Questions directes à Fidèle Babala

Fidèle Babala

Ancien directeur de cabinet de Jean-Pierre Bemba Gombo à l’époque où celui-ci était un des vice-présidents de la République sous le régime de transition « 1+4 », Fidèle Babala Wandu est député national sous les couleurs du « MLC » (Mouvement de libération du Congo). Juriste de formation, il est également un des secrétaires généraux adjoints de cette formation politique. Proche parmi les proches du « chairman », Babala a été arrêté dans la nuit du 23 au 24 novembre 2013, à 2h40, à son domicile. Après avoir bouclé le périmètre de sa résidence, des « hommes cagoulés » armés de lance-roquettes et de kalachnikovs ont maitrisé les policiers chargés de la sécurité du parlementaire. Sans mandat délivré par le Parquet, « Fidèle » est conduit dans un premier temps au siège de l’Agence nationale de renseignements (ANR). Vers 11 heures, il est transféré au Parquet général de la République où trône un certain Flory Kabange Numbi. Celui-ci lui signifie un mandat d’arrêt délivré en son encontre par la procureure près la Cour pénale internationale Fatou Bensouda.

« Subornation de témoins », telle est la qualification des faits. Une deuxième « affaire Bemba » est ainsi née. Menotté, Babala, qui jouit toujours de ses immunités parlementaires, est transféré par vol spécial à La Haye. Des membres de l’équipe de défense de Bemba sont interpellés sur base du même dossier. Réputé frondeur, le député national Babala n’a pas sa langue dans sa poche. En mai 2012, il demande la mise sur pied d’une commission d’enquête chargée de « surveiller » la déclaration de patrimoine de « Joseph Kabila ». Objectif: « de combattre l’enrichissement illicite ». A l’appui, il invoque l’article 99 de la Constitution qui impose au président de la République ainsi qu’aux membres du gouvernement l’obligation de déposer, « au début et à la fin de leur mandat », une « déclaration écrite » de leur patrimoine devant la Cour constitutionnelle. Dans un délai de trente jours. En août 2013, il accorde une interview au magazine parisien « Jeune Afrique ». Il y déclare notamment: « Discuter avec Joseph Kabila, c’est comme manger avec le diable ». Il dénonce, au passage, le « mutisme » légendaire du chef de l’Etat pendant que le Nord Kivu « brûle ». L’homme se savait sans doute dans le « viseur » du pouvoir kabiliste. Bénéficiaire d’une « libération provisoire » depuis le 21 octobre dernier – après onze mois de « détention préventive » -, Fidèle Babala Wandu ne trouve pas des mots assez durs pour pourfendre l’impéritie de l’équipe qui compose le bureau du Procureur près la CPI. « Le fonctionnement du bureau de la Procureure près la CPI me laisse pantois ».

Comment allez-vous après onze mois de détention dans une cellule de la CPI à La Haye?

Je vais bien grâce à Dieu.

Peut-on rester le même homme après une expérience aussi douloureuse?

On est toujours le même. Ce sont des aléas de la vie humaine. Des aléas qu’il importe d’insérer dans le contexte politique qui est le nôtre.

Quel a été votre état d’esprit durant le vol Kinshasa-La Haye?

J’ai été menotté tout le long du vol jusqu’à l’arrivée dans le quartier pénitentiaire. Je me disais que je venais d’échapper à la mort. Car le même jour, un député du MLC-Bas Congo a été tué à Kinshasa quasiment à la même heure. (Ndlr: Lajos Bidiwu).

Après l’arrivée au quartier pénitentiaire…

Je suis resté deux jours durant en isolement jusqu’à la première audience. C’est en ce moment que j’ai pris connaissance du mandat d’arrêt. Au fur et à mesure que je parcourais ce document, j’ai découvert les règles de procédure et de preuve de la CPI. J’y ai découvert des « trucs » incroyables voire improuvables.

C’est-à-dire?

Que n’a pas été ma surprise de lire que j’étais le gestionnaire des biens de Jean-Pierre Bemba. A partir de ce moment, je me suis interrogé franchement sur le niveau de compétence des membres du bureau de la Procureure. Plusieurs articles de presse me concernant se trouvaient insérés dans le dossier. C’est le cas notamment des émissions que j’ai effectuées avec Marie-Ange Mushobekwa. Pour démontrer quoi? C’est la question que je me suis posé. J’ai demandé de concert avec les autres prévenus d’avoir une confrontation avec la Procureure. En vain. Nous avons été arrêtés avec forte publicité, nous avons demandé, sans succès, que l’évolution du dossier puisse bénéficier de la même publicité. Aucune de réponse. Le clou dans toute cette histoire c’est l’attitude du Congo, notre pays.

