Patrick de Saint-Exupéry en République Démocratique du Congo: une traversée pour travestir la vérité

Le journaliste français Patrick de Saint-Exupéry vient de publier un livre intitulé « La traversée », livre récit sur son voyage en République Démocratique du Congo (RDC). Spécialiste autoproclamé du Rwanda et fervent sympathisant du gouvernement de ce pays, son récit s’inscrit dans la ligne officielle. Ce qui implique un doute sur son objectivité. Il sied de préciser que l’absence de bonne foi dans certains de ses reportages est un fait qui le caractérise. En effet, Patrick de Saint-Exupéry a définitivement été condamné à deux reprises par la Cour de Cassation de son pays, en mai 2016 et en juillet 2017, dans les plaintes du général Quesnot, des généraux Lafourcade et de Stabenrath déposées contre lui pour des affirmations excessives non étayées par des sources solides. La « bonne foi » plaidée par le journaliste a été rejetée par la justice et sa crédibilité a été fortement remise en cause. Patrick de Saint-Exupéry est donc un enquêteur disqualifié dont les thèses sont sujettes à caution.

C’est donc sans surprise que ce journaliste retrouve ses vieux réflexes dans son récent ouvrage. Sa traversée de la RDC est visiblement une expédition visant à travestir la vérité en s’attaquant au Rapport Mapping, réalisé par le Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme et qui représente le document fondateur de la lutte contre l’impunité en RDC.

En réalité, « La traversée » résonne comme une provocation à l’égard de millions de morts congolais assassinés au cours de ces 20 dernières années par les incursions répétitives des troupes étrangères à l’intérieur des frontières de la RDC. En qualifiant le Rapport Mapping de négationniste, l’auteur nie, minimise et méprise les victimes innocentes congolaises de la barbarie des incursions des armées étrangères qui pourtant s’étale au grand jour depuis plus de deux décennies. Ce faisant, Patrick de Saint-Exupéry va au-delà de son militantisme au service de certaines armées identifiées comme responsables dans le Rapport Mapping pour carrément tomber dans l’aveuglement. Ainsi, l’auteur de la « La traversée » se présente comme un négationniste du drame qui se poursuit encore à ce jour au Congo. Pire, lors de ses récentes sorties médiatiques, il semble prendre plaisir à s’affirmer comme tel.

« La traversée » qui se veut un livre d’enquête n’a, hélas, aucune solidité scientifique puisqu’il est basé sur une méthodologie bâclée, et donc contestable, qui consiste à interroger une poignée infimes des personnes vulnérables, isolées, vivant sous la terreur dans une zone où différents rapports des Experts onusiens signalent la présence permanente et secrète des troupes rwandaises (voir le rapport d’experts des Nations Unies chargé de suivre le respect de l’embargo sur les armes en RDC du 23 décembre 2020). Parti de Kigali, après s’être entretenu avec des officiers ayant opérés en RDC au moment des faits établis par le Rapport Mapping, il s’est embarqué en RDC en toute sécurité dans une région réputée si dangereuse où l’ambassadeur d’Italie vient tragiquement de trouver la mort en février 2021. En outre, on devrait s’interroger sur les contacts et la source des moyens logistiques qui ont permis à ce journaliste de mener son aventure d’est en ouest de la RDC en toute sécurité, alors que les différents groupes armés et services de sécurité qui y opèrent n’ont jamais permis aux experts onusiens, tels que Zaida Catalan et Michael Sharp, considérés comme des témoins gênants, d’y pénétrer. De ce qui précède, il sera difficile à Patrick de Saint-Exupéry de réfuter l’idée selon laquelle cette traversée du Congo était en réalité une mission maladroitement télécommandée qui tente de travestir la vérité sur des crimes gravissimes dont les auteurs redoutent les conséquences négatives pour eux-mêmes si un jour la justice s’en saisit.

