Peur sur la ville de Lubumbashi: « Gédéon », suspect n°1

L’absence d’un gouvernement de plein exercice au niveau national mais aussi provincial fait régner un sentiment de « vide du pouvoir ». Les criminels de tout bord profitent de cette ambiance de flottement pour imposer leur « loi ». A Lubumbashi, on assiste à une vague de banditisme sous forme de vol et de viols. Face à l’inertie des pouvoirs publics, la population recourt à la « justice populaire ». Le nouveau chef de l’Etat joue sa crédibilité. Dans le Haut Katanga, des doigts accusateurs sont pointés en direction de l’ex-chef milicien Kyungu Mutanga, alias « Gédéon ». Condamné à mort en mars 2009 pour « crimes contre l’humanité », Ce dernier s’est évadé le 7 septembre 2011 de la prison de « haute sécurité » de Kasapa avant de faire reddition en compagnie d’une centaine de miliciens. Et ce sous la protection de « Joseph Kabila ». Ces combattants auraient été déversés dans la police nationale sans encadrement ni solde…

« Peur sur la ville ». Il ne s’agit pas du titre d’un film policier. Mais bien d’une psychose collective qui règne actuellement tant dans les quartiers périphériques que dans les communes urbaines du chef-lieu de la province du Haut-Katanga.

Selon des sources concordantes, depuis plusieurs semaines, des « bandits » – des plaisantins? – dotés d’un cynique sens de l’humour avisent leurs prochaines victimes de leur « visite domiciliaire ». Une visite qui a lieu généralement la nuit. Au programme: vol et viols. « Tukunakuya na makari sana kwasababu Kenya, Kamalondo, Kapemba », peut-on lire dans un message écrit non signé dont l’authenticité reste sujet à caution. L’expéditeur d’ajouter plus loin: « Kutoka 5 ans à 100 ans kuwa mama niku violer bila huruma ku wa baba nikuhuwa na masasi ku kitshua ».

UN CERTAIN « FLOTTEMENT« 

D’après ces mêmes sources, un certain « flottement » règne au sommet de l’Etat du fait notamment de l’absence d’un gouvernement de plein exercice. La nature ayant en horreur le vide, des « associations de malfaiteurs » commencent à émerger dans certains coins du pays. C’est le cas entre autres de la ville de Lubumbashi. « Les victimes sont invitées par lettre anonyme à payer une somme d’argent, à défaut c’est l’attaque nocturne », confie une d’elles. « A l’image du sommet de l’Etat, il y a comme un vide du pouvoir dans les provinces. Tous les gouverneurs sortants sont en campagne pour se succéder à eux-mêmes », ajoute notre interlocutrice.

Des activistes de la société civile joints au téléphone abondent dans le même sens: « La ville de Lubumbashi n’est plus administrée. On cherche en vain les agents publics chargés du maintien de l’ordre et de la sécurité des personnes et des biens. Ce vide fait qu’une certaine population se croit désormais en droit de recourir à la justice populaire ».

Selon un activiste politique lushois, tous les yeux se tournent vers l’ex-chef milicien Kyungu Mutanga, alias « Gédéon ». L’homme d’expliquer: « Lors de sa reddition en octobre 2016, Gédéon était accompagné de 100 combattants.
Depuis lors, le chef milicien est logé dans une villa mise à sa disposition par Joseph Kabila, alors chef de l’Etat. Ses hommes, eux, doivent se débrouiller ».

A en croire cet activiste, les 100 miliciens auraient été mis à la disposition de la police où ils devaient servir comme « supplétifs ». Seulement voilà, après avoir équipé ces individus – à la mine patibulaire – en armes et munitions, les autorités administratives auraient « oublié » de les encadrer et surtout de leur accorder de mécaniser leur solde.

Lambert Mende Omalanga, ancien porte-parole du Gouvernement

Après la reddition du fameux « Gédéon » en 2016, la Mission onusienne a demandé en vain son arrestation et sa remise à la disposition de la justice. « Joseph Kabila a toujours fait la sourde oreille », fait remarquer un défenseur des droits humains. « S’il y a une justice au Congo-Kinshasa, elle n’est pas gérée par les Nations Unies », déclarait à l’époque l’ancien ministre de la Communication et des médias, Lambert Mende Omalanga avec sa morgue légendaire. Il reste que Gédéon n’est guère bénéficiaire de grâce présidentielle. Encore moins d’une mesure d’amnistie. 

