Okende: « La crise actuelle résulte du refus du président Kabila de favoriser l’alternance »

Ex-coordonnateur de la « cellule des communicateurs » de la majorité, Cherubin Okende Senga se définit désormais comme un « centriste ». Rien à voir avec le groupement que dirige l’ex-MLC et ministre de l’Industrie Germain Kambinga. Président du Front social des indépendants républicains, « Cherubin » prépare une thèse de doctorat à la faculté de droit de l’université de Kinshasa. En séjour en Belgique dans le cadre de ses recherches académiques, il a répondu à quelques questions de Congo Indépendant. Thème: situation générale au Congo-Kinshasa et perspectives d’avenir.

Le 23 juin dernier, les évêques de la Cenco (Conférence épiscopale nationale du Congo) ont publié leur message intitulé « Le pays va très mal ». Partagez-vous ce constat?

Absolument! Le pays va effectivement très mal. L’Accord de la Saint Sylvestre sur lequel reposait l’espérance du peuple congolais à une alternance démocratique n’a pas été correctement mis en œuvre. Nous vivons aujourd’hui les affres de la mauvaise foi de la majorité présidentielle. En juin, le pays allait très mal. Au moment où nous parlons, ce même pays vogue dans des incertitudes inconsidérées.

Vous dites que l’Accord n’a pas été bien mis en œuvre. La mouvance kabiliste soutient le contraire en invoquant la désignation d’un membre du Rassemblement à la tête du gouvernement et d’un autre au CNSA (Conseil national du suivi de l’Accord)…

La mauvaise foi du pouvoir a déjà été éprouvée. Il faut resituer le nœud de la crise. Le nœud de la crise se situe au niveau du président Joseph Kabila qui refuse de favoriser l’alternance au sommet de l’Etat étant donné qu’il est arrivé à la fin de son second et dernier mandat. Nous savons tous pertinemment bien les conditions dans lesquelles Bruno Tshibala a pu accéder à la primature. Vous le savez autant que moi que c’est le Rassemblement qui devait présenter le futur Premier ministre. Par mauvaise foi, la MP a exigé qu’on présente plutôt une liste de candidats à ce poste. La politique du débauchage a fait en sorte que l’ancien secrétaire général adjoint de l’UDPS soit « nominé ». Nous avions, en son temps, exhorté Bruno Tshibala de ne pas occuper ce poste. Nous savions qu’il n’allait pas exercer les prérogatives d’un véritable chef du gouvernement

Est-ce le cas?

Tout à fait! Les faits sont en train de nous donner totalement raison. Le pouvoir prétend que l’accord est correctement appliqué. S’il en était ainsi, le peuple congolais attend aller aux urnes avant le 31 décembre prochain. Nous ne voulons plus de tergiversations et autres manœuvres dilatoires.

Au cours d’un point de presse qu’il a co-animé le 26 septembre à Bruxelles, le président de la Cenco a déploré l’inexistence de l’opposition. Selon lui, « on entend plus qu’un seul son de cloche ». Est-ce votre avis?

Il faut dire que dans son ancienne configuration, l’opposition a déçu. Elle s’est fragilisée. Certains opposants se sont auto-phagocytés de la lutte pour l’alternance. Mgr Utembi n’a pas tort. Il revient à l’opinion congolaise de juger chaque opérateur politique par rapport à ses actes.

Le président de la Cenco a dit également que les évêques catholiques sont inquiets de l’approche de la date du 31 décembre. Selon vous, que va-t-il se passer étant donné que les élections ne seront pas organisées avant cette date?

Depuis longtemps, nous avons demandé au président Joseph Kabila de tirer des leçons de sa gestion au sommet de l’Etat. Il n’y a pas de honte à démissionner. Bien au contraire. C’est une preuve de courage politique. La Constitution reconnait à un Président de la République la prérogative de pouvoir démissionner. En voyant l’état de délitement généralisé de notre Etat, il aurait été sage pour le président Kabila de démissionner avant qu’on arrive à la date du 31 décembre. Et ce d’autant plus qu’il a lui-même malmené l’Accord qui lui a accordé la légitimité après l’expiration de son second et dernier mandat. Il est temps qu’il entende raison. A défaut, on demandera au peuple de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou l’exerce en violation de la Constitution. Aujourd’hui, le pouvoir est illégitime et le peuple souverain a la capacité de récupérer son pouvoir.

