Questions directes à Oscar Kashala

Ancien candidat à la Présidence de la République lors de l’élection de 2006, Oscar Kashala Lukumuenda, 54 ans, est docteur en sciences de l’université de Harvard. Il vit aux Etats-Unis où, depuis 1992, il travaille au sein de la compagnie de biotechnologie « Cambridge Biotech Corporation » dans le Massachusetts en qualité de directeur des maladies tropicales. Depuis la proclamation de la victoire de Joseph Kabila en novembre 2006, Kashala a semblé prendre un peu de recul par rapport au microcosme politique congolais. De passage à Bruxelles, il a bien voulu parler à bâtons rompus avec notre journal sur la situation en RD Congo.

« La désignation d’un porte-parole de l’opposition rentre dans la stratégie du gouvernement qui consiste à museler l’opposition ».

Que faites-vous à Bruxelles?

Je suis venu rendre visite à mes amis ainsi qu’aux membres de ma famille qui habitent ici. Je suis venu également pour rencontrer des autorités belges. Il s’agit d’évoquer la situation politique en Belgique mais aussi au Congo. Il est certain que la Belgique joue un rôle important dans l’histoire de notre pays. Il ne faudrait pas que les Belges développent le phénomène dit du « Congo-fatigue ». Certaines puissances avouent leur lassitude à l’égard des affaires congolaises. Elles préfèrent aller investir ailleurs. Le Congo reste pourtant un pays important qui doit jouer son rôle. Il ne faudrait surtout pas qu’on abandonne ce pays entre les mains des « prédateurs ». Les personnalités belges que nous avons rencontrées savent que nous sommes déterminés à faire avancer les choses. Il faut bien reconnaître que le destin du Congo n’est pas seulement entre les mains des Congolais. Les puissances étrangères ont aussi un mot à dire.

Malgré votre participation à l’élection présidentielle, vous restez un homme plutôt mal connu pour la grande majorité des Congolais. Qui êtes-vous?

Je m’appelle Oscar Kashala. Je suis un citoyen Congolais né à Lubumbashi, il y a plusieurs années (sourires). J’ai fait mes études primaires et secondaires à Lubumbashi. Par la suite, je me suis inscrit à l’université de Kinshasa où j’ai décroché mon diplôme de docteur en médecine. Après une spécialisation en médecine interne et en pathologie, je me suis rendu en Suisse avant d’atterrir aux Etats-Unis particulièrement à Massachussets Institut of Technology pour me spécialiser en cancérologie. Aux Etats-Unis, j’enseigne la cancérologie. Je suis responsable, pour toute l’Amérique du Nord et du Sud, du programme de cancérologie de la société allemande Merck. Comme vous le savez, je suis le président de l’Union pour la reconstruction du Congo (UREC). C’est un parti national qui a été agréé depuis le mois de novembre 2005. Je suis profondément intéressé par les problèmes de mon pays le Congo-Kinshasa.

Quelle est la motivation profonde qui vous a poussé à vous présenter aux élections présidentielles de 2006?

Chaque pays a certainement un destin. Le destin du Congo c’est d’être le pays qui devra servir de tremplin pour la stabilité et l’expansion économique du continent africain. Ce destin est tributaire d’une série de conditions. Il faut d’abord que le Congo retrouve la paix; la population puisse avoir un emploi stable et se nourrir. Bref, il faut que le Congolais puisse connaître une qualité de vie qui lui permette de vivre – pourquoi pas? – jusqu’à l’âge de 75 ou 80 ans, comme cela se passe sous d’autres cieux. Quand nous avons fait l’anatomie de la situation politique et sociale du Congo, il y a des traits très particuliers qui se sont dégagés au plan du développement humain. Le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) classe les pays d’après ce qu’il appelle l' »index du développement humain » qui regroupe une série des paramètres. Quelques exemples: 70% des Congolais ne mangent pas à leur faim; 67% d’enfants qui entrent à l’école primaire n’achèvent jamais le cycle; la mortalité infantile est la plus élevée au monde; la mortalité maternelle mêmement. Le taux de chômage est de 87,3%. Ce sombre tableau ne peut manquer de susciter une question: Que faire pour sortir ce pays du pétrin? Il est difficile de compter sur des gouvernants qui ont brillé par leur incompétence. Je me suis présenté aux élections présidentielles afin de mettre mon savoir-faire au service de mon pays. C’est bien cela la motivation qui m’a guidé.

