Moïse Chokwe: « J’ai rejoint le M23 par dégoût du système kabiliste… »

Son patronyme n’est pas très connu. Ses paroles détonent. Juriste de formation, ancien député national (2006-2011) de la circonscription électorale de Sakania, dans la Province du Katanga, Moïse Chokwe Cembo a rejoint les rebelles du M23 dès le lendemain de la prise de la ville de Goma. Il est le premier natif de la Province du cuivre à bousculer l’ambiance unanimiste qui semblait régner au sein de la « majorité présidentielle ». Depuis décembre dernier, Chokwe fait partie de la délégation du M23 à Kampala, en Ouganda, où ont lieu les « négociation-évaluations » des accords du 23 mars 2009. Opportunisme? L’intéressé s’en défend. Candidat malheureux aux élections législatives du 28 novembre 2011, l’homme assure avoir « abandonné » son confortable poste de président du conseil d’administration (PCA) à l’Onatra (société nationale de transport fluvial) par « dégoût » du système qu’incarne « Joseph Kabila ». « C’est un mauvais système pour le pays. Le Congo doit être géré autrement! »

Dans une interview accordée au site www.congodrcnews.com, un média apparemment proche du M23, Moïse Chokwe Cembo dit tout le mal qu’il pense de « Joseph Kabila » et de son « système ». Un système qui brille par la « mégestion ». L’homme ne se contente pas lancer des affirmations. Il cite des faits à l’appui. Ses propos ne manquent pas d’intérêt.

Joint au téléphone au cours de la matinée de ce vendredi 8 février, par l’auteur de ces lignes, « Moïse » persiste et signe: « Je suis venu à Kampala non seulement pour soutenir les revendications du M23 mais surtout pour témoigner de la mauvaise gouvernance du pouvoir kabiliste ». Pour lui, c’est une aberration d’utiliser le vocable « force négative » à l’encontre du Mouvement du 23 mars qui est en réalité « un partenaire du gouvernement pour la restauration d’une paix durable au Congo-Kinshasa ».

« LE CONGO-KINSHASA DOIT ÊTRE GÉRÉ AUTREMENT »

Aurait-il claqué la porte du « système kabiliste », s’il avait été élu député national lors du scrutin du 28 novembre 2011? « Absolument, réagit-il. Ceux qui me connaissent ne peuvent en aucun cas mettre en doute mes propos. D’ailleurs, j’ai rejoint le M23 en décembre dernier alors que j’assumais les fonctions de PCA de l’Onatra. Mes émoluments mensuels oscillaient entre 10.000 et 15.000$US. J’ai abandonné tous ces privilèges en estimant que mon confort personnel ne suffit pas. Notre pays mérite mieux que le régime actuel. Le Congo doit être géré autrement ».

Pour Chokwe, les rebelles du M23 ont été bien inspirés en utilisant « le seul langage que le système Kabila comprend ». Comme pour expliciter sa pensée, il souligne que depuis la tenue des élections du 28 novembre 2011, « Joseph » a toujours opposé une fin de non-recevoir à toute idée de dialogue proposée par des représentants des forces politiques et sociales afin de mettre un terme à la crise politique née à la suite des fraudes et autres irrégularités ayant émaillé les résultats de l’élection présidentielle et des législatives. « Kabila n’a accepté de s’asseoir autour d’une table négociation à Kampala que lorsqu’il a eu en face de lui une force militaire du M23 », martèle-t-il. Pour lui, Daniel Mulunda Ngoy a une grande part de responsabilité en sa qualité de président de la Commission électorale nationale indépendante. « Il est l’organisateur des fraudes qu’on déplore ».

Il importe d’ouvrir une parenthèse. Réagissant aux résultats provisoires publiés, le vendredi 9 décembre 2011, par le président de la Ceni, annonçant la « victoire » de « Joseph Kabila » à l’élection présidentielle, le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya avait publié une déclaration estimant que « ces résultats ne sont pas conformes à la vérité ni à la justice ». Il ajoutait: « Comment, par exemple, comprendre que Monsieur Tshisekedi qui avait 5.927.728 voix sur 17.329.137 suffrages exprimés, ait le 9 décembre 5.863.745 voix sur 18.144.154 suffrages? Il perd par conséquent 64.000 voix alors qu’on venait d’ajouter 34.000 bureaux… Mais, puisque les résultats sont provisoires et doivent être confirmés par la Cour suprême de justice, nous demandons aux contestataires d’interjeter appel, de recourir aux voies de droit (…) « . On ferme la parenthèse.

