Qu’est devenu l’homme qu’il faut à la place qu’il faut?

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Nous l’avons écrit mille et une fois. Quand on soutient que pour sortir de la mauvaise gouvernance, « il faut mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut », c’est qu’on ne comprend rien à la gouvernance. Malheureusement, au Congo-Kinshasa, il n’y a pas que des hommes ayant un parcours académique, politique ou professionnel douteux qui se permettent ce type de raisonnement. On retrouve également des professionnels de la pensée et des politiciens qui se sont fait un nom à l’échelle nationale alors qu’ils sont censés guider la nation dans sa quête légitime de bonne gouvernance. Nous espérons que la démission prochaine de la Présidente de l’Ile Maurice, Mme Ameenah Gurib-Fakim, leur fera changer d’opinion. Car tant qu’on croira que c’est avant tout l’absence d’hommes compétents qui explique la misère généralisée de l’homme congolais, il n’y aura pas de solution à celle-ci.

Conformément à l’article 28 de la Constitution de la République de Maurice, « le Président est élu par l’Assemblée sur une proposition du Premier Ministre et appuyée par le vote de la majorité de tous les Membres de l’Assemblée ». A la suite de la victoire d’une alliance des partis de l’opposition, l’alliance Lepep (Le Peuple), conduite par Sir Anerood Jugnauth aux élections de décembre 2014, celui-ci, qui deviendra ainsi Premier Ministre, proposera la candidature d’Ameenah Gurib-Fakim au poste de Présidente de la République, poste qu’elle occupera à partir de juin 2015, un accord entre le nouveau Premier Ministre et l’ancien Président ayant permis à ce dernier de rester au pouvoir jusqu’en mai 2015 pour assurer l’alternance au pouvoir dans un climat de stabilité.

Quel est le profil de Mme Gurib-Fakim avant qu’elle ne soit hissée au sommet de l’Etat? Elle est la première femme mauricienne à occuper le poste de professeur d’université. Elle est la première doyenne de la faculté des sciences, entre 2004 et 2010. Elle est Directrice du centre de recherche de phytothérapie de Maurice. Botaniste de renommée mondiale, elle est persuadée que les médicaments à base de plante peuvent être une ressource économique importante pour son pays. Ses recherches sur les plantes médicinales de l’île, dont elle a dénombré pas moins de 675 espèces, l’ont notamment conduite à obtenir en 2007 le prix l’Oréal-Unesco. Elle est donc sans conteste une femme compétente ou l’homme qu’il faut, pour ne pas dire la femme qu’il faut, à la place qu’il faut, celle de Présidente de la République; ce qui explique que sa candidature ait fait l’unanimité dans l’opposition qui avait voté pour sa nomination. Cela l’a-t-elle empêchée de commettre une faute lourde qui entraine aujourd’hui sa démission? Bien sûr que non!

Sa faute? Elle ne représente même pas le dixième de celles commises, en toute impunité, par le Chef d’Etat du Congo-Kinshasa et les membres de sa famille biologique par exemple. Tenez! Planet Earth Institute, une ONG basée à Londres, fournit une carte bancaire à Madame la Présidente. Raison officielle, faire la promotion d’un programme de bourses. Il se trouve que cette organisation est financée par le milliardaire angolais Alvaro Sobrinho, un homme d’affaires controversé qui, depuis 2015, a tenté plusieurs fois d’investir en Ile Maurice. Ces tentatives ont déclenché des polémiques. Et pour cause! Le journal en ligne français Mediapart avait révélé que Sobrinho était poursuivi au Portugal et en Suisse, car il aurait détourné plus de 600 millions de dollars de la Banco Espirito Santo Angola lorsqu’il dirigeait celle-ci, par le biais de sociétés-écrans alimentées par des opérations fictives de retraits d’espèces.

Les médias en Ile Maurice opèrent dans un cadre institutionnel différent de celui des médias du Congo-Kinshasa et de bien d’autres démocraties de façade africaines. Au Congo-Kinshasa, l’environnement politique, pour ne pas parler de la disposition des choses chère à Montesquieu, fait que les médias ressemblent à des chiens qui aboient pendant que la caravane, c’est-à-dire les fossoyeurs de la république, passe. Mais en Ile Maurice, les médias constituent un véritable quatrième pouvoir. Selon la formule anglo-saxonne, leur mission est de « to satisfy the afflicted and afflict the satisfied », c’est-à-dire de « satisfaire les affligés et d’affliger les satisfaits ». Ce que l’on peut aussi traduire par réconforter et défendre ceux qui vivent dans l’affliction, comme justement le pauvre peuple congolais tant martyrisé, et affliger et demander des comptes à ceux qui s’enrichissent au détriment du peuple, comme justement les médiocres dirigeants du Congo-Kinshasa.

