Nord Kivu: Crise de confiance entre les FARDC et la population de Beni

Depuis le mois d’octobre 2014, les habitants du Territoire de Beni, au Nord-Kivu, ne cessent de compter leurs morts. Et ce après chaque attaque des prétendus et insaisissables rebelles ougandais des « ADF ». Près de deux mille citoyens ont été tués à ce jour. Les assassins courent toujours. Impuissante face aux « ADF », l’armée montre ses biceps face aux étudiants. On a appris, jeudi 15 août, l’arrestation du président de la coordination inter-estudiantine du Territoire de Beni. Il lui est reproché d’avoir « tenté » de « rassembler » des étudiants pour suivre une « formation militaire » pour affronter les fameux « rebelles ougandais ». En réalité, il y a une ambiance de ras-le-bol dans cette partie du pays. Les citoyens sont désillusionnés par les « promesses » des autorités. Des promesses non-suivies d’effets. Ils n’ont plus confiance en l’armée de leur pays.

La défense du territoire fait partie des fonctions fondamentales d’un Etat.  L’Etat tire sa légitimité notamment de son efficacité à garantir une existence paisible à sa population.

Depuis le mois d’octobre 2014 à ce jour, les habitants du Territoire de Beni sont devenus des adeptes de « Saint Thomas ». Ils ne croient plus aux promesses faites jadis par l’ex-président « Joseph Kabila ». Encore moins, à celles faites en avril dernier par son successeur Felix Tshisekedi Tshilombo. Ce dernier avait promis de remplacer les militaires qui sont en place depuis longtemps par des « nouvelles unités afin d’en finir une fois pour toute avec les ADF ».

Près de quatre mois après la visite du président « Fatshi » à Beni, les natifs de cette partie du pays ont commencé à douter de l’autorité des pouvoirs publics. Aussi, ont-ils décidés de « se prendre en charge ».

Mercredi 15 août, on apprenait l’arrestation, au Stade Kalinda, de Clovis Mutsuva, un activiste de la LUCHA (Lutte pour le changement). L’homme serait également le président de la coordination inter-estudiantine de la région de Beni.

D’après une dépêche de l’APA, il est reproché à « Clovis » d’avoir « tenté de rassembler les étudiants et autres jeunes » au Stade précité afin de suivre une « formation militaire » pour affronter les ADF. Mutsuva et ses camarades considèrent qu’il est temps d’agir. Selon eux, « personne ne viendra sauver notre région de Beni à part nous ».

L’interpellation de Clovis Mutsuva a suscité mercredi l’ire des jeunes de la ville de Beni. Ceux-ci l’ont savoir en brûlant des pneus. Plusieurs boutiques et magasins avaient baissé les volets.

Général Edmond Ilunga Mpeko

Comme pour justifier cette arrestation opérée par la police, le général Edmond Ilunga Mpeko, commandant de la 34ème Région militaire est sortie de son silence. Dans un communiqué daté du 15 août 2019, l’officier a rappelé, sans rire, que « seules les forces armées ont reçu mission de défendre les frontières (…), de protéger les populations et leurs biens (…)« . Il a rappelé également l’article 190 de la Constitution qui est sans équivoque: « Nul ne peut, sous peine de haute trahison, organiser des formations militaires, paramilitaires ou des milices privées, ni entretenir une jeune armée ».  Et pourtant, les véritables milices sont parmi nous.

CRISE DE CONFIANCE ENTRE L’ARMÉE ET LA POPULATION

Le général Edmond Ilunga – qui semble refuser de voir le fond du problème, à savoir que l’armée nationale n’inspire plus confiance aux citoyens pour défendre les frontières – estime que les « jeunes désireux » de servir dans l’armée doivent suivre le « processus normal ».

Pour lui, « tout mouvement de jeunesse armée, toute milice armée sera considéré comme une force négative et traitée comme telle ». Ce général a du boulot dans ce pays où chaque parti politique possède sa « jeunesse ». Au lieu de chercher la cause du problème, cet officier préfère la facilité en s’attaquant, tel un robot, aux effets.

