Que se passe-t-il dans le Territoire de Beni?

Dans une dépêche datée du 9 octobre, l’Agence congolaise de presse fait état de l’intensification des opérations militaires de l’armée congolaise contre les « terroristes des ADF » à Beni. Citant un communiqué de l’état-major général de l’armée, l’ACP de préciser que l’objectif est de « neutraliser de manière définitive » ces « terroristes ». Ceux-ci ont repris des attaques sur l’axe Mbau-Kamango. L’armée exhorte les habitants du Territoire de Beni « à faire confiance aux FARDC et à dénoncer tout mouvement suspect pour permettre aux forces loyalistes de mieux protéger tout le monde contre ces rebelles ougandais qualifiés de terroristes aussi bien par l’ONU que par l’Union Africaine ».

Notons que les médias internationaux (RFI…) signalent la mort d’une vingtaine de citoyens. Ils auraient été égorgés par des tueurs qui courent toujours. Serait-il exagéré de parler d’impuissance publique face aux bandes armées tant nationales qu’étrangères qui terrorisent la population congolaise de la partie orientale du pays depuis la fameuse « libération » du 17 mai 1997? On ne cessera pas d’inviter « Joseph Kabila » à clarifier la nature des relations qu’il entretiendrait avec l’Ougandais Jamil Mukulu. Celui-ci passe pour le leader présumé des ADF. Le problème? L’homme aurait vécu sous le même toit – au 55 rue Bocage au Quartier Ma Campagne à Kinshasa – avec « Joseph Kabila » alors général-major. Arrêté en Tanzanie en mars 2015, Mukulu a été trouvé en possession de six passeports dont celui du Congo-Kinshasa. Les autorités congolaises se taisent dans toutes les langues. Nous publions ci-après une tribune sur la situation à Beni. L’auteur est un militant de la « Lucha ». Il s’agit de Marcel-Héritier Kapitene. B.A.W.

Militant du Mouvement citoyen « Lutte pour le changement » (Lucha), Marcel-Hériter Kapitene donne sa part de vérité.

Chers amis de la RDC,

Nous sommes dans l’amertume de vous annoncer que ce qui se trame de nouveau à Beni (ville et territoire), risque d’être plus grave qu’il en a été entre 2014 et 2016.

On retiendra qu’après les épisodes douloureux qu’a connus cette partie du Nord-Kivu, le focus a été tourné vers le Kasaï. Mais le monstre plane encore et Beni est de nouveau victime de cas de massacre.

  1. CHRONOLOGIE

1.1 Jeudi 5 octobre 2017

Le général major Mukutu Kiyana, auditeur général des FARDC et officier du ministère public dans le procès des présumés ADF à Beni, annonce au Conseil Urbain de Sécurité que « les voyants pour une possible attaque de la ville de Beni sont au rouge ». Dans sa communication, il précise que « les miliciens Maï-Maï sont en train de se préparer pour une attaque dans la ville ».

1.2 Vendredi 6 octobre 2017

  • Dans un communiqué intitulé « Alerte aux autorités compétentes », Monseigneur Melchisédech Sikuli, Evêque de Butembo-Beni, informe sur les implications des FARDC dans des actes criminels dont sont victimes les populations civiles en territoires de Lubero et Beni; ainsi qu’en villes de Beni et de Butembo. Son communiqué mentionne explicitement que les attaques des FARDC contre les civils seraient motivées par la présomption carrément muée en slogan idéologique, stipulant que « tous les Nande sont des Maï-Maï ».
  • Monsieur Siwako Poley, un proche de Bwambale Kakolele, des officiers ex-M23, des services des Renseignements Congolais et plusieurs milieux politiques proches du pouvoir de Kinshasa, donne une fausse alerte sur une prétendue « arrestation le 4 octobre dernier, à la frontière entre la RDC et l’Ouganda, de plusieurs centaines de personnes armées de manchettes et d’armes à feu; qui, selon lui, se rendraient en territoire de Beni pour perpétrer des massacres contre les populations civiles ». Citant faussement la West TV de Mbarara (Ouganda) comme source de son information, il mentionne que « les personnes arrêtées auraient été recrutées entre le territoire de Beni (RDC) et le district de Kasese (Ouganda) ».