Quarante-huit ans après l’accession du Congo à l’indépendance, l’Etat congolais paraît toujours incapable de répondre aux attentes de la population en termes de bien-être. Que faire pour conscientiser l' »élite » politique sur la nécessité de donner priorité au développement humain?

J’ai eu une réunion avec le staff dirigeant de la Banque mondiale à l’époque du président Paul Wolfowitz. Cette institution a l’habitude d’analyser le développement économique des pays à travers une série de paramètres clés. J’ai dit à mes interlocuteurs que le développement ne se résume pas uniquement à la quantité de nourriture qu’on peut donner à un peuple. Je pense qu’il faut ajouter un autre paramètre: la compassion. Il me semble que nous ne nous soucions pas assez de la souffrance des autres. En tant que citoyen d’un pays, nous avons des responsabilités vis-à-vis de ceux qui nous entourent qui sont généralement des personnes démunies. J’ai le sentiment qu’il manque dans notre pays l’esprit de responsabilité collective. A côté, il y a un goût effréné pour le matériel, c’est-à-dire l’enrichissement personnel au détriment du progrès collectif. Je l’ai dit à l’opposition congolaise. Je l’ai dit également à Kabila et ses troupes. A savoir qu’un pays appartient à ses citoyens. Les citoyens sont les véritables propriétaires de leur pays. Ce qui manque à la classe politique congolaise c’est bien cette capacité de comprendre que les biens publics n’appartiennent pas aux individus qui animent à certain moment les institutions de l’Etat. Notre pays souffre de la qualité des hommes qui le dirigent. Le drame du Congo c’est que n’importe qui peut devenir du jour au lendemain président de la République.

Vous vivez aux Etats-Unis d’Amérique, un pays de vieille tradition démocratique. Vous avez battu campagne au Congo lors de la présidentielle. Quels sont les enseignements que vous avez pu tirer des élections générales de 2006?

L’Amérique de Thomas Jeffersson et le Congo de Lumumba et de Kasa Vubu sont deux pays complètement différents. Comme vous le savez, aux Etats-Unis tous les citoyens sont nés égaux sur le plan des libertés fondamentales et des valeurs humaines. Il n’y a ni grand ni petit citoyen. Les Etats-Unis est un pays qui a compris que la richesse et la force d’un pays reposent sur la vivacité de ses citoyens. C’est à dire que les pouvoirs publics mettent tout en œuvre pour permettre à la population de satisfaire ses besoins les plus essentiels. Les principes démocratiques y sont appliqués sur toutes les sphères de la vie. Le Congo c’est tout simplement l’inverse. C’est un pays où un groupe d’individus qui se croit supérieur s’emploie à dominer les autres considérés comme inférieurs. Dès lors qu’on accepte cela comme principe, on ouvre la voie aux brimades et autres violations des droits de l’homme. De fil en aiguille, on viole les lois électorales et toute la législation du pays du fait du non respect de la personne humaine. Il est temps que chacun de nous sache que les citoyens congolais sont les premiers propriétaires du Congo

Lors d’un meeting tenu le 15 juillet 2006, vous avez dénoncé des « tracasseries administratives » dont votre parti a été l’objet. L’UREC avait fait état de « saisie » de son matériel de campagne à la Douane. Pouvez-vous expliquer ce qui s’était réellement passé?

Vous savez, un dirigeant qui s’est installé au pouvoir grâce à des voies non démocratiques et qui tire d’énormes profits de cette situation, a tendance à se défendre, par tous les moyens, comme un lion blessé qui sent la mort proche. Nous avons foulé le sol congolais en tant qu’une force animée d’une autre toute autre vision politique. Notre formation politique avait tous les atouts en main pour relever le défi. Force a été de constater que le gouvernement avait mis en place des méthodes dignes d’un système fasciste pour nous « détruire ». Nous avons rencontré des difficultés déjà pour obtenir l’agrément de l’UREC. Par ailleurs, nos téléphones ont été placés sur table d’écoutes. Il y a eu par la suite l’affaire dite des « mercenaires ». Notre matériel électoral a été « gardé » dans les installations de la Douane à l’aéroport de Ndjili pendant un temps.

Quelle en était la raison?

Aucune. Vous savez, on peut, dans notre pays, vous garder en prison pendant six mois sans que l’on vous dise les motifs de votre arrestation. Les fonctionnaires de la douane nous ont tout simplement interdit l’accès à nos matériels. Un jour, un douanier vous dit une chose du genre « vous n’aurez pas vos matériels ». Un autre jour, un autre agent vous exige le paiement d’une « taxe ». Une énorme taxe.

