Où est la stratégie de changement de mentalité?

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Les longues années de dictature sous Mobutu Sese Seko ont entrainé une grande inversion des valeurs surtout dans le domaine de la morale politique. L’administration de Joseph Kabila Kabange a porté et continue à porter cette inversion à son paroxysme. Le cas le plus frappant restera sans doute la répression sanglante des marches pacifiques organisées le 31 décembre 2017 et le 21 janvier dernier par le Comité Laïc de Coordination. Alors que les marches pacifiques sont un droit reconnu par la Constitution, Joseph Kabila et ses thuriféraires, loin de blâmer les policiers et soldats responsables de la répression, en ont rejeté le plus naturellement et publiquement la responsabilité sur les organisateurs. Ainsi va la politique au Congo-Kinshasa. Depuis Mobutu, la loi de la force prime sur la force de la loi. L’anormal est devenu normal et le normal synonyme de ridicule. L’environnement politique reflète parfaitement une citation célèbre de Jean de La Fontaine, qui renvoie pourtant à une époque lointaine de la société européenne: « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».

Il faut que cela change. Il faut remettre les choses à leur place. Il faut que la force de la loi prime sur la loi de la force. Il faut que la justice soit la même pour tous. Bref, il faut que la démocratie et la bonne gouvernance, tant espérées depuis l’indépendance, s’enracinent enfin dans le sol congolais. Tout le monde est d’accord à ce sujet. Même ceux qui participent au festin du pouvoir et qui peuvent à tout moment tomber en disgrâce. Comme certains Mobutistes et Kabilistes d’hier. Oui, il faut que cela change. Mais comment procéder concrètement?

Aujourd’hui, tous les partis politiques militent pour l’organisation de prochaines élections. Les partis de la majorité présidentielle envisagent de les tripatouiller afin de rester au pouvoir. Ceux de l’opposition souhaitent assainir la voie qui mène aux élections dans l’espoir de les gagner. Comme la majorité silencieuse de la population, les opposants de l’heure restent convaincus que le régime Kabila ne peut amorcer le changement tant attendu. Ils s’imaginent ou espèrent que le changement d’homme au sommet de l’Etat permettrait une telle amorce. Aucun parti n’a donc fait du changement de mentalité son cheval de bataille. Par contre, le forum « Opinion & débat » du journal en ligne Congo Indépendant voit défiler de nombreux chevaliers du changement de mentalité. Accordons la parole à l’un d’entre eux pour voir comment il compte s’y prendre.

« N’importe qui prend la peine de s’informer sur la révolution culturelle chinoise, la mieux connue de ce genre, apprendra vite que ce n’était pas là une construction abstraite mais des mesures bien concrètes qu’une direction politique a prises à un moment et qui ont transformé progressivement les mœurs politiques et intellectuelles des Chinois ». Ainsi parla Nono. Notons tout de suite sur quoi il insiste. « Des mesures bien concrètes », opposées à « une construction abstraire ». Notons également qu’il nous met aussitôt en garde et cela avec raison: « Nous n’en demandons pas autant. [La Chine], c’est une culture différente et ce fut dans des circonstances précises, et surtout ce fut si cruel et si totalitaire ». Que faut-il faire alors pour que les Congolais changent de mentalité afin que la démocratie et la bonne gouvernance deviennent des réalités palpables? « Nous croyons bien qu’un projet de société, un programme de gouvernement bien charpentés, ambitieux et totaux (couvrant tous les domaines) sont à la portée de nos politiques, encore faut-il que cela surgisse comme tels de leurs cerveaux ». C’est toujours Nono qui parle au peuple. Notons que le chevalier du changement de mentalité qu’il est attend des politiciens qui ne le sont pas ou qui ne se présentent pas comme tels d’élaborer une stratégie qui conduirait à un tel changement. Il y a déjà quelque chose qui ne tourne pas rond à ce niveau. Car, on ne peut pas attendre de quelqu’un qui ne voit pas la nécessité du changement de mentalité de baliser le chemin qui y conduit. Cette tâche revient plutôt à Nono et aux autres apôtres du changement de mentalité.

Tout en démissionnant de ses propres responsabilités, Nono constate que nos hommes politiques n’inscrivent pas (encore) leur action dans le sens du changement de mentalité. Il se demande alors pourquoi, puis il note qu’il y a un préalable à tout cela: « Une seule chose, avant ou en même temps que les contenus de nouveaux modèles, il nous faut créer les conditions, une pédagogie vers un moment fondateur ». Alors qu’il a insisté sur les mesures concrètes des dirigeants chinois à l’origine de la révolution culturelle ou du changement de mentalité dans leur pays, Nono n’explique nullement comment concrètement « créer les conditions, une pédagogie vers un moment fondateur ». En dépit de ce manquement grave dans le cheminement de sa pensée, il réitère son credo: « Bref, je ne vois pas comment changer durablement les choses chez nous si nous ne ciblons pas les hommes, leurs mentalités, leurs penser et agir collectifs ».

