Patrick Yogo: « Les membres du gouvernement donneraient un signal fort en déposant leurs déclarations de patrimoine… »

Belge d’origine congolaise, cadre dans une entreprise belge spécialisée dans le secteur chimique, Patrick Yogo Mazando n’est plus à présenter aux lecteurs de Congo Indépendant. Depuis l’investiture de Felix Tshisekedi à la tête de l’Etat, il suit avec attention de la situation politique au Congo-Kinshasa. Il fait partie des observateurs qui estimaient que l’alternance n’avait pas eu lieu. Et ce dans la mesure où la mouvance kabiliste est restée majoritaire après les élections du 30 décembre 2018. Après le basculement de la coalition majoritaire intervenu dans le cadre de l’Union sacrée de la nation, Yogo reste sceptique sur la pérennité du nouvel « attelage politique ». Il s’explique. INTERVIEW.

« Le Coronavirus a infligé à l’espèce humaine une belle leçon d’humilité », a pu dire un médecin belge. Qu’en pensez-vous?

La pandémie est très intéressante dans la mesure où elle frappe tout le monde de manière indistincte. On pourrait effectivement parler de leçon d’humilité du fait que nous sommes tous logés à la même enseigne. Comment lutte-t-on contre le Covid-19 à travers le monde? C’est ici que l’on perçoit les inégalités. Ce qui est sûr ce que l’économie en a souffert énormément. Nous entrons dans une nouvelle façon de vivre où l’hygiène et la solidarité seront beaucoup plus présentes qu’avant.

Les vaccins contre le Covid-19 sont au centre d’une controverse. C’est le cas notamment au Congo-Kinshasa. Il y a de la méfiance. Selon vous, pourquoi assiste-t-on à cette polémique autour de ces vaccins?

Tout est lié aux effets secondaires ou « dégâts collatéraux » provoqués par certains vaccins. D’ailleurs, tous les vaccins ont des effets « fâcheux » voir fatals. D’après tous les experts – dont ceux de l’Union européenne -, le nombre de décès parmi les personnes vaccinées est infinitésimal. Reste qu’une vie perdue est toujours une vie de trop…

Devrait-on conclure qu’il s’agit d’une crainte injustifiée?

C’est ce qu’on appelle les « inconnus, inconnus ». Nul ne sait ce qui va arriver. On peut y remédier par un suivi des personnes vaccinées.

Notre précédent entretien a eu lieu au lendemain de la passation de pouvoir entre « Joseph Kabila » et Felix Tshisekedi le 24 janvier 2019. Vous aviez déclaré, à raison d’ailleurs, que « l’alternance n’a pas eu lieu ». Quelle est votre lecture de la situation après le basculement de la « coalition majoritaire »?

C’est une prouesse! Il reste que ce bouleversement n’a pas beaucoup de sens. La question est de savoir la motivation qui a animé les députés de l’ancienne coalition majoritaire. Ont-ils agi par convictions idéologiques ou par « autre chose »? Nous avons toujours prôné de poussé le Front commun pour le Congo dans l’opposition. Il y a eu beaucoup de transfuges. Cette flopée de dissidents laisse pantois. En fait, il n’y a pas eu de véritable alternance. Les mêmes acteurs sont toujours là. C’est la forme qui a changé. Seule la dissolution de l’Assemblée nationale aurait permis l’avènement d’une véritable alternance.

La dissolution de l’Assemblée nationale implique l’organisation de nouvelles élections dans un délai minimum de 60 jours. Il faut de l’argent…

L’argent est un faux problème. Les scandales se sont multipliés depuis que cette fameuse passation du pouvoir a eu lieu. La preuve est ainsi faite qu’il y a de l’argent. Le problème est de savoir l’utiliser à bon escient. Un Etat défaillant peut toujours compter sur ses partenaires.

Selon un criminologue, la criminologie se garde de diviser les êtres humains en « bons » et « mauvais ». Au motif que l’homme a tendance à s’adapter à son environnement. Ne pensez-vous pas qu’une telle mutation soit possible pour les femmes et les hommes qui ont travaillé sous « Joseph Kabila »?

Tout est question d’état d’esprit. Si votre état d’esprit a toujours été animé par l’appât du gain ou la sauvegarde que quelques intérêts privés, le changement sera difficile. Que voit-on? Les parlementaires ont pour suppléants des membres de leur famille biologique.

La loi ne l’interdit pas…

Ce n’est pas une raison pour transformer une institution publique en une affaire privée. C’est de l’utopie de croire que les gens vont changer du jour au lendemain. Ces mêmes personnes ont voté une loi pour assurer un grand train de vie aux anciens présidents de la République ainsi qu’aux autres animateurs des institutions. Je considère, pour ma part, que les gens ne changent pas parce qu’il y a un nouvel état d’esprit ou un nouveau gouvernement. L’homme est foncièrement patriotique ou on ne l’est pas. C’est ça tout l’enjeu.

La composition du nouveau gouvernement est connue. Que pensez-vous du « casting »?