Les manifestations organisées le 19 septembre et le 19 décembre 2016 ont été réprimées violemment. Bilan: une soixantaine de morts. Ne pensez-vous qu’en « Kabila » allant présider des cérémonies de clôture de formation des « bataillons spéciaux » et autres « forces de réaction rapide » à Kitona, Kamina et Likasi, « Kabila » envoie un « message » à ses adversaires?

Je m’incline devant la mémoire des compatriotes qui ont perdu la vie sur le champ de la démocratie. Je ne peux m’empêcher de féliciter leur bravoure car ils nous ont permis de prouver à la face du monde que le pouvoir de Joseph Kabila est en train s’incruster dans des atavismes dictatoriaux. Aucun Congolais n’éprouve le besoin de voir une nouvelle dictature s’installer à la tête de ce pays aux potentialités immenses et dont la population est paupérisée. On assiste à la tentative de restauration d’une nouvelle dictature plus féroce que celle du maréchal Mobutu. C’est pour cette raison que nous appelons la communauté internationale à ne pas commettre le « crime » de non-assistance à peuple en danger

Faut-il un « troisième dialogue »?

Non, pas du tout! Au Front République des Centristes, nous sommes totalement opposés à une telle éventualité. La raison simple: entre de bonnes gens, il y a le principe de la bonne foi. Autrement dit, la loyauté contractuelle. Lorsqu’un partenaire ne respecte pas sa parole, il ne sert à rien de s’y engager. Le peuple congolais doit empêcher Joseph Kabila de mettre en œuvre sa volonté de tripatouiller la Constitution pour revenir au pouvoir. La démocratie ne s’octroie pas. Elle s’arrache.

Que pensez-vous de ceux évoquent l’idée d’une « transition sans Kabila » en cas de non-tenue de l’élection présidentielle avant le 31 décembre prochain?

Nous soutenons cette idée pour la simple raison que les mêmes causes risquent d’engendrer les mêmes effets. Joseph Kabila constitue aujourd’hui le problème central de la crise que traverse notre pays. Si le peuple congolais décide qu’on puisse avoir une très courte transition sans le président sortant afin qu’on organise des élections libres, transparentes et donc réellement démocratique est une bonne chose. En instrumentalisant la Cour constitutionnelle et la Commission électorale nationale indépendante (CENI), le président Joseph Kabila est en train de préparer la fraude électorale et à des contestations pour qu’on continue de tuer les Congolais. Trop c’est trop! Voilà pourquoi, il importe d’envisager une transition sans le président Kabila. Les règles du jeu seront déterminées.

Vous êtes juriste de formation. Par quel mécanisme pourrait-on mettre en place cette « transition »?

La Constitution congolaise donne la réponse à cette question. Il est reconnu au peuple congolais le droit de faire échec à tout individu qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions constitutionnelles. Aujourd’hui, le président Joseph Kabila exerce le pouvoir en violation non seulement de la Charte fondamentale du pays mais aussi de son propre serment. Il n’a jamais fait le moindre effort pour assurer, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des institutions. L’article 73 de la Constitution dispose que le scrutin de l’élection du Président de la République doit être convoqué 90 jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice. Le phénomène du « glissement » procède de la recherche du positionnement et des intérêts personnels. Dans son serment prononcé le 20 décembre 2011, le président Joseph Kabila a pris notamment l’engagement solennel de ne se laisser guider que par l’intérêt général

Qu’en est-il des rapports de force?