Voulez-vous expliciter votre pensée?

Vous le savez autant que moi que Jean-Pierre Bemba est poursuivi dans une affaire qui ne concerne pas le Congo-Kinshasa. C’est un dossier censé être centrafricain. Je n’ai jamais participé à la rébellion. Mon « implication » dans cette affaire découle du soutien financier que j’apportais à Jean-Pierre Bemba ainsi qu’aux membres de l’équipe de défense. Ce soutien financier a été fait au grand jour via une voie traçable. A savoir: Western Union. Personne n’avait la volonté de dissimuler quoi que ce soit. Jusque-là, je me pose des questions sur une Cour qui est définie comme l’Olympe du droit. C’est-à-dire le sommet du droit. Le fonctionnement du bureau de la procureure me laisse pantois. S’agit-il de l’incompétence ou d’une politique délibérée? A voir le dossier judiciaire confectionné à ma charge, je mets en doute sérieusement les compétences de la Procureure. Si c’est de cette manière que la justice internationale était rendue, je ne peux que comprendre la défiance de certains Etats vis-à-vis de la CPI.

Comment s’est-il passé votre premier contact avec Jean-Pierre Bemba dans le quartier pénitentiaire?

Il était un peu ému de me voir. Alors que, honnêtement, je ne devais pas être là. Bemba a une histoire politique et militaire. On est en train de lui reprocher quelque chose que le simple bon sens commande de l’acquitter.

En toute franchise, que vous reproche le bureau de la Procureure?

Lors de la première audience, j’ai pris connaissance des faits qui m’étaient reprochés. J’ai pu lire: « subornation des témoins »; « corruption »; « production de faux documents » et « production de faux témoignages ». Une question m’est aussitôt venue à l’esprit: « c’est quoi ça encore? ».

Avez-vous « corrompu » des témoins dans l’affaire « le procureur contre le sénateur Jean-Bemba Gombo »?

Comment pourrais-je corrompre des personnes que je ne connais pas et que je n’ai jamais rencontrées? Des personnes, par ailleurs, qui témoignent sous l’anonymat. Pour soudoyer un témoin, il faut non seulement le connaître mais aussi les thèmes pour lesquels il va déposer.

Et les faux documents?

Pour falsifier des documents dans une procédure judiciaire, il faut être partie au procès. Ce qui est loin d’être mon cas.

De quel document s’agissait-il?

Je n’en sais rien!

Pourquoi, selon vous, la Procureure près la CPI n’a ciblé que le député Fidèle Babala et pas quelqu’un d’autre?

Pourquoi Fidèle Babala? Il est question de « faux témoignages ». Pour faire un faux témoignage, il faut être un témoin. Lors de la première audience, je n’ai cessé de me demander ce que je faisais à la Cour pénale internationale à La Haye. J’ai été privé de liberté pendant onze mois. Je n’ai toujours pas compris pourquoi. Comme vous le savez, j’ai assumé les fonctions de directeur de cabinet de Jean-Pierre Bemba tant au niveau du parti que lorsqu’il est devenu un des vice-présidents de la République. Nonobstant son transfert à La Haye, j’ai gardé un contact permanent avec lui. Je lui fournissais diverses informations tant sur la vie nationale qu’internationale. De même, je lui rendais quelques « menus services ». Chaque jour, il me téléphonait. Inutile de vous dire que nous avons un long « vécu commun » au point que nous nous comprenons à demi-mot. Nos entretiens se passaient généralement en français et en lingala. Le téléphone au Pays-Bas n’étant pas gratuit, je lui faisais des envois d’argent par Western Union via l’administration pénitentiaire. Et ce depuis son transfert à La Haye. De l’argent qu’il pouvait utiliser pour ses besoins d’alimentation et de confort. Vous le savez autant que moi que les avoirs et les biens de Bemba sont sous séquestre et qu’il ne bénéficie pas d’aide judiciaire. Lorsque l’équipe de défense est arrivée au stade où elle devait présenter les témoins à décharge, j’ai coordonné la contribution financière de la famille Bemba, du parti et de moi-même pour cette équipe. L’équipe de défense devait mener trois actions. Primo: trouver les témoins. Secundo: les auditionner. Enfin: les présenter.

On imagine que la défense devait prendre en charge ces témoins…

Absolument! La défense doit prendre en charge les frais de déplacement des témoins à partir d’un point « A » vers un point « B ». Elle doit, par ailleurs, prendre en charge leur séjour.

Avez-vous tenté d' »influencer » ces témoins?