« ARRÊTER LA MACHINE DE RECOMPTAGE DES VOIX A LA CSJ »

Cette prise de position de l’archevêque de Kinshasa avait suscité l’émoi dans les milieux kabilistes. Selon Chokwe, Daniel Mulunda aurait envoyé en catastrophe un « courriel » au « principal bénéficiaire de la fraude électorale » qui n’est autre que « Joseph Kabila ». Objet: demander à celui-ci de faire arrêter la machine de recomptage de voix au niveau de la Cour suprême de Justice (CSJ). A défaut, cette haute juridiction allait découvrir les pots aux roses. A savoir, que « le président Kabila avait perdu les élections ». Une réunion organisée à la ferme de Kingakati « autour du Chef » a eu à débattre de cet épineux sujet. Tous les « grands manitous katangais » étaient présents. « Je rends ce témoignage sous le contrôle de la conscience des notabilités katangaises et du président Kabila lui-même qui a eu, en son temps, à réprimander le pasteur Mulunda au sujet de ce courriel le mettant en garde contre la Cour suprême de justice ». On le sait, le 12 décembre, la Cour suprême confirmera la « victoire » du président sortant. Et ce avant même d’être en possession des procès-verbaux émanant des 63.000 bureaux de vote.

Quelle est la motivation profonde qui l’a incité à quitter le « système kabiliste »? Moïse Chokwe prend un ton qui n’admet pas de réplique: « En tant que Katangais proches des tenants du système kabiliste, j’ai été un témoin autant qu’un observateur privilégié des actes de mauvaise gestion du régime en place durant la dernière législature 2006-2011 ». Des exemples? « Les agents de Sodimico (Ndlr : Société de développement industriel et minière du Congo) accusaient à l’époque 123 mois de salaires impayés. Le ministre des Finances d’alors, Augustin Matata Ponyo, avait perçu pour le compte de cette entreprise publique la somme de 30.000.000$US de la société Fortunes au titre de pas-de-porte ». Selon Chokwe, le personnel de la Sodimico n’a pas été rémunéré. Les 30.000.000$US auraient disparu. Contacté à ce sujet, Matata aurait prétendu que cette rondelette somme était logée dans un compte à la Banque centrale du Congo. « Faux! », fait-il remarquer.

Aussi, décide-t-il d’interroger le ministre Matata dans le cadre formel d’une « question orale » lors d’une séance plénière de l’Assemblée nationale. Au grand dam de la mouvance présidentielle. Chokwe de préciser: « C’est en ce moment là que j’ai reçu des menaces provenant de la Présidence de la République en ces termes: ta question orale ne passera pas, le boss (entendez : Kabila) a utilisé cet argent. Qui es-tu pour prétendre aimer la population de Sakania plus que le boss? D’ailleurs, on fera tout pour que tu ne passes pas aux prochaines consultations politiques comme député de Sakania ». Pour la petite histoire, sous la législature précédente, aucun parlementaire de la « majoritaire présidentielle » ne pouvait poser un acte… parlementaire sans le « go ahead » d’Augustin Katumba Mwanke. Moïse Chokwe croit dur comme fer que « ces menaces ont été bien exécutées aux élections du 28 novembre 2011 ». D’où sa « défaite » aux dernières législatives.

« JOSEPH KABILA DOIT DÉGAGER »

Concluant cet entretien téléphonique, « Moïse » de lancer: « Même si j’avais été élu député lors des législatives du 28 novembre 2011, j’aurai pu rejoindre le M23. Le motif est simple: en tant qu’élu du peuple, j’éprouvais du dégoût à l’égard du régime en place. D’ailleurs la société ‘Fortunes’ appartient à un ami du Chef. Ceux qui se sentaient menacés par mon initiative en tant que membre de la représentation nationale se sont organisés pour m’empêcher de retrouver mon siège de député national ». Pour lui, au regard de son vécu, il ne fait l’ombre d’un doute que « le Congo est malade de la gouvernance kabiliste ». Il lance, au passage, « un appel patriotique aux derniers irréductibles kabilistes de se ressaisir » et d’exhorter « Joseph Kabila » à « se retirer du pouvoir avant qu’il ne soit trop tard » tant pour lui-même que pour ses proches. Après avoir fustigé l’incapacité de l’actuel locataire du Palais de la nation à doter le Congo-Kinshasa d’une armée capable de défendre le territoire national – en dépit des douze années à la tête de l’Etat et « des ponctions opérées sur le trésor public et des pas-de-porte perçus sur la vente des concessions minières de la Gécamines » -, Moïse Chokwe de relever que, pendant ce temps, « des immeubles et des quartiers tout entier sont érigés au pays et à l’étranger avec l’argent du vol ». Sans oublier, « des fermes luxueuses qui poussent comme des champignons servant plus des lieux de loisir que de production ». Et de conclure: « Joseph Kabila n’a rien fait pour les Katangais. Le moment est venu pour lui de dégager ».

 

Baudouin Amba Wetshi

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