A combien s’élevait cette taxe?

C’était une somme extrêmement élevée…autour de 200 à 300.000 U$S. Après avoir payé 50.000 U$S pour participer à l’élection présidentielle, vous pouvez comprendre qu’il n’était plus question de payer 200.000 dollars qui allaient atterrir non pas dans les caisses du trésor public mais dans les poches de quelques individus. Et surtout que nous savions que les matériels de campagne destinés au candidat Joseph Kabila ont été déchargés directement à partir du tarmac de l’aéroport. Nous avons fini par prendre possession de nos équipements. Une bonne partie de ceux-ci manquait.

Votre parti a par la suite été accusé d’avoir introduit des mercenaires au Congo…

Lorsque j’ai pris la décision de me présenter à l’élection présidentielle, j’étais conscient des écueils liés à une telle entreprise. Notre parti s’était bien préparé pour faire face à toutes les situations. C’est ainsi que le parti avait mis en place un système de sécurité extrêmement fort et efficace. Notre formation politique a fait appel à quelques professionnels américains à la retraite. L’UREC avait également sollicité les services d’une société locale de gardiennage. Nous ignorions que celle-ci avait des connexions avec le pouvoir.

Peut-on connaître le nom de ladite société?

(Sourires). Je préfère ne rien révéler pour l’instant. Au fil du temps, nous nous sommes rendu compte que M. Kabila et ses hommes étaient au courant de tous nos faits et gestes. C’est ainsi que nous avons conclu un contrat de protection avec une autre société de protection en l’occurrence la sud africaine « Omega ». Un matin, les agents d’Omega sont venus prendre leurs postes. Surprise: mes gardes venus des Etats-Unis ont disparu de leurs chambres d’hôtel. C’est en regardant le journal télévisé de la RTNC que j’apprendrai qu’ils ont été arrêtés. Mes agents étaient là assis par terre. Théophile Mbemba, alors ministre de l’Intérieur, a fait des déclarations stupides accusant mes « hommes » d’être des mercenaires. Mon avocat a connu le même sort. J’ai été moi-même invité à me présenter à l’immeuble « Kin Mazière » où se trouvent les bureaux des services spéciaux de la police. M. Raüs {Ndlr, Raüs Chalwe Ngwashi, l’ancien patron de cette unité spéciale de la police nationale} est venu me voir dans ma suite. Il a dit « très poliment » qu’il voulait me poser quelques « petites questions » au sujet de « mes gens ». Devant mon refus de répondre à cette « invitation », Raüs reviendra le lendemain à la charge en menaçant de me faire amener manu militari à Kin-Mazière. J’ai aussitôt fait venir mon avocat, Maître Mukadi Bonyi. Celui-ci s’est présenté au siège de la police en mes lieux et place.

Me Mukadi, un Congolais de souche, sera arrêté avant d’être expulsé vers la Belgique au motif qu’il est détenteur d’un passeport belge…

C’est une sottise quand on sait que plusieurs membres du Parlement congolais possèdent des passeports belges, français ou américains. Mukadi Bonyi est un Congolais d’origine. Il est depuis deux décennies professeur de droit à l’université de Kinshasa et avocat près la Cour suprême de justice. Comment n’a-t-on pas pu, durant tout ce temps, réaliser qu’il était Belge? Je sais que plusieurs parlementaires actuels ne sont pas Congolais de souche. Je pense que Me Mukadi doit certainement repartir. Les autorités congolaises qui me lisent doivent savoir que mon avocat a été victime d’une grave injustice. L’affaire dite des mercenaires n’a été qu’une cabale. Un mensonge. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle étaient arrivés les diplomates en poste à Kinshasa faute de faits matériels susceptibles d’étayer les affirmations de l’ancien ministre de l’Intérieur Mbemba. Me Mukadi Bonyi doit rentrer au pays pour reprendre ses activités.

Selon vous, que ce qui a changé en RD Congo, vingt-deux mois après l’organisation des élections générales?

La situation au Congo est pire qu’avant les élections. Le docteur Charles Brenan a publié dans la revue scientifique « Lancet » en janvier 2006, un article intéressant sur la mortalité au Congo. A cette époque, il y avait 3,5 millions de Congolais jugés comme morts. Une nouvelle étude réalisée par « International Crisis Rescue » indique que près de deux millions d’individus ont péri au Congo depuis l’organisation des consultations politiques. De quoi sont-ils morts? Ils sont morts de violence. Ce qui se passe au Congo n’a jamais été vu ailleurs en dehors de la Deuxième guerre mondiale. Sur le plan économique, la situation est loin d’être brillante malgré qu’on entend ci et là que la croissance serait de 5 à 6%.