Par ailleurs, point n’est besoin de constater que la méthodologie de l’ouvrage de Patrick de Saint-Exupéry est fantaisiste comparée à celle du Rapport Mapping qui est rigoureuse et très professionnelle (nombre d’enquêteurs, durée, triangulation des sources pour valider les infos, audition des milliers des témoins, examen des centaines des rapports d’ONG locales et internationales, etc…). Il suffit aussi de constater les résultats des conversations de Patrick de Saint-Exupéry (aléatoires et risibles) à ceux du Rapport Mapping, qui se basent sur des investigations approfondies, le recoupage des milliers de témoignages et débouchent sur des recommandations précises. Pour rappel, le Rapport Mapping répertorie 617 incidents de violations les plus graves des droits humains, y compris des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Utilisant les méthodologies en vigueur (récemment utilisées encore par l’ONU dans le cadre du rapport mapping sur la RCA publie en mai 2017), le Rapport Mapping RDC se base sur des recherches extensives et rigoureuses effectuées par une équipe d’une vingtaine de professionnels congolais et internationaux en matière de droits humains sur une période de 12 mois. Patrick de Saint-Exupéry ne se soucie même pas de mener une contre-enquête, encore moins d’analyser les différents rapports par des organisations aussi sérieuses telles que Médecins Sans Frontières ou Human Rights Watch. Rien de tout cela. Il se donne le loisir de s’entretenir avec une dizaine des personnes, certaines ayant à peine 11 ans à l’époque des faits et arrive à discréditer le Rapport Mapping et surtout à faire le tour des médias face à des journalistes qui n’osent même pas mettre en exergue la légèreté de sa démarche.

Par ailleurs, la tentative de discréditer le Rapport Mapping obéit à une seule logique : criminaliser toute référence à cette enquête sérieuse, afin d’assurer une impunité totale sur les crimes commis ou commandités par des auteurs présumés des exactions documentées dans le Rapport Mapping et dont les identités et les noms figurent dans une base de données confidentielle du HCDH. Visiblement, la protection de l’identité des criminels est une constante importante pour des journalistes tels que Patrick de Saint-Exupéry ainsi que certains Etats.

Depuis quelques années, nous observons les efforts de la France de se rapprocher avec certains Etats de la région avec lesquels elle s’était brouillée en adoptant une position grotesque de négation de la terreur exercée sur les populations congolaises depuis plus de 25 ans. Le livre de Patrick de Saint Exupéry est un avatar du positionnement géostratégique de la France depuis la présidence de Nicolas Sarkozy avec son ministre des Affaires Etrangères Bernard Kouchner, destiné à céder une partie de la RDC et ses ressources au Rwanda voisin. On se souviendra de la saillie étrange de Nicolas Sarkozy du vendredi 16 janvier 2009 devant le corps diplomatique à Paris, dans laquelle il exposait entre autres moyens de règlement de la crise dans la région des Grands Lacs, « l’exploitation commune, pour la RDC et le Rwanda, des ressources minières du Nord-Kivu » et donc « le partage des richesses ». Voilà le modèle de justice que tous ces efforts visent: travestir la vérité sur la tragédie de la région des Grands Lacs africains en déchargeant les criminels pour charger les victimes de ces derniers. Un étrange procédé!

Nous, Citoyennes et Citoyens de la RDC, en avons assez de faire les frais des enjeux géopolitiques, du silence et surtout du mépris de certains journalistes qui n’hésitent pas à s’exhiber crânement dans les médias pour afficher tout le mépris qu’ils ont de notre peuple et du drame encore en cours en RDC. Voilà pourquoi nous nous réservons le droit de recourir à la justice contre la dernière agression de Patrick de Saint-Exupéry au-travers de son livre qui porte une offense impardonnable à la mémoire des victimes. A l’instar des esclavagistes d’hier, Patrick de Saint-Exupéry choisit ses Africains qui ont droit à la vie et dont la mémoire doit être préservée, et ceux qui ne méritent que la négation des droits et dont les souffrances ne comptent pas. Les populations congolaises, surtout celles de l’est du pays, sont livrées aux atrocités les plus inhumaines par la volonté de certains intérêts pour lequel Patrick de Saint-Exupéry continue à relayer les thèses dûment protégées de toute analyse critique.