Comment cibler les hommes? Comment cibler leurs mentalités, leurs pensées et agir collectifs? Silence! En fait, les propos de Nono ne sont que du verbiage, c’est-à-dire des paroles superflues masquant la pauvreté de la pensée en termes de stratégie. A supposer que notre nation ait impérativement besoin d’un changement de mentalité pour être en mesure d’asseoir la démocratie et la bonne gouvernance, quand les défenseurs de cette thèse eux-mêmes se montrent aussi démunis, sur qui peut-on compter alors?

La pensée de Nono rejoint la nôtre quand il se pose certaines questions. « Que désigne Mayoyo dans son fameux mimétisme des Africains qui auraient adopté trop mécaniquement la démocratie partisane et conflictuelle occidentale? ». « Que se passe-t-il dans nos cerveaux pour penser et agir de telle ou telle autre manière dans nos actions collectives? ». Bien sûr que nous pensons tout de suite à la manière dont nos esprits ont été colonisés et le restent en ce qui concerne les questions de gouvernance face auxquelles nous paraissons totalement désarmés. Nous pensons ensuite à notre système éducatif qui se focalise plus dans la transmission des connaissances et leur assimilation et restitution plutôt que dans la recherche des solutions à nos problèmes de société. Nous pensons enfin à notre paresse intellectuelle qui, face aux questions de gouvernance, ne permet pas que l’on se pose les questions qui s’imposent. A cet égard, il est par exemple impensable qu’aucun débat national n’ait été organisé à ce sujet alors que le désenchantement démocratique est plus qu’une évidence.

Nous citons ces trois facteurs, qui ne sont peut-être pas exhaustifs, parce que pour que des Congolais aussi authentiques que Mabika Kalanda et Ndaywel-e-Nziem, par exemple, se rendent compte qu’il nous faut remettre en cause le mépris colonial pour la culture congolaise, ils n’ont pas eu à être reformatés par un quelconque processus de changement de mentalité. Ils ont tout simplement puisé dans leurs ressources intellectuelles pour arriver à ce constat ô combien pertinent. Pour que des Congolais aussi authentiques qu’Honoré Ngbanda et Nkema Lilo portent un autre regard que celui des colonisateurs sur nos sensibilités ethnico-régionales afin qu’elles puissent servir de base à toute organisation sociopolitique contemporaine, ils n’ont pas eu à être reformatés par un quelconque processus de changement de mentalité. Ils ont tout simplement puisé dans leurs ressources intellectuelles pour arriver à ce constat également pertinent. Pour qu’un Congolais aussi authentique que Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo, qui s’exprime et réfléchit dans sa langue ethnique, le Kimbala, comme s’il avait passé toute son existence dans son village, parvienne à dessiner les contours d’une alternative possible à la démocratie occidentale, il n’a pas eu à être reformaté par un quelconque processus de changement de mentalité. Il a tout simplement puisé dans ses ressources intellectuelles pour mettre au point une stratégie susceptible de sortir sa nation des marais en faisant en sorte qu’il ne soit plus possible au président de la république de se retrouver automatiquement au-dessus de la loi.

En effet, ce qui a permis hier à Mobutu Sese Seko et qui permet aujourd’hui à Joseph Kabila de dicter leur loi liberticide à toute une nation, ce n’est pas une quelconque mentalité qui serait spécifique aux Congolais et aux antipodes de la démocratie et de la bonne gouvernance. C’est plutôt le système politique qui, en ouvrant grandement la voie du clientélisme politique à travers la trop grande capacité de patronage du président de la république dans les corps constitués de l’Etat, hisse de simples individus au rang de demi-dieux. C’est ce qui explique que des Congolais authentiques, avec leur mentalité tant décrié, donnent le meilleur d’eux-mêmes quand ils évoluent dans des environnements sociopolitiques dans lesquels personne ne se situe au-dessus de la loi au point de leur distribuer des parts de son impunité. Tel est le cas des Congolais du secteur privé de leur pays. Tel est le cas des Congolais qui font de la politique dans les démocraties occidentales. Tel est le cas des Congolais œuvrant dans des institutions internationales ou encore dans les secteurs privés et administrations de leurs pays d’adoption. Tel est le cas des soldats et policiers congolais qui venaient de servir dans une mission de maintien de la paix des Nations Unies en République Centrafricaine.

Dans tous les environnements sociopolitiques ci-dessus, les Congolais ne s’illustrent nullement par la médiocrité comme dans leur politique nationale. Ils brillent plutôt par leurs mérites. Arrêtons donc de nous vendre à nous-mêmes un remède, le changement de mentalité, dont personne ne connait d’ailleurs la composition. Le changement tant attendu et espéré viendra soit quand nous aurons conçu et mis en place un système politique dans lequel le pouvoir du président de la république sera enfin contrôlé et sanctionné, c’est-à-dire un système dans lequel le clientélisme politique sera drastiquement mitigé, soit quand nous aurons élu un homme providentiel qui, comme Jerry Rawlings au Ghana, profitera des pouvoirs énormes lui conférés par des Constitutions mal ficelées, pour s’en dépouiller afin que les contre-pouvoirs deviennent effectifs. Mais comme il n’est écrit sur le visage de personne qu’il est un homme providentiel, nous n’avons d’autre alternative que de travailler sur le système politique.

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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