Pourquoi l’armée zimbabwéenne et non congolaise?

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

L’histoire du coup d’accélérateur qu’a connu la vie politique zimbabwéenne dans la nuit du 14 au 15 novembre 2017 reste à écrire. Car, bien souvent, des impérialistes occidentaux se cachent derrière les Africains qui bombent le torse, à travers des coups d’Etat ou des rebellions, en se présentant comme des redresseurs de torts. Même si on avait la certitude qu’aucune main occidentale ne tirait les ficelles dans l’ombre, le rôle des acteurs dans le cas du Zimbabwe doit encore être élucidé. Etait-ce un coup d’Etat préparé par celui à qui a profité le crime, c’est-à-dire le vice-président déchu Emmerson Mnangagwa qui entretenait des liens étroits avec le leadership de l’armée, du haut de sa stature d’ancien Ministre de la Défense et ex-patron des services secrets, et qui a succédé au tyran Robert Mugabe? Devrait-on plutôt parler d’un coup d’Etat des militaires qui ont préféré placer au pouvoir un civil qui les y a invités dès la formation de son premier gouvernement? Dans les deux cas, l’armée a agi pour mettre un terme à la longue dictature de Mugabe et, surtout, barrer la route à l’idée du pouvoir sexuellement transmissible en faveur de son ambitieuse épouse Grace Mugabe. Certes, on aurait préféré que cette armée ait agi depuis très longtemps au lieu d’attendre 37 ans d’un règne sans partage. Mais, mieux vaut tard que jamais. L’armée zimbabwéenne est intervenue alors que l’armée congolaise reste impuissante jusqu’ici. Quelle est la grande différence entre ces deux armées?

En terminant nos études à l’Université de Lubumbashi (UNILU) en 1984, nous n’avions d’autre perspective que d’aller grossir le rang des enseignants, faillite de l’Etat sous Mobutu oblige. Mais le destin en décidera autrement en nous plaçant devant l’embarras du choix sur le marché du travail. Premier lauréat du concours de dissertation et d’éloquence organisé par le Rotary Club de Lubumbashi en collaboration avec le Rotary Club de Kinshasa à l’intention des finalistes de l’UNILU cette année-là, les deux clubs avaient respectivement mis à notre disposition un poste de gestionnaire des ressources humaines à la société BIA de Lubumbashi, avec voiture et villa de fonction, et un poste de communicateur à l’Union Zaïroise des Banques (UZB). Nous avions laissé notre Kassaparde de fiancée d’alors faire le choix à notre place. Pour cette aimée fille du Kasaï qui n’avait jamais séjourné à Kinshasa, l’appel de la capitale était irrésistible.

Mais à bord du vol qui nous ramenait à Kinshasa, nous ferons une rencontre qui changera tout. L’un de nos professeurs américains des années de graduat au Département de Langue et Littérature Anglaises que nous croyions de retour chez lui aux Etats Unis avait réussi sa conversion du Volontaire de Corps de la Paix au Coopérant au Bureau Logistique Kinshasa d’un projet de développement rural intégré de l’USAID, le Projet Nord Shaba (PNS) ayant ses activités à Kongolo. Nous comptions parmi ses meilleurs étudiants. Il prit notre adresse à la descente de l’avion. Le lendemain, il envoyait un chauffeur nous chercher. Il nous fit la proposition de travailler avec lui, en nous faisant miroiter une bourse d’études pour un doctorat aux Etats-Unis à la clôture du projet. Nous avions toutes les raisons de lui faire confiance parce que l’un des meilleurs étudiants du département, l’ancien secrétaire particulier de Joseph Kabila, Kikaya Bin Karubi pour ne pas le citer, avait déjà voyagé dans des conditions similaires pour un doctorat aux Etats Unis. Entre cette perspective et un poste de communicateur à l’UZB, notre choix était clair.

Mais très vite, nous nous ennuyions au PNS. Nous y occupions une fonction très éloignée des études faites: logisticien et responsable des approvisionnements. Nous vivions cela comme une honte avant qu’une secrétaire et un mécanicien ne nous interpellent en ces termes: « Papa, baloka yo to nini »? Car, ils ne pouvaient comprendre que nous nous ennuyions à un poste pour lequel les gens seraient prêts à s’entre-tuer. Ils nous ouvriront les yeux comme on dit dans le langage typiquement kinois. Mais pendant que nous nous ennuyions, Mandungu Bula Nyati était chargé par le président Mobutu Sese Seko de mettre en place un corps d’élite dénommé Garde civile. Jusqu’à ce jour, le concours d’admission que nous avions passé dans les locaux de l’ISP Gombe reste l’épreuve intellectuelle la plus difficile à laquelle nous avons eu à participer. Au final, nous étions moins de dix détenteurs de diplôme de licence à réussir. On se voyait déjà au firmament après une formation qu’on devait aller poursuivre en Allemagne.