Aucun Congolais digne de ce nom ne peut encourager des jeunes concitoyens à se constituer en milice. Peu importe la noblesse de la cause à défendre.

Quel est le problème? Depuis l’avènement de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre), le 17 mai 1997, l’ex-Zaïre, rebaptisé République démocratique du Congo, a été dirigé jusqu’au 24 janvier 2019 par des anciens miliciens ou chefs miliciens. Ceux-ci n’ont guère brillé par leur exemplarité.

Sous prétexte de contrer les combattants pro-rwandais du RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie) dont la progression menaçait Lubumbashi en 1999, le président Laurent-Désiré Kabila a eu la « fausse bonne idée » de distribuer des armées, sans discernement ni suivi, à des jeunes désœuvrés du Katanga. C’est la naissance des fameuses « forces d’autodéfense populaires ». L’ex-chef milicien Kyungu Mutanga, alias « Gédéon » constitue un des avatars de ce phénomène.

Succédant à LD Kabila le 26 janvier 2001, « Joseph Kabila » s’est empressé, dans son allocution d’investiture, de rendre un hommage appuyé notamment aux « forces d’autodéfense populaires ». Aux milices. Dans une interview accordée au quotidien bruxellois « Le Soir », le nouveau Président d’avouer qu’il a vécu dans les « maquis de Ruwenzori ».

Des sources suspectent « Joseph » d’avoir fait connaissance, à cette occasion, avec un certain Jamil Mukulu, présenté comme étant le leader des rebelles ougandais des « ADF ».

LIBÉRER CLOVIS MUTSUVA

Durant sa présence à la tête de l’Etat, « Kabila » admirait le despote burundais Pierre Nkurunziza et sa milice, les tristement célèbres « Imbonerakure ». A la surprise générale, on a vu des membres de la « Jeunesse » du parti de « Kabila » – dont certains ont la quarantaine révolue – partir « en stage de formation » au Burundi. Les « jeunes du PPRD » sont reconnaissables par leurs bérets rouges.

Le 25 juillet 2018, soit cinq mois avant les élections du 30 décembre, ces « jeunes » inciviques, dirigés par un certain Papy Pungu, ont désigné « Joseph Kabila » – l’homme qui a pris par deux fois l’engagement solennel de défendre et de veiller au respect de la Constitution – comme leur candidat à l’élection présidentielle en dépit du fait que le deuxième et dernier mandat de leur « idole » avait expiré depuis le 19 décembre 2016. L’annonce a été faite à dessein. Aucune voix ne s’est élevée pour rappeler à ces « jeunes » le respect du prescrit constitutionnel.

La veille de l’élection du Président du Sénat, fin juillet dernier, les Kinois ont vu surgir d’autres « bérets rouges » avec à leur tête un certain Henri Magie wa Lifetu. Mercredi 14 août, ce dernier apparaissait sur Twitter en train d’échanger une poignée de mains avec l’ex-président « Kabila ». Aux dernières nouvelles, le fameux « Magie » serait le président d’une milice dénommée « Jeunesse populaire gardienne de la révolution du 17 mai ». En clair, le Congo-Kinshasa a été dirigé du 26 janvier 2001 au 24 janvier 2019 par un chef milicien, déguisé en chef d’Etat.

On espère qu’à la force brutale ainsi qu’aux méthodes dignes de voyous de son prédécesseur, Felix Tshisekedi Tshilombo optera pour l’écoute et le dialogue. S’en prendre à des étudiants dont l’acte constitue, en réalité, une dénonciation de l’inefficacité des pouvoirs publics revient à s’attaquer aux effets en laissant la cause. Une cause à rechercher dans ce qui ressemble bien à une crise de confiance entre la population de Beni et la force publique. Et pourquoi pas le personnel politique? L’activiste Clovis Mutsuva doit être relâché.

 

Baudouin Amba Wetshi

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