A ce jour, la Procureure n’a pas été en mesure d’apporter les éléments matériels certifiant la « subornation des témoins ». Elle a soutenu, sans preuve, que nous avons corrompu ces personnes notamment avec l’argent envoyé à Jean-Pierre Bemba alors que la traçabilité de ces envois de fonds a été aisée à faire au niveau du Greffe.

Vous êtes juriste. Trouvez-vous normal l’absence au prétoire des autorités civiles et militaires centrafricaines du régime Patassé?

Ce n’est pas normal! C’est une des questions qui méritent une réponse au niveau du bureau de la Procureure. L’ancien président Patassé a dit à plusieurs reprises sa disponibilité à venir témoigner à La Haye. Personne ne l’a entendu.

L’ex-procureur Luis Moreno Ocampo l’avait absout…

En France, nous avons suivi l’affaire du Rwandais Pascal Sibikangwa poursuivi pour crime de génocide. En huit semaines, la justice française a mené l’instruction, le procès avant de rendre le jugement. Pour une histoire comme la mienne qui est un délit, la CPI est incapable, au bout de neuf mois, d’administrer l’acte d’accusation. Devrait-on conclure que le bureau du procureur a ordonné, dans la précipitation, des arrestations alors qu’il n’était pas prêt à étayer ses accusations?

Cela fait bientôt sept ans que Jean-Pierre Bemba se trouve en « détention préventive ». Que répondez-vous à ceux qui disent que l’affaire Bemba est un procès politique?

Je crois effectivement qu’il s’agit d’un procès politique!

Qui, selon vous, tirerait les ficelles?

Les gens se reconnaitront. Nous détenons des éléments de preuve notamment au niveau de notre parti.

D’aucuns accusent la France de Jacques Chirac…

Je n’irai pas jusque-là. Pour des raisons évidentes, je ne citerai personne. Je constate cependant que les circonstances ont bien changé. Il me semble qu’on s’acheminer vers une issue heureuse.

Ce n’est pas la première fois qu’on le dit…

Objectivement, l’audition des témoins tant de l’accusation que de la défense est terminée. Il en est de même des plaidoiries. D’après ses Statuts, la CPI doit rendre le jugement dans un délai de trois à six mois.

A quel mois?

Au mois de mars. Si la décision à rendre était fondée uniquement sur les règles du droit, je ne doute pas que « Jean Pierre » sera acquitté. De quoi parle-t-on? Il est question de Jean-Pierre Bemba, chef militaire du contingent MLC en Centrafrique. Si on considère que Bemba était commandant des troupes du MLC au Congo, c’est logique. Il l’était de droit. Une telle affirmation reste discutable en ce qui concerne la Centrafrique. Le président François Hollande doit-il être considéré comme étant le commandant des troupes françaises déployées au Mali et responsable des bévues éventuelles commises par des soldats? Lorsque l’OTAN envoie des troupes en Afghanistan, on parle de la théorie de « ré subordination » des troupes. Cela veut dire que les militaires sont mis à la disposition de l’utilisateur. C’est celui-ci qui donne les moyens, connaît le terrain et donne les ordres. Jean-Pierre Bemba ne peut pas avoir été président de la République Centrafricaine, ministre de la Défense, chef d’Etat-major de l’armée. Forcément, il a dû y avoir un relais centrafricain qui commandait le contingent MLC.

Qui donc?

Tous les éléments sont dans le dossier.

D’aucuns cite le général centrafricain Ferdinand Bombayake. D’autres parlent de Mustapha Mukiza qui commandait les troupes du MLC à Bangui…

Je ne sais pas si Mustapha Mukiza a été retenu comme témoin à charge ou à décharge. La logique aurait voulu qu’il soit entendu. Le procureur enquête à charge et à décharge. S’il est vrai qu’il doit retenir les éléments en faveur de l’accusation, il n’en reste pas moins vrai qu’il doit retenir également les éléments en défaveur de l’accusation.

Est-ce le cas?

Non!

Que répondez-vous à ceux qui soutiennent que Jean-Pierre Bemba est un « parfait bouc émissaire »?

Bouc émissaire? Je ne sais pas

On sait au moins que l’armée centrafricaine, épaulée par le contingent MLC, avait en face des forces rebelles venus du Tchad dirigés par le général François Bozizé…

C’est l’une des absurdités de ce procès. Je n’ai pas des connaissances militaires. Il reste que dans une guerre, il y a au minimum deux belligérants. Selon des informations en notre possession, il y avait entre six et huit groupes armés en Centrafrique. Cela voudrait-il dire qu’il n’y a que les balles tirées par les combattants du MLC qui pouvaient donner la mort? Les combattants du MLC ont-ils été les seuls à avoir commis des bévues?