Quelles sont les causes de cette situation?

Le Congo-Kinshasa est dirigé par un président de la République qui n’a pas les capacités nécessaires pour gouverner un Etat.

Ce président a pourtant été élu au suffrage universel direct…

Il a été élu…là encore, il y a eu des choses discutables. On en parle très souvent avec nos « amis » belges, allemands et britanniques. Vous n’ignorez sans doute pas les conditions dans lesquelles s’étaient déroulés ces scrutins

Dans quelles conditions…?

Il y a eu « beaucoup de choses » qui n’ont pas marché. L’essentiel c’est que l’élection a eu lieu et nous avons un président de la République qui a des responsabilités. Il doit prendre ses responsabilités. Force est de constater cependant que le chef de l’Etat est loin d’accomplir les tâches qu’on attend de lui. Il en est de même du Premier ministre.

A quoi attribuez-vous la résignation générale qui règne au Congo?

Le Congolais est un être très patient. C’est une qualité. Je n’exhorte pas le peuple à se lancer dans des actes de violence. Cependant, il arrivera un moment où ce même peuple dira: « trop, c’est trop ». Le 4 janvier 1959, ce même peuple a dit « Non! »

L’opposition paraît comme tétanisée depuis ces élections…

Cette situation était prévisible. Le départ de Jean-Pierre Bemba en exil a quelque peu « déchargé » les batteries du MLC. Quant à moi, j’avais pris un peu de recul pour analyser la situation du Congo. Je me remets au boulot maintenant. Au niveau de l’opposition, il y a des zones de fracture qui sont énormes. L’opposition manque une unité au niveau idéologique. En fait, l’opposition congolaise n’est pas une véritable opposition. Elle est composée des groupes ayant des intérêts divers, voire divergents. Nous nous préparons à rentrer au Congo. Je crois que les choses vont changer.

A quand votre retour à Kinshasa?

Très bientôt!

Quelle est la position de votre parti après l’arrestation du sénateur Jean-Pierre Bemba par la Cour pénale internationale?

Pour le moment, l’UREC a pris acte de la décision de la CPI de poursuivre Jean-Pierre Bemba Gombo pour « crimes contre l’humanité, crimes de guerre, viols, tortures, pillages », qui auraient été commis par les éléments du MLC en Centrafrique. Notre parti déplore cependant l’exploitation médiatique autour de cette affaire qui tend à donner du prévenu Bemba l’image d’un criminel d’ores et déjà condamné avant même d’avoir été entendu en ses dires et moyens de défense. Jean-Pierre Bemba Gombo jouit du droit de la présomption d’innocence. Et que tant qu’aucune condamnation à sa charge n’aura été prononcée, les uns et les autres devraient s’abstenir de diffuser toute image ou de tenir des propos de nature à accréditer dans l’opinion publique la conviction que sa culpabilité est établie en fait et en droit.

Quelle est la position de votre parti sur la désignation du porte-parole de l’opposition?

C’est un peu prématuré dans un pays où les structures sont généralement fragiles. Je ne peux m’empêcher d’ajouter que compte tenu de sa longue lutte, il me semble qu’on ne peut parler de l’opposition congolaise sans penser à Etienne Tshisekedi. La désignation d’un porte-parole de l’opposition institutionnelle tend à éluder qu’il y a une autre opposition qui représente le peuple congolais. Il me semble que la désignation d’un porte-parole de l’opposition rentre plutôt dans la stratégie du gouvernement qui consiste à museler l’opposition.

Avez-vous des contacts avec Joseph Kabila?

Je n’ai jamais eu de contacts directs avec Joseph Kabila. Je connais en revanche certains membres du gouvernement ou des personnalités proches du président de la République. Il nous arrive de partager un verre.

Si vous aviez l’occasion de rencontrer Joseph Kabila, que lui direz-vous?

Je lui dirais d’abord qu’en tant que chef d’un Etat, il doit assumer les responsabilités qui sont les siennes. Je lui dirai ensuite: responsabilités, responsabilités, responsabilités.

Quels sont vos projets d’avenir?

J’ai un grand souci, celui de voir le Congo-Kinshasa rejoindre le cercle des nations prospères, stables et respectées dans le concert des nations. Mes projets d’avenir sont orientés dans cette direction.

 

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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