Nationalité congolaise d’origine: coup de génie ou ineptie?

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Qu’il me soit permis dans ce papier de revenir sur une longue citation de chryso45. Je ne sais pas s’il s’agit du même Chryso que j’ai connu à Bruxelles. Qu’importe! Son intervention, réaction à mon article intitulé ‘L’occupation du Congo-Kinshasa’ (Congo Indépendant, 19 mars 2020), mérite un temps d’arrêt. L’auteur écrit: « Le Congo-Kinshasa est sous occupation. Et les occupants tutsis rwandais, sous la supervision de leurs tuteurs occidentaux qui en tirent des dividendes, ont élaboré et imposé aux Congolais une ‘Constitution’ taillée sur mesure de l’imposteur rwandais, Hippolyte Kanambe alias ‘Joseph Kabila’. Afin de tromper la vigilance du peuple congolais et accommoder ces occupants tutsis rwandais, dont le leader Paul Kagame est assis sur son trône à Kigali et manifeste ses velléités expansionnistes, la notion de ‘tribu’ qui caractérise la nationalité d’origine depuis l’accession du Congo-Kinshasa à l’indépendance sera remplacée par celle des ‘groupes ethniques’ pour ainsi lire à l’alinéa 3 de l’article 10 de cette charte du pouvoir d’occupation – reconnue, à tort, comme la ‘Constitution’ de la ‘République Démocratique du Congo’ – ‘Est Congolais d’origine, toute personne appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République Démocratique du Congo) à l’indépendance’, ignorant également délibérément trois dates importantes, à savoir le 18 octobre 1908, le 15 novembre 1908 et le 1er août 1885 respectivement retenues précédemment dans la Constitution de Luluabourg et les deux lois (l’ancienne et la nouvelle) sur la nationalité durant la IIe République comme références historiques pour la configuration ethnographique du Congo-Kinshasa ».

D’entrée de jeu, cette citation renvoie à la fâcheuse tendance que nous avons, nous Congolais, à rechercher des boucs émissaires comme responsables de la gestion calamiteuse de notre Etat. Rarement nous mettons le doigt sur nos propres errements. A titre d’exemple, quand se déroulait le dialogue Inter-Congolais qui a donné lieu à l’Accord de Sun-City signé le 19 avril 2002, une voix s’était élevée au sein même de la famille biologique de Laurent-Désiré Kabila pour crier haut et fort que Joseph Kabila était un usurpateur. Avait-on vu un seul dirigeant occidental ou tutsi rwandais pointer son revolver sur la tempe de chaque participant, le forçant à poursuivre les travaux plutôt que de les suspendre afin de ne se pencher sur cette information troublante? Non. Il en est de même de la Constitution congolaise que chryso45 qualifie de ‘charte du pouvoir d’occupation’. Rien n’empêchait les dirigeants congolais de refuser qu’elle soit rédigée à Liège en Belgique plutôt que sur place au pays. Lors du référendum, il n’était interdit à aucun parti politique de la combattre pour cette raison ou celle liée à la nouvelle définition de la nationalité congolaise. Depuis l’entrée en vigueur de cette Constitution, aucune formation ou coalition politique n’est allée en guerre contre cette définition. Pourtant, la liberté d’expression est une réalité dont on use et abuse sous le régime de Joseph Kabila. En quoi une telle Constitution serait-elle imposée aux Congolais?

Par ailleurs, que la nouvelle Constitution ait choisi les mots ‘groupes ethniques’ à la place du mot ‘tribu’, cela change-t-il quoi que ce soit qui mériterait qu’elle soit considérée comme une ‘charte du pouvoir d’occupation’? Les mots ‘groupes ethniques’ ont-ils ajouté une autre composante dans le tissu social congolais qui n’existerait pas si on avait maintenu le mot ‘tribu’? Si oui, laquelle et de quelle manière? Souligner un tel fait présente quel intérêt quand on sait en plus que les termes ‘ethnie’ et ‘tribu’ ont des sens assez proches et sont parfois utilisés sans trop savoir à quoi ils se réfèrent exactement?