Pendant que nous attendions que commence la première étape de formation à Maluku, l’une des banlieues de Kinshasa, notre ancien professeur, qui nous voyait nous désintéresser de plus en plus de notre travail, vint un jour nous refroidir en nous annonçant que des individus originaires de la région de l’Equateur, qui n’avaient pas participé au concours, s’étaient déjà envolés pour l’Europe. Notre ancien professeur était bien informé. Sa copine, qu’il finira par épouser, était originaire de la même région. La mort dans l’âme, nous enterrions définitivement nos rêves de futur grand patron de la Garde civile. Ce faisant, nous étions curieux de savoir comment allaient évoluer les détenteurs de diplôme de licence qui continuaient à nourrir ce rêve.

Parmi eux, il y avait un médecin vétérinaire formé à l’UNILU et qui avait participé au concours de dissertation et d’éloquence ci-dessus. Il est aujourd’hui Colonel dans la Police. Il était tout excité quand commença la formation à Maluku. Etant seul dans son domaine, il était pressenti pour être à la tête d’une brigade canine. Rien qu’à entendre cela, nous étions morts de regrets. Mais il déchantera très vite à l’issue de la formation. Quand il se réveille le matin du jour de la cérémonie consacrant la fin de celle-ci, il est surpris de voir certains de ses collègues originaires de la région de l’Equateur l’interpeller en ces termes: « Yo, ozomona te? Kauka! ». Traduisez: « Eh connard, tu ne vois pas mes galons? Garde à vous! ». Oui, les galons avaient été distribués nuitamment dans le pur style de favoritisme népotiste, tribal, ethnique et régional cher au « Guide éclairé » Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Za Banga (pendant que Mandungu Bula Nyati, qui avait cru en lui, avait déjà jeté l’éponge), au profit du Général d’opérette Kpama Baramoto Kata, un Ngbandi comme Mobutu, de surcroit époux d’une sœur à la première épouse de ce dernier.

Contrairement aux armées de bien d’Etats africains surtout dans la zone anglophone, ce qui est justement le cas de l’armée zimbabwéenne, l’armée congolaise a été déstructurée par le régime Mobutu à travers les nominations de complaisance qui ont fini par tuer tout esprit de carrière et dérégler la chaîne de commandement. Les régimes Kabila ont exacerbé cette tendance. Résultat, certains chefs, y compris le chef d’état-major général, ne le sont que sur papier pendant que leurs subordonnés détiennent le pouvoir réel. Et bonjour les dégâts! Car, cela entraîne un climat permanent de démotivation et de suspicion qui détourne l’armée de sa mission et rend difficile tout coup de force de sa part. A cela s’ajoute la dernière donne officielle, facilitée par la démocratie de façade et qui explique que l’armée congolaise soit davantage ligotée par l’entrée des étrangers en son sein, alors qu’elle n’est pas une légion étrangère. La coupe de la déstructuration, qui est déjà pleine ainsi, déborde avec la présence des tueurs comme vient de le révéler le rapport de 78 pages de Human Rights Watch intitulé « ‘Mission spéciale’: Recrutement de rebelles du M23 pour réprimer les manifestations en République démocratique du Congo ». Celui-ci décrit comment « les combattants du M23 ont été recrutés entre octobre et début décembre 2016 dans des camps militaires et de réfugiés en Ouganda et au Rwanda, […] déployés dans la capitale, Kinshasa, et dans les villes de Goma et de Lubumbashi, […] reçus de nouveaux uniformes et des armes, […] intégrés dans la police, l’armée et des unités de la Garde républicaine, […] et reçu des ordres explicites d’utiliser la force létale, y compris à ’bout portant’ si nécessaire, […] pour protéger le président et étouffer les manifestations ».

Ce qui est dit sur l’armée congolaise reste valable pour la police, les services secrets, l’administration publique et de la justice. Mais que font nos hommes politiques, surtout les opposants, face à tous ces corps constitués de l’Etat phagocytés par nos trois dictatures successives ainsi que notre démocratie de façade? Ils se conduisent comme si la construction de l’Etat de droit se limitait à la création des partis politiques, qui sont d’ailleurs loin de mériter ce nom; à l’organisation des élections, qu’on ne sait pourtant pas encore organiser de manière transparente et crédible; et à l’entrée au gouvernement, toujours sans la moindre négociation sur la politique à y mener ensemble.

Il serait donc difficile à l’armée congolaise d’accomplir l’exploit de l’armée zimbabwéenne. Par ailleurs, nos démocrates autoproclamés devraient se rendre compte que sans l’organisation des états généraux de tous les corps constitués de notre Etat pour remettre les pendules à l’heure, l’avènement de l’Etat de droit tant espéré par notre peuple ne serait qu’un rêve inaccessible. Ceci étant, si les impérialistes occidentaux décident de se débarrasser de Joseph Kabila après avoir bien mangé dans sa main à travers l’argent et les ressources naturelle de l’Etat, dépensé ou distribué en lobbying pour rester au pouvoir, ils réussiront leur coup même en se cachant derrière l’armée dans son état désastreux actuel. Et qu’on ne vienne surtout pas crier au scandale de plus car en notre qualité d’élites politique et intellectuelle, nous nous avons notre part de responsabilité dans ce gâchis tragique. Nous aimons nous opposer sans proposer des solutions concrètes à nos problèmes alors qu’un opposant, c’est avant tout un proposant.

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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