Ses allégations ont été vite contredites par les sources de la Société Civile du territoire de Beni sur place et le média Ougandais précité; mentionnant plutôt une arrestation à Kasindi (territoire de Beni) de deux braconniers ougandais, armés de fusils de chasse, qui avaient illégalement franchi la frontière congolaise.

1.3 Samedi 7 octobre 2017

  • Après des violents affrontements entre FARDC engagées dans l’Opération SUKOLA et une milice identifiée comme ADF, le sanctuaire de Madina est occupé par les assaillants. Les Forces loyalistes se seraient repliées un peu plus en arrière.
  • En plein parc national des Virunga, sur l’axe Mbau-Kamango en secteur de Beni-Mbau, au Nord-Est du Territoire de Beni, des dizaines de personnes ont été exécutées par des « inconnus vêtus en uniformes verts-pâles SUKOLA des FARDC » (Sources locales). Parmi les victimes, il y a notamment:

 

Noms & Post-noms Profession
1 John Matulu Agent de la DGDA – Direction Générale des Douanes et Accises
2 Kambale Salvain Agent de la DGDA – Direction Générale des Douanes et Accises
3 Paluku Agent de la DGDA – Direction Générale des Douanes et Accises
4 Sophonie Syahetera
5 Kambale Mazaliwa Agent d’Esco-Kivu, une société d’achat et de transformation de Cacao
6 Richard Sivendana Agent de la Direction Général des Migrations (DGM/Nobili)
7 Masudi Mulwahali Service d’Hygiène aux Frontières
8 Jimmy Kalala KALALA Commerçant
9 Kagheni Commerçant
10 Béné Paluku Mundala Moto-taximan
11 Kihuka Byanziza

 

L’information a vite été relayée par deux élus (Albert Baliesima et Boris Maelezo), qui donnaient des précisions sur le mode opératoire et le lieu des attaques, citant quelques rescapés. D’après cette source, « les assaillants (présumés auteurs de massacres) s’expriment en Swahili et portent les mêmes uniformes que les FARDC engagées dans l’Opération SUKOLA ».

Le compte-rendu de la réunion d’urgence du conseil de Sécurité de Kamango (Chefferie de Watalinga), tenue ce dimanche 08 octobre, fait état de:

  • 22 personnes tuées à l’arme blanche dont une femme;
  • Une dizaine de motos et un véhicule incendiés;
  • 10 rescapées dont 7 femmes délibérément relâchées par leurs bourreaux.
  1. PRECISIONS ANALYTIQUES
  2. Toutes les tensions entretenues au Kivu comme au Kasaï, sont étroitement liées au processus électoral en RDC; le pouvoir en place, en court d’arguments, attisant l’insécurité, pour essayer de justifier les reports successifs de la tenue des élections.
  3. Il y a lieu d’estimer que les alertes données par le Général Major Munkuntu et Monsieur Poley Siwako, aient eu pour motif de faire diversion. Avant cette période, la situation était plutôt calme et aucune autre source locale ne faisait mention d’une prétendue menace sur les localités du territoire de Beni. Les points de tensions étaient beaucoup plus concentrés dans le territoire de Lubero, à une centaine de Kilomètre de Beni-ville et territoire beaucoup plus au sud; où des miliciens Maï-Maï s’affrontent aux FARDC. Les thèses islamistes avancées par le pouvoir n’ayant pas réussi à masquer l’anathème; une stratégie de « milice étrangère en connivence avec des acteurs locaux » semble concoctée.
  4. Le revirement de la situation dans le Kasaï, notamment par l’assassinat de deux experts des Nations Unies, a suscité des craintes dans le camp du pouvoir. Les menaces des sanctions et l’ouverture des enquêtes dans ce sens, motiverait le recours à une autre zone beaucoup plus volatile, pour essayer de justifier la manœuvre. Beni ville et territoire seraient propices à cette entreprise criminelle, vue la fragilité de la situation sur terrain depuis les derniers massacres, mais aussi en ce sens que le dernier rapport du Groupe d’Etudes sur le Congo (GEC) disculpe en partie les FARDC dans les attaques menées contre la population civile à Beni, citant notamment les implications locales, dont des ex-APC.