QUI EST « GÉDÉON » KYUNGU MUTANGA?

Le 17 mai 1997, Laurent Désiré Kabila est porté à la tête de l’Etat qui s’appelait encore Zaïre. Une année après, le nouveau chef de l’Etat décrète la rupture de la « coopération militaire » avec ses ex-parrains ougandais et rwandais. Une nouvelle « rébellion congolaise » voit le jour au début du mois d’août 1998 à… Kigali. Son nom: RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie).

Face à la menace qui planait sur la ville de Lubumbashi, le Mzee décide de mettre sur pied, en 1999, une milice dénommée « Forces d’autodéfense populaires » (FAP). Des armes et munitions sont distribuées aux « recrues » issues essentiellement des jeunes oisifs. Quatre hommes vont y jouer un rôle de premier plan. Il s’agit de: « Joseph Kabila », John Numbi Banza Tambo et un certain révérend Daniel Mulunda Ngoy. Le quatrième n’est autre que « Gédéon ».

En juillet 1999, les belligérants en l’occurrence le gouvernement de Kinshasa, le MLC et le RCD-Goma signent à Lusaka, en Zambie, un Accord de cessez-le-feu. En janvier 2001, le Mzee LD Kabila meurt dans des circonstances non élucidées à ce jour.

Que faire des miliciens qui forment les « FAP »? Livrés à eux-mêmes, ceux-ci finissent par « travailler » pour leur « propre compte ». Et ce en semant la terreur, de 2003 à 2006, sur le « triangle » Mitwaba-Pweto-Manono.

Sur insistance de la Mission onusienne au Congo, sieur Kyungu Mutanga est appréhendé au mois de mai 2006. Les observateurs étaient surpris de constater le traitement privilégié qui lui était réservé. Au lieu d’être embastillé à la prison de Kasapa, l’ex-chef milicien est placé en « résidence surveillée » dans le mess des officiers. Il est nourri et blanchi par la Présidence de la République via le gouverneur du Katanga d’alors, Kisula Ngoy.

ORDONNER L’ARRESTATION DE « GÉDÉON »

En mars 2009, Kyungu Mutanga est jugé et condamné à mort par le tribunal militaire de la garnison du Haut Katanga à Likasi. Le 7 septembre 2011, soit deux mois avant l’élection présidentielle, « Gédéon » décide « de se faire la belle ». Il s’évade en plein jour de la prison de « haute sécurité » de Kasapa grâce au concours d’un groupe d’individus cagoulés et armés présentés comme étant des « Maï Maï ».

Comme pour préparer l’opinion à la reddition imminente de l’ex-chef milicien, le général Jean-Claude Kifwa, commandant de la deuxième zone de défense fait une étrange sortie médiatique début décembre 2014. Il invita ce repris de justice à « déposer les armes » et « à se rendre ». Le 11 octobre 2016, ce dernier se rend aux autorités. L’homme est vêtu d’un tee shirt assorti de l’effigie de « Kabila » et du slogan « Kabila shikata ». Mot de la langue Kiluba qui pourrait se traduire par « Kabila à jamais ».

Selon un juriste lushois qui a requis l’anonymat, « on assiste à une frustration collective face à un Etat faible du fait d’un gouvernement en affaires courantes dont les membres n’ont plus le cœur à l’ouvrage ». Pour lui, la justice congolaise n’inspire plus confiance. Pire, « le climat d’insécurité qui règne tant à Lubumbashi qu’à Goma et ailleurs pourrait déteindre sur la crédibilité du président Felix Tshisekedi Tshilombo ». L’insécurité déplorée serait-elle montée de toutes pièces? 

Que faire? « Le président Tshisekedi doit ordonner au procureur général près la Cour de cassation de procéder à l’arrestation de Kyungu Mutanga. C’est le message fort qu’il doit adresser à ceux qui tirent les ficelles dans l’ombre… », conclut-il.

 

Baudouin Amba Wetshi

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