Me Tshibwabwa: « Je me bats pour l’irrévocabilité de la nationalité congolaise d’origine »

C’est au n°441 de la prestigieuse Avenue Louise, à 1050 Ixelles, que se trouve le cabinet de Me Dieudonné Tshibwabwa Mbuyi et une équipe d’avocats spécialisés dans une multitude de matières dont le droit des étrangers et la fiscalité. Avocat au barreau de Bruxelles, Dieudonné Tshibwabwa l’est également au barreau de Kananga et de Kinshasa/Gombe. Le juriste vient de rentrer de Kinshasa où il a été faire du « lobbying » dans le cadre de son « plaidoyer » pour l’irrévocabilité de la nationalité congolaise d’origine. Une question qui intéresse non seulement les Congolais de la diaspora mais aussi ceux qui sont rentrés au pays. Dans la capitale congolaise, il s’est entretenu avec des membres du Parlement et du gouvernement. Dans l’entretien qu’il a eu avec des médias de la diaspora congolaise de Belgique (Cheik Fita News, MPBTV de Pasteur Bobo et Congo Indépendant), il tire les leçons de son voyage. Sans omettre de jeter un regard critique sur la situation du pays. INTERVIEW.

Vous revenez de Kinshasa. Quels sont les résultats obtenus dans le cadre de votre votre « plaidoyer » pour la reconnaissance de la double nationalité aux Congolais de la diaspora?

Je me suis rendu, début octobre, à Kinshasa pour faire le plaidoyer auprès des personnalités concernées par cette problématique. Je tiens à préciser que mon combat ne se limite pas à la simple reconnaissance de la double nationalité. Mon combat est d’obtenir l’irrévocabilité et la conservation de la nationalité congolaise d’origine. La nuance a son pesant d’or. Je pars de l’idée qu’un Congolais d’origine ne peut pas perdre sa citoyenneté après l’acquisition d’une autre nationalité. Je souligne les mots « irrévocabilité » et « conservation ».

Qui avez-vous rencontré?

J’ai rencontré le vice-ministre des Affaires étrangères qui est également chargé des Congolais de l’étranger. Je lui ai remis un mémorandum. J’ai été aussi avec la ministre des Affaires étrangères. Au Parlement, en l’absence de la Présidente de l’Assemblée nationale, j’ai rencontré le 2ème vice-président du Bureau. Celui-ci s’est montré très sensible à cette problématique. Au sénat, j’ai été reçu par un sénateur qui a accepté de porter cette démarche dans la chambre haute. Je tiens à vous signaler qu’un mémorandum a été destiné au Président de la République afin que cette question soit traitée de manière un peu plus approfondie. Il s’agit de trouver une solution à un sujet qui a été soulevé depuis 2004 sous le régime de « Transition 1+4 ». La question a chaque fois été postposée. Il est temps que nos gouvernants se penchent sur cette problématique qui concerne plusieurs millions de Congolais vivant non seulement à l’étranger mais aussi à l’intérieur du pays. Je rappelle qu’il y a au Congo des compatriotes qui sont titulaires des nationalités étrangères. La plupart d’entre eux exercent leurs fonctions dans la « clandestinité ».

Le premier alinéa de l’article 10 de la Constitution stipule: « La nationalité congolaise est une et exclusive. Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre ». Que répondez-vous à certains juristes qui allèguent que les législateurs s’adressaient aux étrangers désireux d’acquérir la citoyenneté congolaise et non aux Congolais d’origine qui appartiennent à des tribus et ethnies du pays?

On ne doit pas donner à la Constitution une interprétation erronée. On doit s’en tenir au texte qui parle d’une nationalité qui est « une » et « exclusive ». Ce texte est clair. Il ne sert à rien d’ajouter une interprétation qui n’est pas vraie. La constitution ne fait pas de distinction entre le Congolais d’origine et celui qui ne l’est pas. La Constitution est formelle: tout Congolais ne peut avoir que la nationalité congolaise. Peu importe que ce soit par filiation ou par naturalisation. La Constitution va d’ailleurs plus loin: « Elle [la nationalité congolaise] ne peut être détenue concurremment avec une autre nationalité ». A preuve, le voyageur qui arrive au Congo ne peut présenter le passeport congolais et étranger.

