Prison de Ndolo: Qui maintient le colonel Tshibangu en détention?

Le colonel dissident John Tshibangu

Bénéficiaire de l’autorisation de sortie n°158 datée du 1er novembre 2019, revêtue de la signature du lieutenant-colonel Flory Manga Bakafwa Bundu de la prison militaire de Ndolo, le colonel John Tshibangu est toujours en détention. Et ce en dépit de son état de santé qui ne cesse  de se détériorer. Les généraux Timothée Mukuntu Kiyana et Joseph Mutombo Katalay Tiende, respectivement auditeur général des Fardc (armée congolaise) et 1er président de la Haute cour militaire de Kinshasa se rejettent la responsabilité. Les deux officiers doivent leur ascension à l’ex-président « Joseph Kabila » dont la rancune est réputée féroce. Ceci explique apparemment cela.

Lundi 9 décembre au début de la soirée, l’auteur de ces lignes reçoit un appel téléphonique de Kinshasa. Le correspondant s’appelle Ben José. Il est le coordonnateur du mouvement citoyen ECCHA (Engagement citoyen pour le changement). Selon notre interlocuteur, le colonel John Tshibangu aurait échappé à un « piège » qui aurait pu lui être fatal.

De quoi s’agit-il? Le 1er novembre dernier, le détenu  avait reçu l’autorisation de libération provisoire n°158. Il devait quitter la prison militaire de Ndolo aux alentours 16h00. C’est vers 20h00 qu’un militaire non-autrement identifié s’est pointé à ce lieu carcéral. L’homme dit à Tshibangu qu’il devait quitter « immédiatement » la prison. « Tshibangu s’y est opposé en proposant qu’il soit extrait le lendemain matin à 6 heures, le temps, pour lui, de prévenir ses avocats et sa famille », raconte « Ben ».

Il s’en est suivi un vrai dialogue de sourds entre le détenu et le fameux militaire qui tonne: « Vous n’avez pas besoin d’informer votre famille. Nous allons vous sécuriser et vous installer dans un hôtel à Bandalungwa où vous pourrez passer la nuit ».

Flairant un traquenard, « John » est resté ferme. Il ne bouge pas de la prison. Homme averti, il sait le nombre de détenus abattus dans des conditions similaires sous prétexte de « tentative d’évasion ».

MUKUNTU ET MUTOMBO SE REJETTENT LA BALLE

Pour cet activiste du mouvement citoyen « ECCHA », « quelqu’un » voudrait empêcher la libération de John Tshibangu. Qui? Toute la question est là! « Au moment où des rumeurs persistantes font état d’une prochaine mise en place dans la hiérarchie militaire, d’aucuns croient que le colonel John Tshibangu pourrait faire un retour en force dans l’armée grâce à la présence du président Felix Tshisekedi au sommet de l’Etat », poursuit-il. Ben José de conclure: « Les généraux Mukuntu et Mutombo se rejettent la balle. Chacun impute à l’autre le retard qu’accuse l’exécution de l’autorisation de libération n°158 ».

Etienne Tshisekedi wa Mulumba

Ce que le coordonnateur de l’ECCHA ne dit pas est que « Joseph Kabila » est réputé rancunier. Lors de son entrée en dissidence en juin 2012, le colonel Tshibangu avait présenté le successeur de Mzee sous les traits d’un « ennemi de l’intérieur » en dénonçant son « indifférence » durant les premiers mois ayant suivi le déclenchement de la « rébellion » de M23. L’officier avait, par ailleurs, accusé « Kabila » d’avoir « volé » la victoire d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba lors de l’élection présidentielle du 28 novembre 2011.

Ben José ne dit pas non plus que dans une vidéo diffusée début janvier 2018, Tshibangu avait donné à « Kabila » « 45 jours » pour « demander pardon » au peuple congolais suite aux massacres commis par les sbires du régime lors des manifestations pacifiques organisées notamment fin décembre 2017. « J’ai pris l’engagement de le chasser par la force. Nous allons le chasser et il fuira », claironnait Tshibangu entouré de quelques militaires.

L’APPAREIL JUDICIAIRE AUX MAINS DES « HOMMES DU RAÏS »

C’est au cours de ce même mois de janvier 2018 que le colonel sera interpellé au moment où il transitait dans un aéroport tanzanien. Son transfert à Kinshasa a été « négocié » à Dar es Salaam par deux « durs » du régime kabiliste. A savoir le général Delphin Kayimbi, patron du service des renseignements militaires (ex-Demiap) et Kalev Mutondo, alors administrateur général de l’ANR (Agence nationale de renseignements).

L’affaire Tshibangu est révélatrice d’une certaine désillusion. A savoir que près de onze mois après la passation de pouvoir dite « civilisée » entre « Joseph Kabila » et Felix Tshisekedi Tshilombo, la justice congolaise est toujours aux ordres. Le vent du changement tarde à souffler au niveau des grands corps de l’Etat en général et de l’appareil judiciaire tant civil que militaire en particulier. La justice congolaise est toujours et encore sous le contrôle des « hommes de main » du « raïs ».

Au parquet général près la Cour de cassation, Flory Kabange Numbi continue à faire plus la pluie que le beau temps. L’auditorat général des Forces armées est tenu par le kabiliste pur sucre Timothée Mukuntu Kiyana. Le général-major Joseph Mutombo Katalay Tiende, lui, assume, depuis fin juillet 2018, les fonctions de 1er président de la Haute Cour militaire à Kinshasa. La Cour de cassation et la Cour constitutionnelle sont dirigées par les mêmes titulaires.

PLUS DE 20 MOIS DE « GARDE A VUE »

Une vue de la Cour militaire de Kinshasa

Pour la petite histoire, lors de la passation de pouvoir avec son prédécesseur en l’occurrence le lieutenant-général Delphin Nyembo, le général Joseph Mutombo avait rappelé quelques principes devant guider le juge militaire. Selon lui, celui-ci devait dire le droit avec célérité et rigueur dans le respect des règles contenues dans la Constitution ainsi que dans les instruments juridiques ratifiés par le Congo-Kinshasa. Le problème, entre le « dire » et le « faire », il y a tout un fossé.

La Constitution congolaise limite la durée de la garde à vue à 48 heures. « A l’expiration de ce délai, la personne gardée à vue doit être relâchée ou mise à la disposition de l’autorité judiciaire compétente », stipule le cinquième alinéa de l’article 18.

Détenu depuis plus de 20 mois, Tshibangu n’a jamais été jugé. Pendant ce temps, sa santé n’a cessé de se détériorer. « Tout détenu doit bénéficier d’un traitement qui préserve sa vie, sa santé physique et mentale ainsi que sa dignité » (art 18-6).

Question finale: Qui maintient le colonel John Tshibangu en détention? L’activiste Ben José ne va pas par quatre chemins: « Nous accusons l’auditeur général Timothée Mukuntu Kiyana d’être le tireur des ficelles ».

B.A.W.

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