Procès « Programme 100 jours »: Une enquête bâclée!

Richard Tony Ipala Ndue Nka

L’opinion tant nationale qu’internationale  continue à être tenue en haleine dans l’affaire ministère public contre sieur Vital Kamerhe  et consorts poursuivis des chefs de détournement, de corruption et de blanchiment d’argent, pour un montant de l’ordre 58.000.000 de dollars USD destinés à l’exécution des travaux du programme de 100 jours, décrétés par le Président de la République, dont la finalité est de remédier à certaines  structures délabrées à travers le pays.

Comme nous l’avions souligné dans notre précédente réflexion juridique parue dans la même tribune, non seulement les enjeux financiers des infractions y reprochées sont importants au moment où le pays est confronté aux graves difficultés économico-financières liées à la baisse drastique de ses revenus miniers, agricoles, fiscaux et douaniers qui, du reste, sont aggravées par la pandémie de la Covid-19, mais aussi, la qualité du prévenu Vital Kamerhe, directeur du cabinet de chef de l’Etat, est une première dans les annales judiciaires congolaises. L’opinion populaire a souvent eu l’habitude de percevoir la justice, en RDC, comme celle qui  fonctionne à deux vitesses: d’une part la justice de petites personnes vulnérables, et d’autre part, celle de grandes personnes intouchables et ce, à l’instar de la fable de Jean de la Fontaine qui a écrit que la justice des hommes est rendue selon qu’on est riche ou pauvre, puissant ou faible…

Cependant, notre présente approche se penche plutôt sur l’instruction juridictionnelle telle qu’elle s’est déroulée devant le juge: les différents incidents de procédure revêtant un caractère d’ordre public, les réquisitions du ministère public ainsi que les répliques des parties via leurs conseils respectifs.

De manière générale, le niveau du débat offert au public n’est pas à la hauteur des enjeux susmentionnés. Les principaux reproches y relevés sont les suivants:

1.1. De la saisine irrégulière du Tribunal de Grande Instance de la Gombe

D’ordre public, les articles 71,77 et 104 de la loi du 11 avril 2013 portant organisation des juridictions de l’ordre judiciaire imposent le principe de compétence territoriale exclusive tant de l’instruction préparatoire faite par le ministère public du ressort près le parquet général de la cour d’appel où il est attaché que celle de juge du lieu où l’une des infractions est commise, de la résidence du prévenu et celui du lieu où le prévenu aura été trouvé. Y dérogeant, l’article 106 alinéa 2 dudit code judiciaire dispose que, même si l’inculpé est amené, comme en l’espèce dans l’affaire de sieur Vital Kamerhe et consorts pour les besoins de l’instruction préparatoire, en dehors du ressort de la résidence et/ou de la commission de l’infraction, la règle générale de la territorialité du tribunal aurait dû être respectée en ce que seul le juge du tribunal de grande instance de Kinshasa/Matete en est compétent.  En considération de ce qui précède, la saisine du Tribunal de Grande Instance de Kinshasa Gombe est irrégulière pour des raisons d’incompétence territoriale relative à la requête aux fins de fixation d’audience signée par le procureur général près la cour d’appel de Kinshasa-Matete, étranger au ressort territorial de la cour d’appel de la Gombe (A. Rubbens, « Le droit judiciaire congolais », tome III, Larcier, Bruxelles, 1965, no87, p. 112; H. D. Bosly et D. Vandermeersch, « Droit de la procédure pénale », 2ième édition  La Charte, Brugge, 2001, p; 857; C. A. E’ville, 03 juillet 1965, R. J. C, 1966, p. 38 avec note de E. Lamy; C. A. L’shi,12 juillet 1966, R. J. C, 1966, p. 337 avec note de E. Lamy).

D’aucuns croient cependant que le principe sacré de l’unicité du ministère public peut suppléer à cette bourde judiciaire. La réponse est formellement négative car, non seulement l’économie générale des dispositions légales susmentionnées en serait mise en péril mais aussi cette théorie favoriserait l’insécurité, et partant l’anarchie judiciaire.