Pendant que ce journaliste s’adonne à cœur joie au négationnisme de la tragédie congolaise, des crimes continuent à être commis en RDC par les mêmes auteurs sous un silence glacial de la Communauté internationale. Ce silence a fini par nous convaincre qu’il n’y aura pas de paix en RDC sans la vérité et la justice. C’est exactement la même conclusion qui transparaît clairement dans les recommandations du Rapport Mapping. Patrick de Saint-Exupéry participe sans faux-fuyant à fausser la vérité, afin d’assurer l’impunité aux criminels et ainsi soutenir la perpétuation des crimes et actes inhumains identifiés dans le Rapport Mapping.

En conclusion, on peut tout dire sur le drame qui se joue dans cette région d’Afrique, mais une vérité indéniable se dégage clairement de tout débat: l’urgence de la mise en place d’un Tribunal Pénal International pour la République Démocratique du Congo s’impose, afin de mettre fin à l’impunité qui couvre les crimes perpétrés et encore en cours en RDC et ainsi trancher définitivement sur des faits historiques graves et indéniables qui ne puissent plus souffrir de négationnisme dont Patrick de Saint-Exupéry se fait l’un des hérauts principaux.

Le vendredi 2 avril 2021

Signataires:

  • Jean-Claude Maswana, Professeur d’économie (Japon)
  • Roger Puati, théologien, philosophe, historien et auteur (Suisse)
  • Alphonse Maindo, Professeur de science politique (RDC)
  • Christian Liongo, fiscaliste, Président Africa Rise (Belgique)
  • Emmanuel Nashi, Professeur de communication (Belgique)
  • Antoine Bily Bolakonga, Professeur d’économie agricole (RDC)
  • Antoine Ngute, Professeur de philosophie politique (RDC)
  • Sagesse Nziavake, patriote congolaise (RDC)
  • Patient Biselenge, Avocat, Directeur exécutif de la Synergie des Avocats pour le Développement Durable (RDC)
  • Liliane Bibiche Salumu, Professeur de science politique (RDC)
  • Adrien Banwitiya, Avocat et défenseur des droits humains (RDC)
  • François Lemba, Défenseur des droits humains (RDC)
  • Dominique Lumpembe Kangamina, Avocat, activiste des droits humains, coordinateur des Jeunes Congo Avenir (RDC)
  • Barthélemy Tshigologo Sebuyange, Avocat, Directeur exécutif de Justice Humanitaire pour tous (RDC)
  • Blaise Pascal Zirimwabagabo Migabo, Enseignant de droit, Université Officielle de Bukavu (RDC)
  • Providence Ngoy W., Doctorant en Droit, Université de Genève (Suisse)
  • Youyou Muntu Mosi, Activiste congolaise (France)
  • Bénédicte Kumbi Ndjoko, Historienne, Chargée d’enseignement, Activiste des droits humains (Suisse)
  • Philippe Nkana, Pasteur (Suisse)
  • Nita Evele, Consultante et défenseur des droits humains (USA)
  • Vava Tampa, écrivain indépendant et défenseur des droits humains (GrandeBretagne)
  • Dom-Martin Puludisu, Chercheur, Université Paris II (France)
  • Hygin-Hervé Luwawu, ICT Specialist (Belgique)
  • Laurence Luyasu, économiste (Belgique)
  • José Zubi, Avocat (RDC)
  • Célestin Mputu, juriste spécialiste en droits humains (Belgique)
  • Dieudonné Ngoy Muvumbu, ingénieur HES (Suisse)
  • Edgar Ngawala, Patriote congolais (USA)
  • Patrick Mbeko, Géopoliticien et auteur (Canada)
  • Thérèse Kulungu, Avocate (RDC)

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