Je reste sur ma faim faute de disposer de tous les éléments d’appréciation pour une bonne analyse. J’estime néanmoins que le nombre de membres du gouvernement reste pléthorique. Cette situation démontre que nous restons toujours dans la logique de partage du pouvoir. Et non pas d’une émanation du peuple. On partage un « butin de guerre » en perspective du prochain cycle électoral. L’exercice du pouvoir renvoie à l’idée de se mettre au service de la collectivité et non pas seulement d’être aux affaires et d’y e rester le plus longtemps possible.

Avez-vous parcouru le programme de gouvernement présenté par le Premier ministre Sama Lukonde Kyenge?

Je l’ai parcouru en biais. Un gouvernement fonctionne normalement durant une législature entière. Nous nous trouvons devant d’une équipe qui arrive à mi-mandat de l’élection présidentielle. Le budget a déjà été voté par le gouvernement précédent. Il faudra trouver les moyens pour financer les grands secteurs que sont: la sécurité, l’économique, l’enseignement, la santé et les réformes institutionnelles.

Le Premier ministre a annoncé l’élaboration imminente d’une loi de finances rectificative. Il s’agit, selon lui, de combler le gap. Il a chiffré son programme à 36 milliards de dollars pour trois ans…

Tout le monde sait lancer des chiffres. Opérer des réalisations, c’est une autre paire de manche. La loi de finances rectificative en préparation ne risque-t-elle pas de coïncider avec la fin de la session actuelle le 15 juin prochain? C’est du rafistolage! On semble travailler avec des bouts de chandelle.

Qu’aurait dû faire le gouvernement?

Au lieu d’aller chercher des crédits ou des emprunts à l’extérieur, nous devons commencer par balayer devant notre porte…

C’est-à-dire?

Les membres du nouveau gouvernement ont-ils déjà déposé, devant la Cour constitutionnelle, la déclaration écrite de leur patrimoine comme l’exige l’article 99 de la Constitution? Nous attendons voir. Ils donneraient un signal fort en se conformant à la loi. On dira la même question pour les membres de la précédente équipe. Il faudra qu’on scrute le train de vie des ministres sortants par rapport aux émoluments perçus. Il s’agira de voir s’il n’y a pas eu d’enrichissement indu. S’il n’y a rien à signaler, c’est tant mieux. On devrait, par contre, signaler les cas de détournement.

A propos de détournement, devrait-on considérer la condamnation de l’ancien ministre Willy Bakongo comme un bon signe?

Ce ministre a peut-être été attrapé pour avoir franchi les frontières nationales. Il aurait pu échapper à la justice s’il était resté au pays. Nous devons être rigoureux avec nous-mêmes. Les quatre institutions de la République doivent être irréprochables dans leur administration. Il est inconcevable qu’un ministre soit trouvé en possession d’argent liquide destiné au financement d’un projet gouvernemental. Il n’appartient pas au ministre de décaisser et dépenser l’argent public. Il faut qu’on nettoie à l’intérieur pour que nous ne ressemblions pas à des tombes blanchies remplies des ossements. Il faut mettre de l’ordre dans le fonctionnement des institutions.

Le président de la République a proclamé, lundi 2 mai, l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord Kivu. Un commentaire à chaud?

C’est bien d’essayer quelque chose qu’on n’a jamais essayée. Je constate, à nouveau, que nous recourons à des solutions ponctuelles pour résoudre des problèmes systémiques. En 2014, une vidéo circulait sur Internet. Un individu nous invitait à fermer les yeux un instant en imaginant que dans votre chaumière arrivent des gens non-identifiés en armes qui tuent les membres de votre famille avant de repartir comme ils étaient venus.

Les premières tueries ont commencé en octobre 2014 dans le Territoire de Beni…

La situation n’a guère changé. On a vu la photo d’un enfant à côté de sa mère décapitée. Etat de siège d’accord. Il s’agit d’une situation ponctuelle, limitée dans le temps. Je doute fort qu’on puisse éradiquer, en un total de quarante-cinq jours, ce mal qui dure depuis des années à nos frontières orientales.

Devrait-on reprocher au gouvernement d’avoir levé une option qui n’a jamais été essayée?

Non! Je reste convaincu qu’on ne peut pas résoudre les problèmes. On pourrait faire appel à toutes les armées du monde. Il sera difficile de trouver la solution sans identifier le véritable problème. Les véritables causes sont à rechercher à la racine. Comme je l’ai dit précédemment, le temps imparti est court. On voit ce qui se passe au niveau de la bande du Sahel.

Comparaison n’est pas raison…

Comparaison n’est pas raison mais il faut avoir des référents pour la force qui est déployée au Sahel. On dit qu’il y a des « groupes armés » au Congo-Kinshasa. En vérité, des officiers des Forces armées de la RDC sont impliqués dans l’insécurité ambiante. Sans omettre des notables. Qui approvisionnent ces groupes armés en fusils automatiques AK 47 et en matériels de télécommunication et des treillis? Y a-t-il un marché où l’on peut se procurer ces matériels dans notre pays? La vérité est têtue. Elle risque de nous exploser sur la figure.

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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