Evoluant dans un contexte politique marqué par une bonne disposition des choses, le quotidien mauricien l’Express publie des documents bancaires démontrant que la présidente avait utilisé à des fins personnelles la carte bancaire qui lui avait été remise par Planet Earth Institute. Elle avait fait à l’étranger des achats d’un montant de 25.000 Euros en bijoux, chaussures de marque, etc. Voyant venir le danger ou la sanction, Mme Gurib-Fakim a reconnu les faits, mais a affirmé avoir remboursé l’argent utilisé à titre personnel. Mais le mal était déjà fait. La preuve de corruption était plus que manifeste.

Au Congo-Kinshasa, mêmes les intellectuels de haut rang et les politiciens ayant le vent en poupe s’imaginent que dans les démocraties effectives, les mandataires de l’Etat démissionnent parce qu’ils sont civilisés ou qu’ils ont le sens de l’honneur. Mais comme dans les meilleures démocraties, Mme Gurib-Fakim, qui estimait « ne rien devoir à personne », a d’abord tenté de s’accrocher à son poste en expliquant que le montant dépensé en achats personnels avait été remboursé. Peut-on imaginer un seul instant le milliardaire Alvaro Sobrinho la contredire? Mieux, elle a même été soutenue par le gouvernement, et en particulier par le Vice-Premier Ministre Ivan Collendavelloo, pendant que l’opposition exigeait son départ. Mais en Ile Maurice, autre détail de la bonne disposition des choses, les élections ne sont pas du cinéma comme au Congo-Kinshasa et dans bien d’autres simulacres de démocraties africaines. Elles sont libres, transparentes et crédibles, et les hommes politiques craignent la sanction du peuple. La coalition Lepep de M. Jugnauth ayant été élue sur un programme qui promettait d’en finir avec la corruption, le Premier Ministre n’avait d’autre alternative, face au tollé provoqué par l’affaire, que de lâcher Mme Gurib-Fakim, d’autant plus que ce scandale coïncidait avec les cérémonies marquant le 50ème anniversaire de l’indépendance de l’île vis-à-vis du Royaume-Uni. En annonçant au peuple sa décision, le Premier Ministre a pris soin de sauver les apparences: « La Présidente de la République m’a confié qu’elle démissionnerait de ses fonctions. Nous sommes tombés d’accord sur la date de son départ, mais nous ne pouvons pas l’annoncer ». Il n’y a dans cette démission, qui va bientôt se matérialiser, aucun sens de l’honneur. En deux entretiens avec le Premier Ministre, la Présidente de la République avait compris que les carottes étaient cuites pour elle. La bonne disposition des choses, encore et toujours elle, l’avait placée dos au mur.

Compte tenu de ce qui est dit ci-haut, on peut affirmer que le Congo-Kinshasa demeure un géant aux pieds d’argile non pas à cause des bandits qui les gouvernent, mais à cause de la démission de ses intellectuels et politiciens. Ceux-ci restent impuissants face aux simples questions de gouvernance comme si celles-ci étaient une fatalité alors que comme ailleurs au monde, elles invitent à la réflexion pour trouver solution. Les expressions qu’affectionnent intellectuels et politiciens congolais lors des débats sur la gouvernance – « Il faut l’homme qu’il faut à la place qu’il faut » – sont faites pour que des petits lettrés se donnent l’impression d’être des grands en les prononçant. En réalité, elles ne disent pas grand-chose qui mériterait d’être retenu pour l’avènement d’un Congo-Kinshasa démocratique. Ce dont notre pays a besoin, c’est d’un système politique dans lequel les contre-pouvoirs sont effectifs. Qu’on se le tienne pour dit ou alors qu’on explique qu’est devenu « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut » que fut la Présidente de la République de Maurice, Mme Ameenah Gurib-Fakim.

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
© Congoindépendant 2003-2018

Happy
Happy
0 %
Sad
Sad
0 %
Excited
Excited
100 %
Sleepy
Sleepy
0 %
Angry
Angry
0 %
Surprise
Surprise
0 %