Il sied de préciser que l’ex-APC (Armée du Peuple Congolais), branche armée de l’ex-rébellion du RCD/ML, n’existe plus. Toutes les unités APC avaient été incorporées au sein des FARDC à travers le processus de brassage et sont dispersées à travers le pays. Si certains ex-APC sont à Beni, c’est en tant que FARDC. Les cas patents du Major Nzanzu Birotso Kossi (détenu à l’ANR à Kinshasa) et du « Général » Franc Emmanuel Bwambale Kakolele méritent d’être scrutés en profondeur.

Jusqu’à son arrestation dans le procès Mamadou Ndala, Nzanzu Birotso Kossi était plutôt proche des Généraux Gabriel Amisi Kumba « Tango Four » et Muhindo Akili « Mundos ». Ancien conseiller militaire à l’ambassade de RDC à Kampala, Kossi Birotso était le contact de Gabriel Amisi et Muhindo Akili dans la livraison d’armes aux ADF dans la vallée de Semliki en territoire de Beni (Sources locales). Lors de son arrestation à Beni, il n’avait pas été explicitement interrogé sur son rôle dans l’entretien des groupes armés à Beni, notamment dans la fourniture en armes et munitions aux groupes armés locaux. Sur pression de Gabriel Amisi, la cours avait précipité sa condamnation et son transfèrement à Kinshasa, sans qu’on l’ait suffisamment interrogé. Les Généraux Gabriel Amisi Kumba « Tango Four » et Muhindo Akili « Mundos » sont plutôt des affairistes proches du régime de Kinshasa. Ils auraient exercé pression sur la cour dans l’affaire Mamadou Ndala, afin d’éviter qu’ils ne soient directement cités et voire condamnés.

Quant à Bwambale Kakolele dit « Aigle Blanc », prénommé Emmanuel, parfois Franck, ancien mercenaire au Soudan pour le compte de l’armée Ougandaise, passé par l’APC, le CNDP et le M23; il est aussi proche du gouvernement de Kinshasa. Vivant paisiblement à Nairobi au Kenya, il se réclame à la tête d’une coalition de groupes armés dénommée Mouvement National pour la Révolution (MNR) et opérant entre les territoires de Beni et Lubero au Nord-Kivu et le territoire d’Irumu en Ituri. À 2011, il battait officiellement campagne à Beni et Butembo pour le compte de Joseph Kabila. C’est le seul officier FARDC qui pouvait tenir des meetings en portant les insignes et tenues du PPRD, parti de Joseph Kabila. Plusieurs fois interpellés entre 2013 et 2015 et rapatrié à Kinshasa, il était toujours libre de ses mouvements et n’a jamais été présenté devant la justice. Sa présence à l’Est serait plutôt une entreprise criminelle au service du pouvoir afin de justifier tout ce qui peut l’être par les armes.

III. ALERTE ET RECOMMANDATION(S)

  1. La situation à Beni risque d’être similaire à celle vécue entre 2014 et 2016.
  2. Il y a urgence d’enquêter et d’alerter profondément sur tout risque de génocide ou de nouvelles tueries en série dans cette partie de la RDC. Plaider pour des enquêtes internationales et indépendantes à Beni reste d’actualité. Il y a urgente nécessité de continuer à insister. Les audiences dilatoires menées à la sauvette dans ce sens, n’ont jamais permis de lever complètement le voile. Revoilà le monstre qui revient et peut-être avec ardeur.
  3. La restructuration, voire la relève de la chaine de commandement dans les opérations SUKOLA et de toutes les unités opérationnelles dans la région de Beni-Lubero, seraient d’une importance capitale. Il en est de même des autres autorités politiques, administratives et sécuritaires (ANR, DEMIAP, etc.) Les diverses implications dans l’attisement de l’insécurité chevauchent.
  4. L’Ituri n’est pas épargnée: les dernières informations reçues de la Société Civile locale font état d’une stigmatisation des conflits inter-ethniques par les acteurs politiques proches du pouvoir.
  5. Tout est lié au maintien de Kabila au pouvoir. Les implications sous-régionales doivent aussi être scrutées par les instances continentales et supracontinentales, afin d’établir les responsabilités.

Si non, Beni, Lubero et l’Ituri restent des volcans qui grondent.

 

Marcel-Héritier Kapitene
© Congoindépendant 2003-2017

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