1.2. Du réquisitoire du ministère public et de la compétence personnelle de la Cour d’appel de Kinshasa-Gombe

Les réquisitions du ministère public, représenté par l’avocat général près la cour d’appel de Kinshasa/Gombe, se sont focalisées sur la qualité de sieur Vital Kamerhe en tant que directeur du cabinet de chef de l’Etat qui, nommé par une ordonnance présidentielle, s’est employé à exécuter le programme de 100 jours conçu par le chef de l’Etat. Cette qualité est un des éléments constitutifs des infractions de détournement des deniers publics ou privés et de la corruption . Or il nous revient de l’examen du dossier que sieur Vital Kamerhe a agi en procédure d’urgence et, de surcroît, il a convenu de gré à gré avec des tiers par rapport au respect de la règle générale relative à la procédure des marchés publics prévus par l’ordonnance-loi 69-054 du 05 décembre 1969 telle que modifiée à ce jour. Aux yeux de la loi, une telle procédure n’est illicite que pour autant que  le contrat d’entreprise convenu ne soit pas entaché de fraude au préjudice de l’ Etat.

A ce titre,  le ministère public a qualifié le prévenu Vital Kamerhe de fonctionnaire, de par ses fonctions de directeur du cabinet de chef de l’ Etat, pour avoir reçu mandat exprès de celui-ci. Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ledit ministère public représenté par l’avocat général près la cour d’appel de Kinshasa-Matete n’en tire pas les conséquences sur le plan du droit administratif . En effet, le terme « fonctionnaire » est une notion plutôt administrative mais qui n’a pas le même sens dans tous les textes de lois et que certains usagers, et non les plus profanes en l’occurrence le législateur pénal, l’emploient dans un sens trop large, englobant ceux qui, strictement, ne doivent pas être appelés fonctionnaires de carrière mais plutôt fonctionnaires de fait selon la théorie d’apparence. Le législateur pénal, à travers les articles 145 et 147 du Code pénal Livre II tel que modifié sanctionnant le détournement des deniers publics et privés, et la corruption en visant le fonctionnaire, il a englobé toutes les personnes qui sont investies d’un mandat public, permanent ou temporaire, salarié ou gratuit. Il veut atteindre tous les agents qui, exerçant, au nom de l’ Etat, ont  une portion de l’autorité publique. (Nyabirungu  Mwene Songa, « La corruption des fonctionnaires publics: approche sociologique et juridique »,  R. J. Z, 1976, p. 44; Général Likulia Bolongo, « Droit pénal spécial zaîrois », 2ieme édition L. G. D. J, Paris, 1986, p. 421).

Aussi, le ministère public ne s’obligeait-il pas d’aligner sieur Kamerhe dans l’échelle des grades soit dans celle de la fonction publique soit  dans celle du statut des établissements publics ou des entreprises publiques conformément  soit à l’article 91 soit à l’article 93 de la loi du 11 avril 2013 portant organisation des juridictions de l’ordre judiciaire qui instaurent le privilège de juridiction? De l’économie générale de l’article 93 susmentionné, mis en combinaison avec les articles 76 et 80 de la loi organique du 19 février 2013 portant procédure devant la cour de cassation, il est disposé que la comparution desdits bénéficiaires du privilège de juridiction s’effectue devant la Cour de cassation siégeant en premier et dernier ressort, et que la détention préventive est substituée par l’assignation à résidence ordonnée, en chambre du conseil, par ladite cour. Bien que sieur Vital Kamerhe soit directeur de cabinet du chef de l’ Etat, ayant rang de vice-Premier ministre, en vertu de l’ordonnance présidentielle du 31 mars 2008 relative à l’organisation et au fonctionnement du cabinet de cabinet du chef de l’Etat, notre avis est que cette disposition, mise en combinaison avec les articles premier et 2 de l’ordonnance présidentielle no 19-082 du 23 novembre 2019, vise plutôt l’allocation des rémunérations, indemnités et avantages sociaux qui lui sont dus à l’instar des membres du gouvernement central. C’est pourquoi, seule la disposition légalement compatible pour la transposition de grade de Directeur, conféré au sieur Vital Kamerhe, est d’application. Il s’agit de l’article 91 du nouveau Code de l’organisation judiciaire lequel le rend justiciable, par cet artifice juridique, devant la cour d’appel siégeant au premier degré (C. S. J, affaire E. M. G. contre auditeur général militaire près la cour militaire, 07 avril 1970, R. J. C, 1970 p. 128; C. S. J, RPA 68, 11 juin 1981 inédit, in Dibunda Kabuinji, Répertoire général de Jurisprudence de la C. S. J, 1969-1985, CPDZ, Kinshasa, 1990, no 24, p. 36 ).