Admettons maintenant qu’il mérite la peine d’être mené, le combat de chryso45 pour une définition de la nationalité congolaise se référant à la ‘tribu’ plutôt qu’au ‘groupe ethnique’. Tel est le cas de la Constitution de Luluabourg de 1964 à laquelle il fait justement référence. L’article 6 définit le Congolais d’origine comme « toute personne dont un des ascendants est ou a été membre d’une tribu ou d’une partie de tribu établie sur le territoire du Congo avant le 18 octobre 1908 », date du passage de l’Etat Indépendant du Congo (propriété personnelle du roi Léopold II) au Congo Belge. On sait que plusieurs tribus ou ethnies congolaises sont à cheval sur les frontières du pays. Deux cas pour illustrer cette réalité connue de tous: les Zande, au Nord-Est, et les Bakongo, au Sud-Ouest. Au sein de la première entité, certains citoyens sont des sujets congolais, d’autres sud-soudanais et d’autres encore centrafricains, sans compter les nombreuses nationalités acquises par des Zande de la diaspora. Il en est de même des Bakongo qui sont des citoyens congolais soit du Congo-Kinshasa, soit du Congo-Brazzaville ou encore des sujets angolais, toujours sans tenir compte de multiples nationalités que des Bakongo de la diaspora ont pu acquérir. Dans une même famille biologique et nucléaire Zande ou Bakongo, on peut trouver plusieurs nationalités différentes. Ceci est vrai pour l’écrasante majorité des tribus ou ethnies situées aux frontières du pays. A la lumière de cette réalité, la définition de la nationalité congolaise d’origine est-elle pertinente? Si oui, un Lunda de nationalité zambienne ou angolaise, par exemple, n’est-il pas un citoyen congolais selon cette définition? Pourtant, il ne l’est pas. Quand il est Zambien ou Angolais, il n’est pas Congolais.

Même si la définition ci-dessus était pertinente, de quels moyens dispose l’Etat congolais pour l’authentifier si jamais un homme ou une femme se présentait à l’Etat civil pour obtenir un passeport congolais? En 2013, après 22 années d’absence au pays, j’avais foulé le sol de nos ancêtres à partir d’un poste frontalier pour être refoulé aussitôt parce que je ne disposais pas de la carte d’électeur alors que j’étais détenteur d’une carte consulaire délivrée par notre ambassade dans le pays voisin. A l’époque, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) n’avait pas encore doté la Direction générale des migrations (DGM) locale d’un bâtiment. Ses agents travaillaient sous un manguier. Je voyageais en compagnie d’une fille dont les parents étaient des Congolais mais qui avaient acquis la nationalité du pays voisin qu’ils avaient transmise à leurs enfants. Mais la fille s’était fait enregistrer comme Congolaise lors des élections de 2011. Elle avait sa carte d’électrice. Sous son bureau-manguier, l’agent de la DGM lui avait demandé de décliner les noms de son secteur, territoire, province et ethnie. Elle ne connaissait que le nom de la province d’où étaient partis ses parents: le Bas-Congo. Face à son hésitation, je lui avais dicté des noms relevant de l’administration territoriale et de l’ethnographie de la province de Bandundu. L’agent les avait notés dans son registre et la fille pouvait entrer sur le territoire congolais. Ce qui n’empêchera qu’on rebrousse chemin ensemble pour aller passer le congé à Douala au Cameroun puisque j’avais été refoulé.

Quelle leçon tirée de la mésaventure ci-dessus? On peut mettre à la disposition des fonctionnaires de la DGM ou des officiers d’Etat civil les noms de tous les secteurs ou chefferies, territoires, provinces et ethnies. Mais sous les administrations Mobutu et des deux Kabila comme aujourd’hui, ces employés n’ont jamais été outillés pour vérifier les déclarations des personnes remplissant les formulaires en face d’eux pour l’obtention du passeport, l’entrée sur le territoire national ou tout autre besoin. Si depuis l’indépendance le Congo-Kinshasa est incapable de faire ce qui est possible, c’est-à-dire se doter d’un fichier d’Etat civil comme d’autres Etats modernes, que dire de la vérification de la nationalité d’origine qui se référerait à « un des ascendants […] membre d’une tribu ou d’une partie de tribu établie sur le territoire du Congo avant le 18 octobre 1908 »? Une telle définition de la nationalité d’origine constitue-t-elle un coup de génie auquel il faut s’accrocher ou une ineptie?

La nationalité est une notion juridique même quand elle est d’origine. L’attacher à au moins un ascendant qui aurait été membre d’une tribu ou d’une partie de tribu établie sur le territoire du Congo avant 1885 ou 1908 est une aberration. D’abord parce qu’une telle définition ouvre la porte à tous les voisins africains dont les tribus se situent à cheval sur les frontières. Ensuite parce que le Congo-Kinshasa, qui ne dispose pas d’un fichier d’Etat civil digne de ce nom depuis son indépendance, n’a aucun moyen de remonter à un quelconque ascendant qui serait Congolais en 1908 ou 1885. A cet égard, est Congolais d’origine tout personne se réclamant ou voulant se réclamer de cette nationalité avec les ‘évidences’ à sa disposition. Libre à l’Etat de lui démontrer le contraire avec des preuves à l’appui; ce qui n’est pas sorcier. Car de nos jours, il existe aux frontières du Congo-Kinshasa un petit Etat disposant d’un fichier d’Etat civil informatisé. Comme dans tout Etat moderne.

NB: Dans un prochain article, je vais traiter de la perception de l’autre comme étranger, en partant une fois de plus d’une démonstration intéressante de chryso45 à laquelle je n’ai pas encore réagi. J’espère que mes ancêtres seront suffisamment puissants pour que le ‘Kuluna-virus’ (dixit Koffi Olomide) ne m’emporte pas d’ici-là.

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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