Sous l’égide de la France de Nicolas Sarkozy, Patassé et Bozizé s’étaient réconciliés en 2009 pendant que Bemba reste détenu à la CPI. Comment expliquez-vous cette situation?

Je n’ai pas d’explications!

Vous avez bénéficié d’une « libération provisoire » dans l’affaire dite de « subornation de témoins ». Allez-vous regagner La Haye?

Il y a une possibilité qu’on puisse comparaitre. Dans la décision de confirmation des charges, si je dois comparaître, ce serait pour répondre de deux choses. Primo: pourquoi ai-je utilisé le mot « sucre » lors d’une conversation avec Jean-Pierre Bemba? Secundo: dans une conversation téléphonique, j’étais en train de reprocher à Me Aimé Kilolo son inaccessibilité au téléphone. Kilolo m’apprendra que le procureur était en train de soudoyer les témoins à charge. « J’ai besoin d’argent pour les contacter afin de savoir qui d’entre eux a été corrompu », me dit-il. En réponse, je lui ai dit: « Ton problème est d’avoir oublié d’assurer le service après-vente avec ces témoins. Il fallait garder le contact avec eux pour le suivi ». Ce sont là les deux points sur lesquels je devrai répondre. N’est-ce pas ridicule? C’est ça le bon usage de l’argent des Nations Unies? D’abord, on m’embarque tout seul dans un avion de Kinshasa aux Pays-Bas. Combien cela a pu coûter? Et pourtant, il aurait suffi que le bureau de la Procureure me convoque pour que je me présente pour comparaître.

Après les onze mois que vous avez passés au quartier pénitentiaire de la CPI, quel regard avez-vous de cette juridiction internationale?

J’en garde une très mauvaise image. J’ai retenu en particulier l’absence de professionnalisme dans le chef du bureau de la Procureure. J’ai acquis la conviction selon laquelle il n’y a que les juges qui peuvent sauver l’image de la Cour pénale internationale en disant correctement le droit.

Que pensez-vous de ceux qui mettent en doute l’impartialité du juge unique?

Un juge unique à la CPI est-il un juge d’instruction au sens du droit romano-germanique ou c’est un autre procureur? Le juge unique a participé aux enquêtes. Son objectivité était ainsi « polluée » par les informations unilatérales que lui donnait la Procureure. Des informations qui n’étaient guère contradictoires. A quatre reprises, le juge unique nous a répété, à la méconnaissance de la présomption d’innocence, que « les faits sont extrêmement graves, vous êtes coupables ». Au bout de dix mois, il a fini par se rendre à l’évidence. D’où la mesure de « libération provisoire ».

A quand remonte votre dernier contact avec Jean-Pierre Bemba?

Je l’ai au téléphone chaque jour

Comment va-t-il? Qu’en est-il de son moral?

C’est un battant! Il a le moral d’une personne qui a la conviction de subir une injustice.

Que répondez-vous à ceux qui fustigent la manière dont il gère le MLC à partir de son lieu carcéral à La Haye?

Il est le chef du parti. Tout en étant en prison, Mandela donnait des instructions aux cadres de l’African National Congress

Des contradicteurs pourraient ergoter que Mandela ne procédait nullement à des nominations à partir de sa cellule…

Jean-Pierre Bemba bénéficie de tous ses droits pour la simple raison qu’il est jusqu’ici présumé innocent. Il ne lui manque que la liberté locomotrice. Rien ne l’empêche de nommer les gens dans les structures du parti.

Le MLC a connu beaucoup de départs dans ses rangs…

Vous faites sans doute allusion aux derniers départs (Ndlr: Thomas Luhaka, Germain Kambinga…). C’est une escroquerie! Quand vous êtes un mandataire, vous devez rendre compte. Le MLC est un parti d’opposition. Le PPRD lui est au pouvoir. Pour qu’on rentre au gouvernement – dans un pays où la représentation proportionnelle est la règle – il faut, au minimum, un accord de gouvernement. Où est l’accord de gouvernement? De un. De deux, un sujet aussi important qu’est la participation d’un groupe opposé dans un gouvernement de cohésion nationale – ou plutôt de « comédie nationale » -, nécessite un débat interne. Ce débat n’a jamais eu lieu. Inutile de vous rappeler que nous avons participé aux travaux des Concertations nationales pour jouer notre rôle d’opposant. Nous avons, lors de ces assises, dénoncé la mauvaise gouvernance de Joseph Kabila. La « feuille de route » signée par Jean-Pierre Bemba indiquait clairement qu’il n’était pas question pour le MLC de participer au partage du pouvoir

 

Propos recueillis à Paris par Baudouin Amba Wetshi

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