Si nous étions loyaux vis-à-vis de notre ordre constitutionnel, nous devrions prendre la résolution de condamner un homme détourne la force publique de ses missions pour étouffer l’expression démocratique. S’agissant des rapports de force, il appartient au peuple congolais de prouver que c’est lui qui est le souverain.

Des journaux pro-kabilistes suspectent des évêques de la Cenco (Conférence épiscopale nationale du Congo) qui viennent d’effectuer une tournée à l’étranger de préparer un « schéma insurrectionnel ». Votre réaction?

Les évêques de la Cenco n’ont pas besoin de l’étranger pour sensibiliser le peuple congolais. On semble qu’en octobre 2016, le président Joseph Kabila avait sollicité les bons offices des évêques pour sortir de la crise politique. Il est malvenu de commencer à diaboliser les évêques. Le peuple congolais lui-même est conscient que nous allons vers des dérives insupportables. Ce peuple est résolu de se prendre en charge. Il ne faut imputer cette responsabilité aux évêques.

Au lendemain de la nomination de Bruno Tshibala au poste de Premier ministre, Abbé Donatien Nshole a déclaré que « c’est une entorse à l’accord ». Certains kabilistes ont conclu que l’Eglise catholique a choisi son « camp ». Est-ce votre avis?

Nullement! D’ailleurs, au Front, nous avons écrit à Tshibala pour lui demander de ne pas accepter ce poste. Comme je l’ai dit précédemment, nous savions qu’il ne sera qu’un figurant. C’est à cause de cette entorse que nous avons pris cette résolution. La réalité est là: Bruno Tshibala est devenu une simple caisse de résonance de la majorité présidentielle. On ne doit pas déplacer le problème: le président Joseph Kabila qui est arrivé à la fin de son second et dernier mandat ne veut pas libérer la démocratie. Nous avons, en tant que Congolais, conclu un pacte républicain qui exige que nous puissions non pas déifier et sacraliser les individus mais que nous puissions exalter l’Etat de droit et la République.

Nous sommes le 31 décembre 2017 et l’élection présidentielle n’a pas eu lieu. Que va-t-il se passer, selon vous?

Je ne suis pas un devin. Une chose est sûre: la patience du peuple congolais est à bout. Je n’ai pas le sentiment que ce peuple va indéfiniment courber l’échine devant l’imposture. Aujourd’hui, le pays est par terre. Rien ne marche. Il y a de remous sociaux un peu partout. Bruno Tshibala a même eu la mauvaise inspiration de promettre aux fonctionnaires de leur accorder une augmentation salariale d’un montant de 20.000 Franc congolais soit l’équivalent de 10 dollars américain. La promesse n’a pas été tenue. Le pays va mal sur le plan politique, social, économique, sécuritaire etc.

Que répondez-vous à ceux qui redoutent que l’histoire se répète comme en octobre 1996 avec l’irruption, d’un « troisième larron » nommé « AFDL »?

Je ne le souhaite pas. Nous risquons d’assister à l’arrivée au pouvoir d’un « conglomérat d’opportunistes » comme l’AFDL sous les bottes des Rwandais et des Ougandais. Le peuple congolais ne doit pas se résigner dans le combat pour la démocratie et l’Etat de droit. Dans le cas contraire, il n’aura plus que ses yeux pour pleurer.

Des Kinois ont été surpris un matin de découvrir des banderoles plaidant en faveur du référendum constitutionnel. Qu’en pense le juriste?

Je l’ai dit précédemment que le nœud de la crise actuelle réside dans la volonté du président Joseph Kabila de rempiler. Or pour atteindre cet objectif, il doit attenter à l’article 220 de la Constitution qui est une disposition intangible. Seul un référendum pourrait autoriser, le cas échéant, un changement de Constitution. Aucun Congolais digne de ce nom n’est prêt à cautionner cette fraude à la Constitution. D’ailleurs, la carte d’électeur est délivré pour l’élection présidentielle, les législatives, les provinciales etc. Il n’est pas fait mention d’un quelconque référendum

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi
© Congoindépendant 2003-2017

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