Par voie de connexité, ses complices y comparaissent avec lui en vertu de l’article 100 dudit code judiciaire devant cette cour d’appel, et non pas, devant le tribunal de grande instance.

1.3. De la question préjudicielle sur l’absence des prévisions légales  de la peine des travaux forcés en droit pénal congolais

Les prévenus via leurs conseils respectifs estiment que la peine requise des travaux forcés par le ministère public est anticonstitutionnelle en ce que  l’article 89 dudit Code judiciaire de 2013 est muet quant à ce. En effet, en vertu de l’article premier du Code pénal Livre I suivant lequel aucune infraction ni peine ne peut être infligée au prévenu sans qu’elles soient prévues, pareille question est préjudicielle. En conséquence, selon les prévenus, le juge doit surseoir toutes affaires cessantes à statuer jusqu’à ce que la cour constitutionnelle s’y prononce.

Cette exception qualifiée, quant à nous, de question préjudicielle n’est pas fondée. En effet, la disposition querellée doit être mise en combinaison avec les articles 5 et 6 bis du Code pénal Livre I tel que modifié par la loi no 73-017 du 05 janvier 1973 portant abrogation de la peine mort pour être remplacée par la peine principale de 20 ans des travaux forcés assortie de la peine complémentaire de la confiscation générale des biens du condamné ainsi que des peines accessoires en matière et ce,  en matière de détournement des deniers publics et privés ou des effets tenant lieu.  Ainsi donc, les travaux forcés sont, dans l’échelle des peines privatives de liberté, ceux qui se situent juste après la peine de mort (Général Likulia Bolongo , op. cit,  p. 35).

CONCLUSION

La saisine du Tribunal de Grande Instance de Kinshasa-Gombe est irrégulière puisque incompatible avec la requête aux fins de fixation d’audience signée par le procureur général de Kinshasa -Matete, territorialement incompétent. Surabondamment, le tribunal de grande instance de Kinshasa -Gombe n’a pas compétence personnelle de juger sieur Vital Kamerhe et consorts en raison de la qualité de celui-ci justiciable au premier degré devant la cour d’appel puis que bénéficiaire du privilège de juridiction par l’effet de transposition de grade dans la fonction publique ou dans le statut d’un établissement ou entreprise publique. Pour toutes ces raisons, l’action du ministère public est nulle, et de nul effet, et partant irrecevable.

La justice expéditive et spectaculaire aura, ainsi donc, suffisamment démontré ses limites à travers, non seulement une enquête préjuridictionnelle bâclée, mais aussi, à travers la médiocrité professionnelle caractérisée tant dans l’enseignement de droit, dans la magistrature qu’au barreau.

Richard Tony Ipala Ndue Nka,
Directeur juridique honoraire à la GECAMINES-Bruxelles,Membre du comité scientifique de la Revue de Droit Africain à Bruxelles, Conseiller honoraire à la Cour d’appel de Matadi et Consultant

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