrer qu’elle est réellement une justice indépendante.

Arrêté en 2008, Bemba ne sera condamné qu’en 2016. Est-ce une bonne administration de la justice?

Sur ce point, il y a beaucoup de choses à dire. La CPI devrait accélérer la procédure pour ne pas laisser passer beaucoup temps comme c’est le cas dans l’affaire sous examen. Il est vrai qu’il s’agit d’une « grosse affaire » qui demande beaucoup d’investigations. On espère que la Cour fera preuve célérité dans d’autres dossiers.

Pouvez-vous confirmer qu’au moment où nous parlons, le sénateur Bemba se trouve bel et bien parmi les siens à Rhode Saint Genèse, en Belgique?

Je ne confirme rien. Je peux, en revanche, vous confirmer que Jean-Pierre Bemba « est dehors ». Il est complètement libre. Il lui revient maintenant d’organiser son emploi de temps

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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