Avez-vous senti une réceptivité auprès de ceux pour qui vous vous battez?

Les gens se sentent concernés. Nous sommes en Belgique. Il y a deux ans, quand les Congolais désiraient se rendre au pays, ils devaient solliciter un visa à l’ambassade. Beaucoup se plaignaient des « tracasseries » rencontrées alors qu’ils ne voulaient que visiter leur pays. Ces personnes veulent être exonérés de l’obligation de solliciter un visa pour se rendre dans leur pays d’origine. Notre travail consiste à faire en sorte que ce besoin rencontre le droit. Je constate que la communauté n’est pas assez informée. C’est ainsi que les gens font de l’amalgame et de la confusion. Au pays, des voix s’élèvent en arguant qu’il y a un « risque ». Ce risque s’appelle la question des « frontaliers ». C’est ça l’origine de la réticence. Les frontaliers dont question détiennent la nationalité congolaise qui leur a été accordée. Beaucoup de ces frontaliers occupent des fonctions dans les institutions. On semble oublier que lesdits frontaliers ne perdent nullement leur nationalité d’origine. Ma démarche est soutenue par une frange de la diaspora. C’est ici que les historiens devraient nous aider à déterminer qui est Congolais d’origine et qui ne l’est pas.

Y-a-t-il un engouement pour soutenir votre démarche?

Chaque doit savoir ce qu’il veut. Je crois savoir que beaucoup de Congolais ne sont informés sur notre démarche. Si nous commençons la vulgarisation de cette démarche comme nous le faisons maintenant, je suis convaincu que beaucoup vont rejoindre ce combat. Il nous incombe de sensibiliser ceux qui sont encore réticents. Lors de la conférence de presse que j’avais tenue au mois d’octobre, il y avait un Marocain dans la salle. Celui-ci m’a confié que les Marocains de l’étranger ont mené jadis le même combat. Ils ont fini par avoir gain de cause. Nous devons répandre l’information au plus grand nombre.

Après votre conférence précitée, il y a eu une autre qui a réuni des « Banyamulenge ». Comme vous le savez, on a vécu un débat houleux à l’Assemblée nationale au sujet du statut de la localité Minembwe. Y-a-t-il une relation entre les deux questions?

Je n’en sais rien. J’ai néanmoins constaté que depuis que nous avons lancé cette initiative, on assiste à une succession de débats qui vont dans le même sens. L’essentiel pour moi n’est pas d’avoir le leadership mais d’être une des personnes qui participent à ce combat. Mon souhait est que les personnes concernées se joignent à nous. Nous devons engager une analyse dépassionnée. En tant que juriste, je reste attacher aux textes. J’ai fait appel à des historiens. Nous en avons un. A Kinshasa, j’ai rencontré des gens pensent comme nous. Ce qui nous manque c’est le courage politique.

A Kinshasa, avez-vous eu l’impression que les gens sont réceptifs à la double nationalité où ils redoutent qu’on ouvre des brèches?

Pour moi, il n’ y a pas mieux que le moment présent. Nous devons nous départir de l’hypocrisie pour trouver une solution définitive à cette problématique. Je tiens à vous dire qu’il y a des Congolais qui ont déjà réalisé des études là-dessus. Il s’agit de savoir qui est qui. Ouvrant le congrès du MPR en 1981, le président Mobutu avait dit qu’au Zaïre on doit savoir qui est Zaïrois et qui ne l’est pas. Pour le moment, nous faisons la politique de l’autruche.

Lors de la signature de l’accord dialogue de Sun-City, il était prévu qu’on commence par le recensement de la population et le référendum. Dix-huit ans après, le recensement n’a toujours pas eu lieu. Selon vous, y a-t-il des pesanteurs qui empêchent ce recensement?

C’est un problème de volonté politique. Il n’y a aucun obstacle pour le recensement. Notre pays a connu deux cycles électoraux qui ont couté plus de deux milliards de dollars. Le recensement doit coûter beaucoup moins. Ceux qui ont dirigé le pays durant ces périodes n’ont rien voulu savoir. Ce n’est pas sérieux qu’on ne puisse savoir, dans un pays, qui est national et qui ne l’est pas. Nous vivons dans un pays où il n’y a pas de registre national. La carte nationale d’identité non plus. Ce n’est pas sérieux!

Deux années après l’investiture du président Felix Tshisekedi, avez-vous l’impression que lui et son équipe font bouger les choses?

J’accorde au président Felix Tshisekedi le bénéfice du doute. On sent qu’il y a une certaine volonté politique. Il ne faudrait pas se limiter à cette volonté. Il faut poser des actes. A titre d’exemple, l’Onip (Office national de l’identification de la population) est mis en place. Si d’ici 2023, on organisait les élections sans qu’il y ait eu au préalable un recensement de la population, nous serons en droit de conclure qu’il y a un problème. Je considère qu’on ne peut pas mettre la charrue avant les bœufs. Sous d’autres cieux, c’est à partir du recensement qu’on peut tirer le fichier électoral. Au lieu de clamer: élection! Election! Clamons plutôt: recensement! Recensement! Il va sans dire qu’on ne dépensera pas des sommes colossales. Lors du dernier recensement qui date de 1984, le président Mobutu avait mis en place une stratégie très simple. Les chefs des quartiers étaient munis de cahiers. C’est encore une question de volonté politique. Nous encourageons le Président de la République à peser de tout son poids pour que le recensement ait lieu. Et que le Congolais puisse disposer d’une carte nationale d’identité. Le pays pourra disposer d’un registre national. Ces réalisations apporteront une valeur ajoutée à son mandat.

Le Président de la République « consulte » en ce moment en vue de résoudre la crise actuelle. Que pourriez-vous lui dire?

Si le chef de l’Etat m’écoute, je peux lui dire qu’en six mois, il pourrait faire faire le recensement. C’est le temps qui a été consacré pour l’enrôlement. Nous avons déjà l’avantage de disposer d’un fichier électoral. Sauf erreur, je considère qu’on peut effectuer le recensement en six mois. Il y a moyen.

En votre qualité de coordonnateur des Congolais de l’étranger, pourquoi n’avez-vous pas saisi l’opportunité d’aller au pays pour exposer cette problématique en cette période des « consultations »?

Au nom de la Fédération des Congolais de l’étranger, j’ai adressé un mémo au chef de l’Etat pour lui dire qu’on ne peut pas négliger la force de la diaspora. On ne peut pas lancer des « consultations » avec une catégorie de personnes et ignorer la diaspora. C’est une grosse erreur. La diaspora congolaise représente 10% de la population congolaise soit plus ou moins dix millions d’âmes. Sur le plan économique et social, la diaspora est une force. La diaspora a des revendications à formuler. Ne pas écouter celles-ci est une discrimination qui ne se justifie pas. Nous avons vu des groupes des personnes qui ont été reçus. C’est une bonne chose. On peut convenir que la diaspora congolaise est multiforme. J’estime néanmoins qu’on aurait pu faire appel au groupe le plus représentatif, c’est-à-dire notre Fédération. On pouvait inviter même trois ou quatre groupes. Point n’est besoin de rappeler que la diaspora a toujours été là dans tous les combats au pays; Nous avons aujourd’hui à la tête du pays un chef de l’Etat qui a été durant plus de 30 ans membre de la diaspora.

Dans son allocution du 23 octobre, le président Tshisekedi a déclaré que la coalition Fcc-Cach ne fonctionne pas. Lors de votre séjour à Kinshasa, avez-vous eu le sentiment que le pays s’est embourbé dans l’immobilisme?

J’ai constaté que le pays était non seulement immobilisé mais aussi en régression. D’un côté, il y a la volonté d’avancer. De l’autre, la volonté de reculer. A mon point de vue, cette coalition est contre-nature. Soit on décide de réfléchir différemment, soit on la dissout. Depuis deux ans, la population souffre face au renchérissement des produits de consommation courante. La monnaie nationale ne cesse de perdre du terrain face au dollar. Aujourd’hui, on veut nous faire croire qu’on doit continuer avec la même coalition. Je dis: non! J’ai constaté que le pays est bloqué. Je ne peux qu’encourager le chef de l’Etat d’avoir pris cette initiative. Le Congo n’appartient pas au Fcc et au Cach. Le Congo appartient à tous ses citoyens. Nous appuyons ces consultations et espérons que les enseignements qui en découleront ne resteront pas lettre morte. On a déjà perdu deux ans. C’est beaucoup. Il ne reste plus que deux et demi pour dresser le bilan. Qui va porter la responsabilité de ce bilan?

Faisons un peu de politique fiction. Si vous étiez en face du chef de l’Etat à Kinshasa, quel « conseil » lui auriez-vous donné?

Je lui dirai d’abord de s’entourer des personnes capables de l’aider à atteindre ses objectifs. Je lui dirai ensuite de ne pas hésiter à prendre des mesures qui peuvent être impopulaires mais salutaires pour le pays. Je lui rappellerai qu’il a un bilan à défendre. Pour défendre ce bilan, vous devez tout faire pour réussir.

L’ancien président Joseph Kabila jouit des avantages et immunités découlant de la loi portant statut des anciens Présidents de la République élus. L’article 5 de ce texte l’astreint à une « obligation de réserve ». En jouant un rôle actif au sein du Fcc, Kabila ne viole-t-il pas cette disposition?

J’ai un double regard. Joseph Kabila a eu le courage de céder le pouvoir. Nous connaissons la situation de l’Afrique. Nous avons l’exemple de la Côte d’Ivoire…

Peut-on parler de « courage » après deux ans de « glissement »?

C’est une réalité. Il a cédé le pouvoir en retard mais il l’a fait. Personnellement, je considère que les émoluments attribués à l’ancien Président sont excessifs. Si j’étais à sa place, j’y renoncerais. C’est une question d’honnêteté et de décence. Maintenant, il est tenu à un devoir de réserve. Est-ce que ce devoir lui ôte le droit d’émettre des commentaires ou des avis sur la situation du pays? Aux Etats-Unis, n’a-t-on pas vu Barack Obama prendre part à la campagne électorale de Joe Biden? Si Kabila émet un commentaire qui va dans le sens du bien du pays, je ne vois aucun problème. Mais il ne doit pas donner des orientations.

Lorsque Kabila exhorte les parlementaires étiquetés Fcc à opter pour la « résistance » n’écorne-t-il pas cette obligation de réserve?

Dans ce cas, il s’agit d’une « orientation ».

Revenons à notre fiction. Qu’allez-vous conseiller au chef de l’Etat entre le « débauchage » pour former une nouvelle majorité et la dissolution du Parlement?

Les gens aiment bien parler de « débauchage ». C’est très irrespectueux. Chaque personne a sa conscience pour se déterminer. Le mot débauchage renvoie à l’idée de corruption. Personnellement, je suis contre toute idée consistant à « caporaliser » les gens. Les gens ne sont pas des moutons. Il faut laisser à chacun la possibilité d’exercer sa liberté de choix. Quand on aime le Congo, on ne peut que vouloir le bien du Congo. Aimons le Congo! Battons-nous pour le pays! L’amour du Congo doit nous inciter à mettre en sommeil nos égos.

 

Interview réalisée par
Cheik Fita (Infos en ligne des Congolais de l’étranger),
Pasteur Bobo Koyangba (MPBTV) et
Baudouin Amba Wetshi

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